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    L'aménagement de l'espace

    En structure d'accueil du jeune enfant, l'aménagement de l'espace est le B.A-BA pour assurer un accueil de qualité adapté aux enfants. Cependant, il demeure un véritable casse-tête pour les professionnelles!

     En effet, il arrive que les professionnelles de la petite enfance n'aient pas été, ne serait-ce que, consultées pour la réfléxion autour de la construction du batiment. Ainsi, certaines structures sont certes, "jolies", "design" mais néanmoins peu adaptées pour le travail quotidien auprès des enfants: lavabo en plein milieu de la salle de vie, estrade à plusieurs marches dans la salle des "bébés", dortoirs à coté de la buanderies où tournent 3 machines à laver et 2 seches-linges...!

    D'autre part, les enfants ayant des besoins bien spécifiques, les espaces de jeu, de changes, de repas ou de repos, doivent être pensés en ce sens.

     Alors bien sur, il n'est pas question de supprimer le lavabo si malencontreusement placé au milieu de la salle ou encore de casser des murs... Non, tout l'art de l'EJE est d'accompagner l'équipe vers une réflexion afin, qu'en partant des locaux, on parvienne au meilleur aménagement possible pour que les espaces soient à la fois sécurisés sécurisants mais aussi surtout stimulants!

     Réfléchir, oui... Mais à quoi?, me direz-vous. Et bien c'est ce que nous allons essayer de définir ici.

     


     L'aménagement des espaces pour la section "bébé"

     Quel que soit l'espace réservé aux bébés (parc, salle particulière etc.), cet espace doit être stimulant pour les touts-petits.

     Que peut-on proposer à des enfants qui ne marchent pas? 

     Et bien, tout d'abord, les bébés passent énormément de temps dans la position allongée et ce, pour plusieurs raisons. D'abord, un tout-petit ne peut tenir assis: son dos n'étant pas encore suffisamment musclé pour tenir la position assise, il tentera vainement de maintenir son équilibre avec ses mains, ce qui l'empêchera de faire tout autre mouvement. Il se fatiguera très vite et pourrait basculer. D'autre part, c'est par la position allongée que l'enfant appréhende le mieux le monde qui l'entoure: il peut ainsi apprendre à se retourner, ramper, peut attraper le jouet qui l'intéresse etc.

     Ainsi, l'espace dédié aux tout-petits doit être munis de tapis ni trop durs (pas franchement agréable d'être allongé sur une planche de bois, pas vrai?) ni trop mous (pour que l'enfant puisse prendre appuie facilement sans s'enfoncer).

    •   Astuce n°1:  Rien n'est plus insécurisant pour un enfant allongé sur un tapis qu'un adulte qui passe et repasse à vive allure près de lui (testez avec vos collègues pour éprouvez cette sensation). Ainsi, prenez soin de vous annoncer auprès de l'enfant et de vous approcher de lui doucement à quatre pattes.

      Ensuite, vous en conviendrez, rien n'est plus moche que les plafonds des structures d'accueil! Pour que celui ci devienne intéressant à observer, le mieux est de l'agrémenter de suspensions et de mobiles.

    •  Astuce n°2: Les bébés sont nettement plus sensibles aux contrastes! Oubliez donc, les jolies couleurs pastels ou les couleurs dans le même tons! Préférez le noir et blanc (difficile à trouver dans le commerce, les seules suspensions que j'ai trouvé sont les mobiles Wee Gallery. Néanmoins, ils sont vraiment chouettes!), ou les forts contrastes entre 2 couleurs seulement.
    • Astuce n°3: Est-il utile d'agiter les mobiles sans arrêt ou de leur souffler dessus toutes les 5 minutes? Tout va toujours trop vite pour les bébés qui apprécient de contempler pendant de longues minutes le doux vacillement des plumes.
    •  Astuce n°4: Je trouve que la lumière dégagée par les néons est plutôt agressive. Le top est de les éteindre (ce qui aura aussi un effet sur la température de la pièce et sur l'agitation des enfants: magique!) et de préférer des lumières douces et tamisées.

     De plus, il me semble important de mettre des miroirs à hauteur des bébés (du sol jusqu'à une cinquantaine de centimètres) afin de les aider à construire leur personnalité.

     En effet, le tout-petit ne prendra conscience de lui-même, de son propre corps que progressivement. Ainsi, à la naissance, le nourrisson et la mère sont en totale symbiose psychique, autrement dit, il ne font qu'un. Un peu plus tard, vers le 4ème mois, l'enfant réagit face à son reflet comme il le ferait face à un autre enfant: il va tenter d'appréhender son image, en touchant, léchant ou tapant son reflet. Ce n'est que vers le 7ème ou 8ème mois (stade du miroir selon le psychiatre et psychanalyste Jacques LACAN) que l'enfant prend petit à petit conscience qu'il est un être à part entière, indépendant de sa mère, différent de son compagnon allongé près de lui et comprend que l'image reflétée dans le miroir n'est pas réelle. Le stade du miroir est le premier grand pivot de la construction de la personnalité chez l'enfant.

     D'autre part, je trouve intéressant de mettre à disposition des enfants des supports sur lesquels ils peuvent prendre appui afin de se hisser sur leurs jambes. Les barreaux des parcs font en général l'affaire, mais une fine barre fixée au mur peut également être utile (même pour les professionnelles: que la terre est basse, hein?).

     Enfin, l'espace peut être agrémenter de toutes sortes de jeux: petites balles à picots ou lisses, jeux à mordiller pour soulager les douloureuses poussées dentaires, jeux qui font du bruits (pas nécessairement électroniques...), livres tissus, jeux tactiles et sensoriels...

    •  Astuce n°5: Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de noyer les enfants sous une montagne de jouets! Un ou deux par enfant sont suffisants pour de longues minutes de découverte. Il suffit ensuite de les remplacer régulièrement : l'enfant aura ainsi tout le plaisir de se trouver face à un nouvel objet à explorer.

      L'aménagement de l'espace pour la section « grands »

     A partir du moment où les enfants se déplacent de manière autonome, leurs besoins changent; les espaces proposés doivent donc permettre cette évolution.

      Ainsi, les espaces de jeux doivent être délimiter afin de créer des repères spatiaux auxquels l'enfant se réfèrera tout au long de sa journée et les jours qui suivront.

    •  Réflexion n°1: Faut-il poser des limites réelles ou symboliques? Je crois qu'il est important de se poser cette question parce que sous prétexte de la « sécurité », un enfant à trouver la mort dans une structure de Nice étranglé entre deux barreaux d'une barrière en bois: il s'était coincé la tête et les professionnelles n'ont pas réussi à le délivrer à temps. Alors quoi? Est-ce vraiment constructif que de barricader les enfants dans des parcs? N'est-ce pas plus intéressant de les accompagner dans l'apprentissage des règles par la verbalisation plutôt que par la contrainte? Les barrières sont au service des enfants ou des professionnelles? A bon entendeur, salut!
    • Astuce n°6: A défaut de barrières en bois, il est possible (et sans doute beaucoup plus intéressant) de délimiter un espace grâce à un tapis ou un meuble.

     On peut donc créer de multiples espaces, je vous propose d'en dresser ici une liste loin d'être exhaustive:

     L'espace dédié aux jeux symboliques: on appelle « jeux symboliques » les jeux qui permettent de « faire comme », c'est-à-dire ceux qui offrent à l'enfant la possibilité de (re)jouer des situations de son quotidien afin de se familiariser avec le monde qui l'entoure. C'est là que l'on retrouve la dinette (avec une petite table, des chaises et tout le nécessaire culinaire), les déguisements (avec une glace), l'outillage nécessaire à la toilette des poupons (gant, couches, habits, brosse à cheveux...), etc.

    •  Astuce n°7: Un enfant construit sa personnalité tout au long des 18 premiers mois de sa vie environ. Afin qu'il se reconnaisse en tant que personne à part entière, il lui est fondamentalement nécessaire d'être confronté à « d'autres » que lui. Je trouve donc intéressant de créer un outil afin qui l'accompagne dans sa construction identitaire. Par exemple, il est possible de créer des « cadres photo / miroir ». Le principe est simple: les cadres sont suspendus et il y en a un par enfant accueilli. D'un côté il y a la photo de l'enfant, de l'autre un miroir permet de vérifier si « celui-que-je-vois-sur-la-photo-est-bien-moi » ou si « celui-que-je-vois-sur-la-photo-est-différent-de-moi ».  

     L'espace dédié aux jeux éducatifs: ici on peut y retrouver tous les jeux d'encastrement, les puzzles, les Kaplas, les cubes, les Legos, etc. Dans l'idéal, ces jeux doivent être complets,  accessibles aux enfants qui, accompagnés par les professionnelles, pourront assimiler les règles de l'espace (ranger quand on a fini de jouer, les pièces du puzzle doivent rester dans cet espace, etc.) tout en douceur.

     Un coin douillet pour se ressourcer: les enfants peuvent être fatigués par le groupe, les activités, le changement de rythme induit par l'accueil de la structure, et peuvent avoir besoin à certains moments de la journée de se ressourcer. Cet espace peut leur être proposé en l'aménageant grâce à des tapis douillets, de voilages, des coussins, des couvertures... Mais également en mettant à disposition leur objet transitionnel (ou plus communément appelé « doudou » ) ainsi que des photos de leur famille (sous forme d'affichage ou de petits albums photos individuels par exemple).

    •  Réflexion n°2: Quelle place choisissons-nous de donner à l'inséparable compagnon de l'enfant? Le « doudou » est symboliquement très important pour l'enfant. Il constitue un substitut maternel qui le lie à son quotidien familial. Il a une odeur familière et rassurante. Pour toutes ces raisons, il me semble important de respecter cet objet.  Pour ma part, je trouve plus intéressant de les laisser à disposition des enfants plutôt que leur fournir à la demande, ainsi que de les ranger dans des casiers ou petits sacs individuels plutôt que des les mettre tous ensemble dans une même caisse...

    Le coin lecture: c'est un fait, les enfants adorent les histoires! Pourquoi? Et bien d'abord parce qu'elles leur permettent de se familiariser avec le monde qui les entoure (grâce aux imagiers par exemple) ou encore d'appréhender certaines situations de leur quotidien (la séparation, l'apprentissage de la propreté, le coucher, le décès d'un proche...), d'en comprendre le sens, parfois d'en dédramatiser l'importance qu'on leur porte ou encore de les aider à dépasser leurs doutes ou angoisses (histoires sur les monstres...). D'autre part, la lecture des histoires favorise l'accès au langage par l'apprentissage d'un vocabulaire riche et varié. De plus, elles permettent l'évasion, l'accès à l'imaginaire, au rêve. Enfin, le livre est un objet culturel, un médiateur qui permet l'échange entre l'enfant et un adulte et surtout, il est source de plaisir! Alors pourquoi s'en priver?

    L'espace dédié aux livres peut être pensé comme un espace calme, avec des canapés ou fauteuil individuel, des présentoirs à livres... Les enfants ont besoin d'être accompagnés dans la découverte du livre. En effet, le livre demeure un objet fragile, or, les enfants n'en auront conscience qu'à partir du moment où ils auront pu constater physiquement qu'il est: pourquoi n'aurait-il pas le droit de le déchirer? C'est pourtant si amusant! Pourquoi ne pourrait-il pas le manger? Ce goût de carton est délicieux! Il me semble donc que le rôle de la professionnelle est de verbaliser les règles et de répondre aux attentes des enfants.

    •  Astuce n°8: Les enfants ont tendance à déchirer les livres? Il est alors peut-être intéressant de penser à proposer une activité de « déchirage » de papier (magazine par exemple). En verbalisant le fait que certains livres peuvent être déchirés et d'autres pas, l'enfant assimilera petit à petit la règle et pourra dévier sa pulsion de déchirer sur les magazines, mais pas sur les livres ranger dans le présentoir.
    • Astuce n°9: En parallèle d'un accompagnement, il est sans doute préférable de sélectionner les livres mis à disposition. En effet, les livres cartonnés, costauds et résistants sont à privilégier. Néanmoins, même si les livres sont susceptibles d'être abimés par les enfants, je crois essentiel de proposer des livres en bon état et de maintenir leur état (les réparations régulières sont de mises). Enfin, il me semble primordial de mettre à disposition des livres complets : rien de plus frustrant que de ne pas avoir la fin d'une histoire, non?

    •  Astuce n°10: Pas facile de s'y retrouver dans la jungle des livres pour enfants, n'est-ce pas? Que faut-il proposer aux enfants? A quel âge? Pour répondre à toutes ces questions, je vous donne rendez-vous dans la rubrique « La bibliothèque des tout-petits » du blog pour avoir accès à une bibliographie de littérature jeunesse commentée!

     L'espace de motricité: Les enfants ont un besoin moteur très important. En effet, c'est par leurs mouvements qu'ils appréhendent leur espace, construisent leur schéma corporel et apprennent à maitriser leur corps. Un espace motricité me semble donc intéressant à penser en équipe et à aménager. Cet espace peut ainsi se composer de modules en mousse de différentes hauteurs, d'un mur d'escalade, d'un tunnel, d'un toboggan, d'une échelle, de modules tactiles, d'une bascule etc.

     Certains établissements sont suffisamment chanceux pour être dotés d'une structure de motricité! Si tel est votre cas, mettez là à profit le plus possible! Pour ma part, je trouve plus profitable à l'enfant que l'espace motricité soit accessible de manière permanente et autonome. Ainsi, je trouve dommage que certaines équipes décident de créer cet espace juste pour quelques heures ou en régulent l'accès à certains moments de la journée.

     
     

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  • article issu du blog : http://soutienpsy.canalblog.com/archives/2009/09/20/15139426.html

    Comment poser des limites à un enfant de 0 à 3 ans?

     

    POSER DES LIMITES, C'EST QUOI?

     

     

     

     

    • Poser des limites à un enfant, c’est :

     

    - Une autorité exercée dans l’intérêt de l’enfant
    - Un acte éducatif, apprendre quelque chose à l’enfant
    - Répondre aux besoins de l’enfant et lui permettre d’intégrer des limites pour lui-même
    - Participer à son bon développement psychique, et au final à son autonomie

     

    • Poser des limites, ce n’est pas :

     

    - Une autorité exercée au profit de l’adulte
    - Une relation de pouvoir, une question de soumission

     

    Il n’existe pas de recettes miracles, mais seulement des enfants qui réagissent différemment en fonction de leur personnalité propre et de leur niveau de développement.

     

     

     

     

    LES LIMITES, POUR QUI?

     

     

     

     

    Souvent, on pose des limites aux enfants en fonction de ses propres limites de tolérance (par rapport au bruit, au refus de finir son assiette, au refus de s’endormir, ...etc), et non en fonction de l'intérêt de leur développement. Quelques conseils :

     

    • Se poser les bonnes questions

     

    Il n’existe pas de réponse toute faite : il s’agit de s’adapter à chaque situation, en fonction du niveau de développement et de la personnalité de l’enfant, en se posant les bonnes questions :
    -    Pourquoi je pose des limites ?
    Suis-je en mesure de l’expliquer à l’enfant afin de lui apprendre quelque chose ? Cela représente-il un intérêt pour le développement de l’enfant ?
    -    Comment je pose des limites?

     

    • Réfléchir à son rapport personnel aux limites

     

    Outre les différences culturelles, chacun a un rapport personnel aux limites, chacun a reçu une éducation particulière. Etre dans la position de mettre des limites à un enfant nous renvoie à celles que nous avons reçu nous-mêmes. Certains répètent le mode éducatif de leurs parents, d'autres peuvent adopter une attitude complètement opposée.

     

    Il apparaît donc important de prendre conscience de la manière dont on a vécu l’autorité dans l'enfance. Il s'agirait de se demander ce qu'on reproduit, ce qu'on ne reproduit pas, et pourquoi.

     

    Ai-je reçu une éducation stricte, laxiste ? Comment ai-je vécu les limites imposées par mes parents dans mon enfance ? Comment cela influe-t-il sur ma manière de poser des limites aux enfants ? Suis-je en train de reproduire certains comportements de mes parents? Ai-je véritablement envie de reproduire ces comportements ou ai-je l'impression que cela dépasse ma volonté?

     

    Autant de questions à se poser pour se "libérer" de l'influence de votre propre enfance sur votre comportement actuel à l'égard de vos enfants.

     

     POSER DES LIMITES, POURQUOI?

     

     

    Poser des limites, pour…

     

    • Favoriser l'autonomie

     

    En cherchant des limites à l’extérieur, l’enfant témoigne de sa volonté d’apprendre à se contrôler, d'intégrer des limites pour lui-même. Il sollicite ainsi l'intervention de l'adulte pour lui donner des limites extérieures, qu’il intériorisera peu à peu. En posant des limites à un enfant, l'adulte favorise son autonomie.
    L'enfant répètera le comportement jusqu’à ce qu’il ait intégré les limites. Cela prend du temps, et demande de la patience à l’adulte, pour réitérer les explications.

     

    •  Contribuer à la sécurité psychique

     

    Les jeunes enfants ont besoin de trouver des limites à l’extérieur, surtout lorsqu’ils se sentent en insécurité.
    Ils ont besoin de s’assurer de la solidité des adultes, de tester leurs limites. En cherchant à dépasser les limites, l'enfant vous demande : "Es-tu assez fort, assez solide pour que je puisse compter sur toi?".
    Si les adultes réagissent sereinement en posant des limites dans l’intérêt de l’enfant, en lui expliquant pourquoi, alors les enfants se sentiront rassurés, en confiance.

     

    Certains enfants particulièrement anxieux (insécurité) peuvent répéter ces comportements longtemps, manifestant ainsi un besoin de réassurance constant.
    Si l’adulte perd le contrôle de lui-même (cris, violence physique), alors il apparaît moins solide à l’enfant. Celui-ci risquera alors de renforcer son comportement, son sentiment d’insécurité persistera.

     

    • Instaurer des repères

     

    L’enfant doit apprendre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, cela lui donne des repères pour se construire et apprendre à vivre avec les autres.

     

    •  Apprendre à tolérer la frustration

     

    Il est primordial de mettre des limites aux désirs de toute-puissance des enfants. Il faut leur apprendre à tolérer la frustration.
    Si on dit "oui" à tout, on risque d'en faire des « enfants-rois » qui ne connaissent alors aucune limite à leurs désirs et ne tolèrent aucune frustration. Cela peut entraîner de lourdes conséquences sur leur bien-être psychique ainsi que sur leur relations sociales futures.

     

    • Apprendre à vivre en société

     

    L’enfant doit intégrer les limites pour intégrer les règles de vie sociale, et pouvoir vivre en société. Donner des limites à un enfant, c'est aussi lui apprendre à se socialiser et vivre avec les autres.

     

    POSER DES LIMITES EN FONCTION DE L'AGE DE L'ENFANT

     

     

     

     

    L’enfant doit franchir 3 étapes, avec l’aide de l’adulte, pour parvenir à intégrer les limites

     

    • Expérimentation des limites par l’exploration (première année)

     

    L’enfant explore le monde qui l’entoure et se confronte aux limites de l’adulte. Il est très important de laisser les enfants explorer leur environnement pour qu’ils puissent se développer.

     

    Au départ, l’enfant ne comprend pas les limites, n'en a aucune conscience. Il répètera le comportement "interdit" par l'adulte jusqu'à ce qu'il comprenne et intègre les limites à l'intérieur de lui-même. Il s'agira alors d'expliquer à chaque fois à l'enfant pourquoi on pose des limites.

    De plus, l’enfant expérimente un certain pouvoir sur l’adulte : celui de le faire réagir. Il peut alors répéter son comportement pour attirer l'attention de l'adulte sur lui.

     

    Souvent, on observe que l’enfant regarde l’adulte avant de franchir un interdit : il témoigne qu’il a conscience de l’interdit mais surtout qu’il a besoin de limites. Il faut bien prendre conscience que l’enfant ne sait pas se limiter lui-même, il ne contrôle pas ses pulsions : il a besoin de l’adulte qui lui pose des limites pour apprendre petit à petit à se limiter lui-même.

     

    Quelques Conseils :
    - Supprimer ce qui est dangereux de son environnement, ne pas donner l’occasion à l’enfant de se confronter à un interdit si on peut l’éviter. Il doit avant tout pouvoir explorer le monde et apprendre par son expérience. 
    - Poser des limites pour les choses importantes, pour qu’elles aient du poids. Si on pose des limites à tout, les limites perdent leur sens pour l’enfant.
    - Se mettre d’accord sur les « choses importantes » en équipe.

     

    • Recherche active de limites pour comprendre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas (à partir 2ème année)

     

    Poser des limites devient très important dans la 2ème année. L’enfant cherche à explorer ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Cela est une étape nécessaire, une phase d’apprentissage.
    Le fait qu’un enfant devienne volontaire et opposant fait partie du développement normal. C’est une étape fondamentale pour son autonomie psychique, il apprend à s’opposer à l’adulte et aux autres, à dire « non » : il affirme son autonomie.
    Cette phase est assez éprouvante pour les adultes qui s’occupent de l’enfant, mais tellement nécessaire pour son bon développement. Un enfant qui ne s’oppose jamais entre 2 et 3 ans doit, au contraire, poser question.

     

    • Intégration des limites : c’est l’objectif final !

    COMMENT POSER DES LIMITES?

     

     

    Comment poser des limites tout en laissant à l’enfant la possibilité à l’enfant de s’exprimer, d’explorer son environnement, de se développer ?

     

    L’enfant a besoin d’explorer les limites et la tolérance avec les différents adultes qui l’entourent. Il se comporte différemment avec chaque adulte.

     

    • Principes

     

    - S’adapter au niveau de développement de l’enfant (cf partie précédente)

     

    - S’adapter aux personnalités et sensibilités individuelles de chaque enfant.
    Les enfants se distinguent entre autres par leur "niveau d'agressivité". L’agressivité, à comprendre dans le sens « d’activité », est essentielle dans la vie. Elle permet à l’enfant de dire non, de s’affirmer, de se séparer, de devenir autonome…
    Il peut être souhaitable de soutenir « l’agressivité » parfois (dans les jeux par exemples, mais pas envers les autres!), lorsque l'enfant en semblent dépourvu (trop passif, trop sage, triste…).
    Tenir fermement l’autorité face à un enfant qui franchit sans cesse les interdits est important, à partir du moment où il en a conscience (à partir de la 2ème année)! L'enfant nous montre ainsi qu’il a besoin de limites, qu’il a besoin de tester la solidité des adultes pour savoir s’il peut avoir confiance en eux.

     

    - Savoir pourquoi on dit "non" à un enfant, afin de poser des limites de manière cohérente et d'être en mesure de lui expliquer avec un langage adapté.

     

    • Conseils sur l'attitude à tenir

     

    - Attitude calme mais ferme, être déterminé (donc convaincu de l’utilité de poser des limites).

     

    - Intervenir immédiatement après le comportement, s’approcher de l’enfant, se mettre à sa hauteur et expliquer pourquoi on ne peut pas faire ça.

     

    - Témoigner son affection quand tout est terminé, pour signifier à l'enfant que lui poser des limites n'est pas une preuve de désamour à son égard.

     

    - Réserver l’autorité pour les choses importantes. Quand on dit trop souvent « non », et parfois sans réellement savoir pourquoi, les règles deviennent inefficaces.

     

    - Adopter des règles communes et partagées par les parents ou adultes charge de l'enfant. L'enfant doit pouvoir recevoir un message clair et cohérent des différents adultes qui l'éduquent, afin de trouver des repères stables et intégrer des limites claires pour lui-même.

     

    RISQUES ET ECUEILS

     

    •    Perdre son sang froid (violences verbales, phsyiques)

     

    Il est difficile de poser des limites, surtout lorsqu’il s’agit de répéter d’innombrables fois la même chose à un enfant pour qu’il puisse les intégrer pour lui-même.
    Il peut arriver de perdre son sang froid parce qu’on est fatigué, parce qu'on se sent impuissant, parce qu’on est humain.

     

    Lorsqu’on perd son sang froid, on dépasse ses propres limites : on n'est plus en mesure de poser des limites de manière constructive pour le bon développement de l’enfant.

     

    - Le simple fait de crier fort (différent de hausser le ton avec fermeté) est signe que nos limites sont dépassées : l’enfant comprend alors que l’adulte a perdu son sang froid, il comprend que l’adulte croit en « l’agression » pour résoudre les conflits, il comprend qu’il a réussi à atteindre l’adulte qui n’est pas si solide que cela.
    L’enfant ne comprendra pas les explications si elles sont criées ou accompagnées de gestes violents. Au « mieux », il arrêtera par peur. Et il ne recommencera pas par peur.

     

    - Dire « tu es méchant ». Non, un enfant n’est pas méchant. Par contre, il a eu un « mauvais comportement ». C’est l’acte qui est répréhensible, pas l’individu qui le commet.
    Un enfant qui s’entend dire qu’il est méchant risque bien de le devenir réellement et de rester fixer dans cette phase d’opposition. Un jeune enfant se construit, entre autres, à travers le regard que l’adulte lui porte.

     

    - Tirer violemment un enfant par le bras…etc.
    Le châtiment corporel signifie pour l’enfant qu’on perd notre sang-froid et qu’on croit au pouvoir de l’agression physique pour résoudre les conflits. S’ils ces gestes violents sont répétés, l’enfant risquera de répéter ces comportements lors de situations conflictuelles avec d’autres: il répétera l’agression sur d’autres pour avoir le pouvoir.

     

    •    Ne pas oser, être hésitant

    L’enfant répètera son comportement si l'adulte est hésitant, il aura même tendance à l'intensifier pour faire réagir l’adulte, lui témoignant ainsi son besoin de limites.
    Il est important de se demander pourquoi on est hésitant dans la manière de poser des limites : peut-être n’y a-t-il pas de bonne raison à poser des limites, peut-être se sent-on « mauvais » ou « coupable ».
    Dans ce dernier cas, il faut bien se rappeler que poser des limites est un acte de bienveillance, dans l'intérêt de l'enfant. A l’inverse, ne pas poser des limites à un enfant en plein développement qui en a besoin, pourrait être considéré comme un acte de négligence.

     

    •    Baisser les bras devant un enfant opposant

     

    Cette attitude survient souvent lorsqu’on se sent fatigué de répéter toujours la même chose, avec l’impression que l’enfant n’entend rien. Certains enfants ont tellement peu de sécurité interne qu’ils cherchent les limites sans cesse. Les limites rassurent l'enfant.

     

     Si vous vous sentez trop fatigué et qu'un adulte vous accompagne dans l'éducation de vos enfants, parlez-en avec lui, et demandez-lui de prendre le relai un peu plus souvent et d'appuyer votre parole auprès de l'enfant. Si l'enfant reste très opposant, si vous vous sentez dépassé par la situation, alors n'hésitez pas à consulter un spécialiste (psychologue, pédopsychiatre) pour vous accompagner durant cette période difficile et tenter de comprendre ce qui se joue dans la relation avec votre enfant.


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  • http://douceviolence.free.fr/

    « La douce violence » dans les établissements
    d’accueil du jeune enfant.
    Comment y remédier et repenser nos pratiques professionnelles, aujourd’hui ?

     

    1 - Repérer les douces violences des pratiques professionnelles

     

     

    L’enfant a le droit au respect de sa dignité
    et de son amour-propre,
    ne pas piétiner, ne pas humilier,
    laisser vivre sans décourager,
    ni brusquer, ni presser,
    du respect pour chaque minute qui passe.

     
    Janusz Korczak1, ‘Comment aimer un enfant’  Robert Laffont

      A la recherche d’une définition

      Entre dérives et négligences…

    Ce n’est pas de la maltraitance. Ce n’est pas non plus de l’abus.
    Ce sont des instants éphémères où le professionnel n’est plus dans la relation à l’enfant. Brefs instants où l’adulte se laisse « emporter » par un jugement, un a priori, une étiquette, un geste brusque.
    Sorte de « ressenti immédiat », que l’adulte va faire vivre à l’enfant, sans forcément prendre conscience de ses conséquences.
    De très courte durée, ces moments sont fréquents, tout au long de la journée. Sans préméditation, ni volonté de faire mal à l’enfant, ces gestes, ces paroles, ces regards, placeront de manière répétée l’enfant en situation d’insécurité affective.
    C’est l’enfant étiqueté : « Tu es un vrai cochon ! », « qu’est-ce que t’es mou ! », ou bien l’enfant exclu du groupe, parce qu’il ne veut pas dormir, ou encore ne veut pas manger.
    C’est l’enfant que l’on coince à table, la serviette sous l’assiette, ce sont les commentaires sur l’état des fesses de l’enfant lors d’un change, ou encore le jugement porté sur un parent en présence des enfants. Ce sont deux professionnelles qui discutent de leurs vacances au ski, alors qu’elles changent chacune un enfant…
    Des commentaires négatifs aux jugements de valeurs, en passant par des a priori, ou des gestes faits « par habitude ».

     Au fil des formations que j’anime depuis plusieurs années, j’ai constaté que beaucoup de professionnels connaissaient bien ces situations. Tous étaient conscients que quelque chose n’allait pas, sans pouvoir identifier comment et pourquoi ces situations se mettaient en place. Pour certains c’étaient des moments qui dérangeaient réellement mais qui n’étaient jamais repris en réunion d’équipe, pour d’autres c’était un fonctionnement qui s’était établi sans pour autant en faire toute une histoire.

     Après un premier travail de sensibilisation, les professionnels parvenaient à décrire les situations, sans vraiment en mesurer les répercussions sur l’enfant.

     Les résistances d’analyse venaient de l’absence de représentation de ce phénomène. Il fallait donc pouvoir nommer ces dérives pour que le professionnel puisse y faire référence sur le terrain, et accepter de changer ses attitudes.
    C’est pour cela qu’il fallait les représenter, les nommer, et les analyser.

     C’est en termes de « douces violences » que j’ai préféré parler de ces dérives. « Douce » parce qu’il fallait atténuer le mot violence, porteur de haine et de déchirement. Dans ce qui se joue ici, il n’y a pas d’intention de faire mal à l’enfant. Il n’y a pas de préméditation et chacun reste persuadé que c’est pour le bien de celui-ci. Bien plus, ces moments se glissent au milieu de pratiques professionnelles souvent réfléchies et maîtrisées. Par petites touches successives, doucement, ces « dérapages » envahissent. En revanche, le terme de « violence » insiste sur la gravité de ces actes et sur le fait qu’il y ait une atteinte réelle à la personne de l’enfant. Chaque geste, chaque parole, chaque « douce violence » blesse profondément l’enfant.

     Du simple laisser-aller du professionnel à l’organisation institutionnelle c’est en fait un phénomène très complexe qui touche la pédagogie, l’institution et la dynamique des équipes.

     

     Regard sur le terrain

     La crèche collective « des petits lutins » est une collectivité comme on en rencontre beaucoup lorsque l’on se promène en ville. Plutôt spacieuse et lumineuse, cette structure accueille quarante enfants, répartis en trois sections d’âge. La section des lapinous accueille les bébés (trois-huit mois), la section des oursons s’occupe des moyens (huit-dix-huit mois) enfin, la section des écureuils encadre les plus grands jusqu’à leur entrée en maternelle. Apparemment, l’environnement se prête parfaitement au développement et aux besoins de chaque enfant. L’ambiance y est plutôt dynamique, avec un choix important d’activités proposées tous les jours aux enfants et une équipe (exclusivement féminine), composée de dix huit personnes se définissant comme une équipe qui s’entend bien, et qui travaille ensemble depuis plusieurs années. Rien de bien extraordinaire en fait, une crèche collective traditionnelle qui vit au rythme des saisons et des traditions.
    La directrice me contacte pour élaborer un plan de formation autour de l’analyse des pratiques professionnelles. L’accueil y est chaleureux. Nous discutons d’un contenu éventuel de stage puis je visite la structure, entourée de la directrice et de son adjointe. Nous rentrons dans la première salle, où les bébés sont installés sur un tapis, deux auxiliaires assises par terre discutent, une troisième, installée dans l’espace de change, interpelle ses collègues en disant très fort « tu l’as fait à quelle heure ? », « je crois qu’il était 15 h » lui répond sur le même ton sa collègue, « Ben dis donc il arrête pas de se faire changer celui-là aujourd’hui ! » reprend l’auxiliaire, tout en caressant les petits pieds du bébé.
    Après un timide bonjour, nous passons dans la section des moyens, c’est l’heure du goûter, les plus grands sont installés autour d’une table, la serviette sous l’assiette, pieds et jambes nus. Les plus petits, installés dans des transats, attendent leur tour. L’équipe fait ce qu’elle peut pour satisfaire tout ce petit monde qui commence à s’impatienter. “Allez dépêche-toi !” dit une auxiliaire, “si, si, tu goûtes s’il te plaît !” reprend sa collègue en prenant doucement la main de l’enfant. La directrice me présente rapidement aux professionnelles, puis nous poursuivons notre visite pour terminer dans la section des grands. Le goûter vient de se terminer. Tous les enfants attendent assis autour de la table. Une auxiliaire leur donne un gant de toilette pour se laver le visage.
    « Paul tu t’en es mis partout tu es un vrai bébé ! » reprend l’éducatrice de jeunes enfants ; « allez ! On va faire pipi ». Les enfants passent devant nous en file indienne. « Vous pourriez dire bonjour les enfants ! » insiste l’auxiliaire qui les emmène aux toilettes.
    Ces paroles dites au-dessus de la tête des enfants, notre présence jamais expliquée aux enfants, certaines pratiques comme les jambes nues et les pieds nus pour manger m’interpellent.
    C’est au cours de nombreuses formations sur « la violence institutionnelle » que j’ai davantage pu me représenter ces douces violences. Des professionnels se sont interrogés sur leurs pratiques professionnelles, et ont listé ensemble ce qu’ils considéraient comme étant des « douces violences ». Voici ce qui ressort de ce travail élaboré autour des cinq temps forts de la journée, à savoir : l’accueil, le jeu, le repas, le sommeil et le change.

      Douces violences du quotidien

     L’accueil (du matin et du soir)

    Parler au-dessus de la tête de l’enfant lors des transmissions diverses, sans l’intégrer dans la conversation, alors que l’on parle de lui.
    Faire des transmissions essentiellement négatives.
    Critiquer ouvertement un parent qui vient de partir, devant son enfant (commentaire sur la ponctualité, les tenues vestimentaires, les habitudes parentales).
    Retirer systématiquement le doudou dès que l’enfant arrive.
    Parler de l’enfant à la troisième personne, alors que l’enfant est au milieu de la transmission.
    Déshabiller systématiquement l’enfant, dès son arrivée (petit sous-vêtement, pieds nus quelles que soient la saison et l’heure de son arrivée).
    Accueillir plus ou moins aimablement selon l’affinité que le professionnel a avec le parent.
    Rester systématiquement assis lorsque le parent arrive.
    Discuter trop longtemps avec certains parents alors que les enfants attendent.
    Ne pas dire bonjour, et ne pas sourire.
    Recevoir les parents le soir dans une pièce entièrement rangée.
    Ne pas dire au revoir, parce que le parent est arrivé en retard.
    Ne pas respecter le temps des retrouvailles entre l’enfant et l’adulte qui vient chercher l’enfant.

      Le jeu

    Forcer l’enfant à faire une activité.
    Proposer trop d’activités à la fois.
    Presser l’enfant.
    Commenter négativement les acquisitions de l’enfant.
    Ne pas encourager l’enfant lorsqu’il a des difficultés.
    Comparer les enfants entre eux.
    Interrompre une activité parce qu’une collègue part en pause, ou pour passer à table.
    Proposer un jeu inadapté à l’enfant.
    Discuter avec sa collègue pendant que les enfants sont soi-disant en « jeux libres ».
    Ne pas laisser un enfant emporter un dessin (parce que ce dessin doit impérativement être dans le « dossier » de l’enfant).

    Ne pas laisser le choix à l’enfant.
    Culpabiliser l’enfant parce qu’il refuse une activité.
    Retirer systématiquement le doudou durant toute l’activité.

     

     Le repas

    Forcer l’enfant à manger, à goûter.
    Supprimer le dessert si l’enfant ne termine pas ce qu’il a dans son assiette.
    Faire du chantage.
    Discuter avec sa collègue pendant que l’on donne à manger à l’enfant.
    Mettre l’enfant au lit s’il ne veut pas manger.
    Mettre la serviette sous l’assiette de l’enfant, le rapprocher de la table, et lui tenir la main, l’empêchant ainsi de bouger.
    Mettre l’enfant en sous-vêtements pour manger.
    Empêcher l’enfant de dormir parce que c’est l’heure du repas.
    Empêcher l’enfant de manger tout seul parce qu’il va se salir.
    Critiquer la nourriture devant l’enfant que l’on forcera à terminer.
    Mélanger tous les aliments dans l’assiette.
    Laver le visage de l’enfant avec un gant d’eau froide, sans le prévenir, par derrière.
    Lancer le pain à l’enfant, ou les gants à la fin du repas.
    Racler systématiquement la bouche de l’enfant avec la petite cuillère.

      Autour du soin

    Parler entre adultes durant un change.
    Faire des commentaires sur l’hygiène de l’enfant, sur son anatomie, sur ses petits maux.
    Sentir la couche des enfants avant de les changer.
    Ne pas parler à l’enfant durant un soin.
    Prendre un enfant pour le changer sans le prévenir.
    Dire à un enfant qu’il est sale, qu’il est gros, qu’il est moche, qu’il pue.
    Empêcher l’enfant d’aller aux toilettes.
    Laisser longtemps l’enfant sur le pot, jusqu’à ce qu’il y ait quelque chose dedans.
    Gronder un enfant qui fait caca, alors que l’on vient juste de le changer.
    Parler devant tout le monde d’un souci concernant l’enfant dont on s’occupe.

      Le sommeil

     Forcer un enfant à dormir.
    Ne pas coucher l’enfant lorsqu’il a sommeil.
    Réveiller rapidement un enfant qui dort.
    Ne pas faire de réveils échelonnés lors des siestes.
    Discuter à haute voix dans le dortoir alors que les enfants essaient de s’endormir.
    Laisser les enfants dans leur lit lorsqu’ils sont bien réveillés pour attendre que tous les autres enfants soient réveillés.

      Au fil de la journée

     Appeler les enfants uniquement par des surnoms ne respectant pas leur véritable identité.
    Juger.

    Dévaloriser.
    Parler à l’enfant à la troisième personne (« Sébastien n’est pas gentil, il a encore tout renversé ! »).
    Certains comportements de parent inciteraient également le professionnel à juger celui-ci en présence de l’enfant :
    - le parent qui arrive systématiquement en retard,
    - le parent qui amène son enfant pas changé le matin,
    - le parent qui ne semble pas faire confiance aux professionnels.
    Enfin, certaines organisations, au cours de la journée seraient porteuses de douces violences. Les changes collectifs imposés, les réveils non échelonnés, le déshabillage systématique à heure fixe, avant de passer à table, pour que les enfants ne se salissent pas à table et soient couchés plus rapidement après le repas...

      Dérives non négligeables

     Il s’agit donc bien de plusieurs dizaines de dérives rapportées par les professionnels ou directement observées sur le terrain. Un constat alarmant, lorsque l’on sait que certains enfants passent plus de dix heures par jour dans ces institutions.
    Il est donc urgent que chaque professionnel fasse le point sur certaines pratiques quotidiennes, et comprennent que chaque moment passé avec un enfant est important, qu’il n’a pas le droit de ne pas mener à terme une relation, que c’est un véritable engagement qu’il doit impérativement tenir, et que l’enfant, telle une « éponge sensorielle », se construit à partir de ce que va lui donner l’adulte.

     Mais finalement, en quoi ces situations sont-elles réellement violentes ?
    Parmi les exemples donnés, certains parlent d’eux-mêmes : forcer un enfant, sentir les fesses d’un enfant en lui disant « tu pues », maintenir l’enfant couché, sont des situations que beaucoup peuvent se représenter comme étant violentes. Certains gestes en revanche, comme moucher un enfant sans le prévenir, ou lui attacher la serviette autour du cou sans le regarder peuvent ne pas nous interpeller. Manque de respect ou atteinte directe à l’enfant, les conséquences sur le développement de la personnalité sont pourtant bien réelles. L’enfant a besoin de relations stables et respectueuses pour grandir. L’adulte tient un rôle fondamental, c’est avec lui que l’enfant se construit. En ayant confiance en l’adulte, l’enfant grandit en ayant confiance en lui-même. Cohen-Salmon parlait de la construction de son autonomie.
    Si nous reprenons chaque situation, il est aisé de comprendre qu’elles portent toutes atteintes à la personne qu’est l’enfant. Répétées, elles s’inscrivent dans le patrimoine affectif de l’enfant. Chaque professionnel est responsable de cette relation à l’enfant. Chacun doit réfléchir sur ses pratiques professionnelles, et connaître ses propres limites. Le terme de « violence » choque souvent, « trop fort » pour certains, « trop accusateur » pour d’autres, il dérange.
    Pourtant c’est bien une violence que de ne pas considérer l’enfant, c’est bien une violence que de le mettre en situation d’échec.

      Un quotidien à interroger

     Pour mieux comprendre comment ces dérives ont pu s’infiltrer dans ces lieux pensés pour l’enfant, il faut dépasser les simples clichés, et analyser ces douces violences dans leur contexte. La crèche, la halte-garderie, le jardin d’enfants sont des institutions organisées autour de l’enfant, où des professionnels travaillent pour accueillir les enfants et leurs parents. C’est donc dans ce contexte dit « institutionnel » que nous allons articuler notre analyse.

     Ces douces violences ne sont pas le simple fait de pratiques professionnelles, c’est un phénomène très complexe qui met en jeu l’institution elle-même, la pédagogie, mais également toutes les relations instaurées dans le groupe, entre professionnels, entre enfants, de professionnels à enfants ou de professionnels à parents.

    Les structures d’accueil de la petite enfance concernent aujourd’hui près de 80 % des enfants âgés entre deux mois et demi et trois ans. Les équipes de professionnels travaillent depuis de nombreuses années sur l’accueil au quotidien de ces très jeunes enfants. Malgré cela, certaines pratiques professionnelles dérivent et une douce violence est venue parasiter la relation avec l’enfant.

     SCHUHL, C. 2005. vivre en crèche : remédier aux douces violences, Lyon, Chroniques sociales, p. 13-20

     
    1 Association Francaise Janusz KORCZAK (AFJK) http://korczak.fr

    2 - Comment se crée le lien

     La propreté

    « Oh, merde ! Tu es en train de me chier dessus… Tu pues… Maintenant, il faut que j’aille te changer le cul ! » L’enfant n’a pas 2 ans, il est brutalement posé à terre et énergiquement tiré vers le lieu de change. Il pleure. Détendu, sur les genoux de son père, il a laissé aller sa tension intestinale. La maturation neurologique pour la perception et la maîtrise sphinctériennes ne trouve son achèvement chez le petit de l’homme qu’aux alentours de 30 mois. Jusqu’à cet âge, l’enfant reste malhabile de son bassin et de ses membres inférieurs. Sa coordination motrice se construit.
                Ce père, aimant par ailleurs, ne réalise pas la violence de cette scène pour son enfant. L’incontinence excrémentielle inévitable ne devrait pas être vécue par les adultes comme quelque chose d’abject et de repoussant. Ce n’est ni bien ni mal, c’est une réalité qui ne peut se contrôler avant 3 ans et demi. C’est une étape de vie, un constat qui devrait échapper à tout jugement. « Tu pues… Je dois te changer le cul… »,autant de mots aussi blessants qu’incongrus, comme si l’enfant tout entier n’était devenu qu’une merde à jeter. « Je sens que tu as fait dans ta couche. Viens, je vais la changer, en mettre une propre, tu seras plus à l’aise », préparer la continence, la valoriser en un bien-être auquel l’enfant aura plaisir à accéder.
                Avant la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989, l’enfant était admissible en maternelle à 3 ans et demi quand il était propre. Depuis cette date, l’école peut accueillir les enfants dès l’âge de 2 ans, la propreté ne pouvant plus être exigée, mais étant seulement « souhaitée ». Cela a pour conséquence de réactiver le « dressage » à la propreté, alors qu’aujourd’hui les spécialistes sont unanimes : on ne doit pas forcer l’apprentissage de la maîtrise sphinctérienne. La connaissance des enfants s’affine de plus en plus et, dans la réalité, leurs étapes ne sont pas plus respectées…
                « Touche pas, c’est caca ! » Le mot caca peut remplacer tout et n’importe quoi, en fait tout ce que les parents veulent interdire. Dès l’autonomie gagnée par la marche, le monde pour certains enfants n’est plus un lieu de découvertes multiples, mais un « monde-caca » à fuir. « C’est pour qu’il comprenne qu’il ne doit pas toucher », m’explique une mère. Le monde est réduit au caca-pas caca… et lui aussi ne peut se vivre que dans cette alternative : objet rejeté ou congratulé.
                Il est vrai que c’est une période épuisante pour les mères : veiller sans cesse, trouver le mot juste, encourager ou limiter la liberté, savoir « perdre du temps » à court terme pour apprendre le geste approprié, comme : boutonner, lacer, s’essuyer, se laver, porter, ranger, fermer après avoir ouvert, se servir à table, etc. Pour que les actes et les mots soient en accord, il faut prendre le temps. L’enfant va éprouver les limites de ses possibilités, de ses envies et la véracité des paroles tutélaires. Comme nous l’avons déjà vu, c’est à ce stade que l’enfant apprend à se connaître, à apprivoiser ses besoins, à patienter, à demander. Grâce à la parole échangée et donnée, il va prendre corps et entrer dans le temps. C’est par la parole échangée qu’il va sortir du besoin premier « Moi tout seul », « Pour moi tout seul » et « A moi tout de suite ». Il va découvrir les difficultés, les étapes nécessaires, les contraintes, les joies et la satisfaction différées.
                Très tôt, l’enfant est sensible à la politesse. Saluer un enfant par son nom, précéder les demandes par un « s’il te plaît », tout cela fait partie de la socialisation. C’est le reconnaître comme une personne à part entière.
                Le grand pédiatre Robert Debré vouvoyait les nourrissons en les saluant par leur prénom et leur nom. Françoise Dolto recommandait : « Soyez avec un enfant comme devant une personne de marque, respectueux de lui et de son devenir ».
                A ce jeune âge, le désir d’un enfant, c’est d’avoir ou de prendre. Il veut être fort et se trouve souvent impuissant : devant l’échec, il devient coléreux. Avec son corps, il exprime sa tristesse, son attente, sa désillusion, comme durant les premiers mois il exprimait ses besoins vitaux par des cris. Sa parole n’est pas assez développée pour qu’elle puisse exprimer le désir.
                Nous devons aider à mettre des mots, à humaniser et dégager l’enfant de la confusion entre besoin et désir : soutenir le désir et ne pas satisfaire tous les besoins.

      Les limites

    […]
                L’enfant a besoin de structures et de repères. L’interdit ouvre une voie vers le désir. Je parle de l’interdit structurant et non des interdits absurdes ou des non-dits de la vie courante. Les non-dits peuvent venir d’une précaution prise par les parents chez eux, mais que les enfants ne rencontreront pas dans une autre maison. Toutes les prises électriques n’ont pas forcément des caches, tous les médicaments ou produits ménagers dangereux ne sont pas forcément hors de portée des enfants ou mis sous clé. Les portes de voiture ne sont pas toutes verrouillées, etc. Il y a des précautions qui mettent l’enfant en danger en dehors de chez lui par manque de paroles ouvertes au monde.
                Cela arrive tous les jours, et sans cesse, qu’un enfant veuille se saisir d’un jouet, d’un goûter, d’un objet qui ne lui appartient pas. Il peut mordre ou taper celui qui lui résiste ou donner des coups de pied à celui qui s’interpose. Comment intervenir ? Il ne peut s’agir de porter un jugement moral. Une attitude tranquille et ferme, compatissante, aidera l’enfant à surmonter sa colère jalouse. La fermeté à laquelle il se heurte va le rassurer et lui servir de support pour se structurer.
                Si l’enfant est dans la peur de l’autre, il se ferme. La tranquillité de l’adulte fait tomber cet enfermement. L’intervention doit être placée sous le signe du respect de l’enfant devant ses difficultés. Elle doit témoigner d’une présence à côté de lui, d’une aide, d’un accompagnement. L’enfant n’est plus abandonné à ses pulsions. Cette violence en lui veut tuer la vie, tuer les liens, abolir les différences, nier la parole, supprimer l’autre. Mettre des mots sur ce refus, ne pas céder à la poussée de ses exigences et à cette volonté rageuse est essentiel.
                L’enfant vit parfois ses journées comme une succession d’interdits, de contraintes ; il est nécessaire de trouver une manière de canaliser son agressivité, sa vitalité, sa curiosité. Un enfant très physique a besoin de se mesurer à l’espace : courir, grimper, sauter, shooter, lancer, jeter, chaque action a ses contraintes et ses joies, rien ne peut se faire n’importe comment. Il y a toujours une façon de partager ces joies et ces découvertes et de lui ouvrir des possibilités en les cherchant avec lui. « Nous allons trouver un endroit où tu pourras lancer tout ce que tu veux. »
                L’enfant pense souvent que l’adulte peut tout et lui rien. Il vit parfois son enfance comme un temps d’impuissance, tellement il est rabroué, rabaissé et rejeté au lieu d’être soutenu. Il arrive fréquemment qu’il ne mesure pas que l’adulte est soumis aux mêmes lois de la vie, comme celle qui interdit de frapper ou d’être frappé.
                Combien de parents tapent leur enfant quand il tape, pour lui interdire de taper ! Quelle logique et quel irrespect ! Les mains partent parfois plus vite que la pensée, mais il est toujours possible de s’excuser ! Taper, c’est inscrire la vie dans un rapport de forces et non dans un échange langagier. La loi du plus fort commence là. « Ferme ta gueule », dit l’enfant. « Je t’en donne une », répond la mère. C’est sans fin.

     […]
                Nous pourrions décliner toutes les gammes de comportement à l’infini et découvrir pour chacun de nous comment s’est passé cette période nodale. Comment le monde s’est-il ouvert ou fermé ? Dans quelle sécurité ou insécurité avons-nous tissé la relation à l’autre ?
                L’enfance maltraitée, carencée à cette période en garde la trace douloureuse. La violence y prend sa source. La trace des mains tendues est aussi source de vie. Une rencontre peut changer l’univers d’un individu. La répétition n’est pas inéluctable, elle est surtout une demande aiguë de trouver une autre réponse. Ce n’est pas de l’angélisme, c’est une réalité humaine. Quand il n’en peu plus de haine, l’homme est aussi prêt à basculer hors de la violence, encore faut-il que le tissu social le permette et qu’il le désire. Pouvons-nous désirer ce que nous ne connaissons pas ? D’où l’importance de créer un accompagnement, des relais qui ouvrent à d’autres dimensions.
                Françoise Dolto a écrit : « Si la dignité humaine de l’enfant est respectée en paroles et en actes, l’enfant intégrera parfaitement l’interdiction de tout comportement qui se fait au détriment d’un autre. Il intégrera également l’interdiction de se nuire sciemment à lui-même ou de nuire à un autre. Cette interdiction du vol, du rapt, de l’agression sur des personnes ou sur des objets qui appartiennent à autrui, doit lui être verbalement signifiée. L’enfant comprend et admet parfaitement ces restrictions à ses pulsions quand il voit les adultes se soumettre eux-mêmes à ces règlements, surtout si ces adultes n’usent pas à son égard de leur force physique, le traitant, lui, comme un animal ou une possession dont ils disposent. »
                N’oublions pas que grandir veut dire s’assumer seul, apprendre à prendre soin de soi et ensuite des autres. Prendre de l’autonomie, ce n’est pas être abandonné, c’est porter en soi l’autre sécurisant et encourageant. L’enfant a besoin d’être accompagné dans sa prise de liberté pour pouvoir ensuite s’auto-materner6. Cet accompagnement prend du temps, de la patience, de la disponibilité.
                Il faut apprendre à se séparer, non pas pour soulager l’adulte tutélaire, mais pour vivre la fierté, la jubilation de s’assumer tout seul. C’est très difficile pour les parents quand eux-mêmes ont vécu cela comme un abandon ou une impossibilité d’ordre phobique. L’enfant a besoin d’être félicité pour ses avancées et consolé de ses échecs. « Il y a quelques jours tu n’y arrivais pas. Voilà, tu as réussi. Bravo. Chaque jour tu apprends, tu réussis de mieux en mieux. »

     Dalloz, D. 2003. Où commence la violence ? Pour une prévention chez le tout-petit, Paris, Albin Michel, p. 72 – 80

     
    6 E. Buzyn, Me débrouiller, oui, mais pas tout seul !, Albin Michel, 2001.

     3 - La qualité de la garde comme outil de prévention psychologique

      Qu’est-ce qu’un accueil de qualité ?

     S’il est entendu qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais type de garde en soi, sachons qu’il y a des façons de garder des jeunes enfants qui sont mieux adaptées que d’autres. C’est ce que l’on appelle couramment la qualité de l’accueil. La véritable question n’est donc pas de savoir quel type de mode d’accueil sera le meilleur pour l’enfant mais, là encore, ce qu’est un mode d’accueil de qualité. Qu’il s’agisse d’une assistante maternelle agréée, d’une crèche ou d’une solution au domicile des parents, quelques critères semblent contribuer au bon développement psychologique des jeunes enfants confiés pendant que leurs parents travaillent.

      Les parents ont-ils le choix ?

    Je considère qu’un accueil de qualité est un accueil personnalisé, qui préserve la sécurité affective des enfants, leur vitalité et leur dignité. C’est un mode d’accueil, enfin, où la place des adultes qui entourent l’enfant est clairement située. A mes yeux, un bon mode de garde pour un enfant est le mode de garde qui correspond le mieux à la sensibilité de ses parents – sensibilité évolutive s’ils s’aperçoivent, à l’usage, qu’ils se sont trompés. Ce changement doit être pensé, préparé et parlé avec l’enfant. Encore faudrait-il que les parents aient vraiment le choix, ce qui, compte tenu des carences de l’offre de garde en France, est rarement le cas. Le fait de se sentir obligé de confier leur bébé à une personne ou à une structure qui ne leur convient pas ressemble parfois à un premier traumatisme infligé à la responsabilité parentale. A l’heure où l’on se préoccupe de soutien à la parentalité, c’est un paradoxe.

     L’idée de préserver la continuité psychique de l’enfant à travers les changements et les différentes relations est au centre du travail des personnes qui s’occupent des bébés. Ceci requiert de la sensibilité, de la compétence, et du professionnalisme. Partir de l’enfant exige une organisation plus complexe et un engagement professionnel plus grand. La stabilité du personnel, sa formation, son implication, sa capacité à s’engager à long terme dans une relation privilégiée avec l’enfant sont des facteurs structurels de base d’un mode d’accueil de qualité. Une vraie professionnalisation des personnes s’impose. Elus et financeurs chargés d’organiser l’accueil des tout-petits devraient le comprendre. Ces professionnels de l’accueil devront être clairement considérés par eux-mêmes, par les parents, par la société et par l’enfant non pas comme des substituts maternels, mais comme des professionnels qu’il convient de motiver, de former, d’encadrer et de rémunérer de façon adéquate. A défaut d’un véritable engagement de la société sur la qualité des modes d’accueil, c’est l’équilibre psychique de l’enfant et de la mère qui risque de vaciller, et ce sont les professionnels qui viendront à manquer pour s’occuper des enfants.

     Ainsi, la séparation quotidienne peut s’avérer constructive si elle a du sens pour les accueillants, si elle est acceptée par les parents et si elle est préparée et progressive pour l’enfant. Il est important que les parents ne se sentent pas arrachés à leur enfant et que, lors de la séparation, ils puissent anticiper les retrouvailles. Comment le bébé appréhende-t-il le monde ? Comment réussit-il à prendre ses appuis psychologiques ? Peut-il retrouver du « papa-maman » dans les personnes et les lieux qui lui sont étrangers ? La période dite d’adaptation de quelques jours est indispensable à l’enfant pour prendre des repères rassurants, nouer des attachements multiples. Un mode d’accueil de qualité ne saurait se concevoir sans cette période d’adaptation prévue et organisée. Néanmoins, il faut aussi être en capacité de répondre à l’urgence. Parmi les critères de qualité, ajoutons la capacité à renoncer ponctuellement à certains principes. La qualité du mode d’accueil tient aussi à sa souplesse et à son adaptabilité aux besoins des parents et des enfants. Toute rigidité en la matière peut mener à des situations absurdes.

      La dignité des tout-petits

    La dignité des tout-petits passe par leur corps et les mots qui le touchent. Corps et langage ne font qu’un. Le bébé qui ne parle pas absorbe le sens des mots qui lui sont adressés à travers les résonances affectives dont le corps se fait l’écho. Les soins prodigués à son corps transmettent à l’enfant les sentiments de celui ou de celle qui s’occupe de lui. En ces instants de communication vraie, le corps d’un bébé est son espace psychique. Il est à la fois espace et contour de sa personne encore mal définie. Porter atteinte à la dignité des jeunes enfants laisse des traces dans leur inconscient. A un moment ou à un autre de leur évolution, elles peuvent produire des retards de développement, des inhibitions intellectuelles ou motrices, ou provoquer des attitudes de rébellions ou d’agressivité difficiles à comprendre et à juguler.

     L’expérience du suivi des enfants dans la vie courante permet d’affirmer que les effets bénéfiques d’un mode d’accueil sur le comportement et la socialisation des enfants peuvent se prolonger sur le long terme. Et ce, dans les cas où l’accueil des enfants est conçu dans un projet global qui inclut l’accueil, l’information, la participation et le soutien des parents ; les services et les personnes chargées de la garde des enfants devenant des acteurs efficaces prévention psychologique et sociale.

     L’accueil doit être professionnel

    Si l’on se réfère aux travaux de recherche menés depuis trente ans sur ce sujet, le constat est identique : le type de garde pendant les trois premières années de la vie n’a pas, en soi, d’effets négatifs sur le développement intellectuel, physique ou social des enfants. Que les enfants soient gardés par leur mère, en collectivité ou chez une assistante maternelle, ce qui est déterminant pour leur développement n’est ni le lieu ni la personne, mais la qualité de ce lieu et la qualité de la relation entre cette personne et l’enfant ; la garde extra-familiale pouvant même, dans certaines conditions psychologiques ou sociales, avoir des effets plutôt favorables sur le développement et l’équilibre psychologique des enfants. A ce titre, une bonne relation en crèche ou chez l’assistante maternelle est préférable à une présence maternelle agressive ou dépressive. De plus, les qualités stimulantes du lieu et des personnes qui s’occupent des enfants favorisent l’éveil intellectuel et le développement psychomoteur des jeunes enfants quel que soit leur milieu d’origine, mais avec, cependant, une surdétermination du milieu socioculturel des parents.

     S’il n’est pas familial, l’accueil doit être professionnel, c’est-à-dire garanti par une formation initiale et permanente. Les personnes qui prennent en charge des jeunes enfants sont mises à rude épreuve au quotidien. Plus l’enfant est jeune, moins ses moyens d’expression et son autonomie sont développés, et plus le travail est difficile et subtil. Plus l’enfant est dépendant, plus la responsabilité des adultes est grande. Sachons-le, la prévention coûte toujours moins cher que la maladie, l’échec et l’exclusion sociale. Les modes d’accueil sont des lieux d’accompagnement, des outils efficaces de dépistage précoce des troubles psychologiques ou physiques des enfants, des lieux à effets thérapeutiques concernant la relation entre parents et enfants. Des informations entre professionnels et entre parents circulent sur la santé, l’éducation et les ressources locales. La socialisation des enfants aide à lutter contre l’isolement des parents. Et tout cet ensemble contribue à faire de la garde de l’enfant un véritable agent du lien familial, social et donc, de prévention psychologique.

      Giampino, S, psychanalyste, psychologue petite enfance, 2002. Extrait de « la crèche comme symptôme », Dossier : modes de garde, modes d’accueil : quelles évolutions ?, Paris, Informations sociales, p. 92 – 94

    4 - Que faire de cette douce violence ?

     L’enfant veut que nous le prenions au sérieux,
    il a besoin de notre confiance et de nos conseils,
    l’enfant a le droit à la vérité et à ce que les adultes
    lui tiennent un langage de franchise et de sincérité.

    Janusz Korczak,
    Comment aimer un enfant
    Robert Laffont

    Des pistes à creuser

    Nous ne pouvons prétendre aujourd’hui pouvoir supprimer toutes les situations de douces violences, tant le phénomène est complexe. Observées sur le terrain ou analysées en formation, ces dérives sont toujours le résultat d’une combinaison étrange entre conditions de travail, relations entre les personnes, et démarche pédagogique. Il est donc impossible de donner une solution unique. En revanche, les pistes de travail sont très nombreuses. Elles touchent l’institution dans son mode de fonctionnement, le travail en équipe, avec ce qu’il engendre, l’organisation pédagogique et ses projets, mais également le vécu et la position de chaque professionnel, sans oublier la relation à l’enfant. Autant de domaines qu’il est intéressant d’analyser, de discuter avec bon sens et honnêteté. Bien sûr, chaque collectivité a son propre mode de fonctionnement, sa propre histoire, son équipe, ses familles, son quartier. De nombreux paramètres tels que les aspects sociaux ou politiques sont à prendre en considération. Il ne s’agit donc pas d’énumérer des recettes miracles, ni de plaquer d’inconditionnels « il faut que ». Des pistes existent qui devront être prises comme des hypothèses de réflexion et se rattacher aux conditions réelles de chaque institution. Certaines ouvriront des portes à la réflexion, d’autres bousculeront davantage les habitudes. A chacun sa démarche et son désir de faire changer les choses. Nous ne devons pas subitement révolutionner tout un système qui fonctionne plutôt bien. Il s’agit bien plus d’en comprendre les failles pour nous donner les moyens d’y remédier. Peu à peu, réunions après réunions, les pratiques professionnelles pourront évoluer. Ce sera un changement important, qui devra s’accompagner de beaucoup de patience et de tolérance et qui ne pourra se faire qu’avec le temps.

    Chaque collectivité, chaque équipe, chaque professionnel, chaque enfant a besoin de temps pour accepter et comprendre les bienfaits d’un changement.

    Même si les pistes d’analyse sont très nombreuses, la réflexion se construira peu à peu, et se structurera autour de divers projets. Les potentialités des professionnels de la petite enfance sont extraordinaires, mais encore trop souvent parasitées par les histoires personnelles et autres soucis institutionnels. Il est important aujourd’hui de construire une véritable réflexion d’équipe, en commençant par définir l’équipe. C’est une première piste intéressante car elle permet une approche institutionnelle intéressante et dépourvue de toute culpabilisation pour les professionnels.

    Qu’est-ce qu’une équipe ? De quoi se compose-t-elle ? Qui fait quoi, quand, et comment ?

     Pratique personnelle et travail d’équipe

    A partir des profils de poste, chaque professionnel définit ses tâches, ses fonctions, et prend ainsi connaissance des fonctions de ses collègues et de la complémentarité des professions. Ce travail, à première vue bien loin des douces violences, entraîne toute une réflexion sur la place de chacun vis-à-vis de l’institution, des collègues et des familles accueillies. Il favorise le positionnement et instaure une place officielle à chaque membre de l’équipe. Replacée ensuite dans le contexte de la relation à l’enfant, cette réflexion amène les professionnels à réfléchir sur leur propre rôle. Le débat se tourne vers les compétences et les objectifs de chacun, pour peu à peu autoriser le professionnel à définir le travail en équipe.

    Le professionnel prend conscience du besoin d’un soutien mutuel, de la richesse des compétences des autres et construit des projets en collaboration avec l’équipe. Le travail en équipe est défini, tant d’un point de vue matériel (comme les horaires, les roulements, les coupures, les vacances), que d’un point de vue pédagogique, où l’on se partage les taches, sans avoir à prouver quelque chose à l’autre. Il n’y a pas d’esprit de compétition et l’enfant reste toujours au centre des préoccupations.

    Le rapport à la hiérarchie, complète également cette démarche. Il est important que l’équipe encadrante joue entièrement son rôle afin que les équipes se sentent soutenues dans leurs projets et leur réflexion.

    Ce travail permet de poser un cadre institutionnel réel, sur lequel tout professionnel peut s’appuyer et se sentir reconnu statutairement et individuellement.
    Au fil du temps, les réflexions évolueront et la maturité de l’équipe autorisera alors les remises en question. Pour ce faire, il faut du temps, mais aussi des groupes de paroles.
    Dans un quotidien professionnel sans histoire chacun devrait pouvoir dire ses difficultés, ses interrogations, ses préférences ou ses réussites. C’est encore souvent entre deux portes que les paroles s’échangent trop vite, trop maladroitement, presque toujours en présence des enfants. Lors de réunions, lorsque chacun peut parler simplement de ce qu’il fait, de ses difficultés, ou de ce qu’il réussit, les pratiques peuvent changer au rythme de la réflexion de l’équipe. Il était important d’amorcer une prise de conscience collective pour que les pratiques professionnelles puissent évoluer.
    Ces temps de paroles sont l’oxygène des équipes. Ils permettent de prendre du recul, de se décharger de certaines tensions ou d’être tout simplement ensemble, uniquement entre adultes. Dans une estime mutuelle annoncée au départ, c’est un moment où l’on apprend à ne pas juger, à se défouler si nécessaire, à se poser et à discuter. Ces espaces de paroles sont fondamentaux et très formateurs pour le professionnel qui peut aborder le groupe d’enfants avec davantage de disponibilité. L’honnêteté vis-à-vis de ses collègues et des enfants est également très importante. C’est légitime de reconnaître ses difficultés, c’est respecter l’enfant que de lui dire que Cathy n’est pas là aujourd’hui, et que nous avons moins de temps pour l’aider à manger, ou qu’il faut se changer la couche un petit peu plus rapidement que d’habitude.
    Enfin, toujours dans cette optique institutionnelle, le devoir de discrétion est à étudier avec insistance. Il rejoint le travail sur la position professionnelle. Ce devoir ne devrait plus faire défaut et il y a urgence à ce que les professionnels changent leurs habitudes de critiquer ou définir toute personne quelle qu’elle soit, même en connaissance de cause. Trop de douces violences sont dues à ces défauts de discrétion. Trop d’enfants en souffrent vraiment.

     Un acte pédagogique au quotidien

    La pédagogie va prendre le relais. Chaque manière d’être avec l’enfant est définie comme un acte pédagogique. Les équipes doivent se donner les moyens de s’interroger sur leurs actes, leurs projets. Pour qui sont-ils ? Pourquoi ? Et surtout où est l’intérêt de l’enfant ?
    Cette question doit rester au centre de toute décision. Il faut oser remettre en question ce qui se fait depuis longtemps, pour en évaluer l’intérêt pour l’enfant. Chaque moment passé avec l’enfant doit donner du sens à la relation. Encourager un enfant, lui expliquer que l’on n’est pas d’accord avec lui, le féliciter, sont des actions qui reconnaissent l’enfant dans son individualité et qui donnent un sens à la relation instaurée. En d’autres termes, ce n’est pas parler pour parler, mais bien reconnaître l’enfant comme un individu sensible et intelligent.

    Plus globalement, l’aménagement de l’espace contribue également à supprimer certaines douces violences dues à l’agressivité des enfants. L’enfant a besoin de faire des découvertes tout seul. Jouer, manipuler, transvaser va lui permettre de connaître des sensations uniques et essentielles pour ses apprentissages. Les jeux mis à sa disposition sont indispensables. L’agencement des pièces, l’occupation de l’espace ont un rôle important pour que l’enfant découvre à son rythme un environnement conçu pour lui.

    Un matériel qui évolue donne aux enfants de nouveaux centres d’intérêts. Un environnement adapté aux besoins de la collectivité facilite le calme. Chaque professionnel doit pouvoir se diversifier dans les activités proposées et innover.

    L’ambiance qui se dégage d’une pièce où jouent des enfants est un baromètre extraordinaire pour connaître leur bien-être. Maria Montessori a beaucoup travaillé sur l’importance de l’ambiance pour l’équilibre de l’enfant. Elle faisait remarquer que le matériel pédagogique, son organisation mais aussi le professionnel contribuaient largement à l’ambiance générale d’un lieu d’accueil. Plus l’ambiance est calme, sereine, exempte de tensions exprimées ou retenues, plus les enfants se sentent bien. Cette sécurité affective est nécessaire pour que l’enfant trouve ses repères et renforce sa confiance en lui.

    Plus précisément encore, il y a l’acte lui-même posé sur l’enfant. Nous nous devons d’évaluer les mots prononcés, les gestes qui les accompagnent, les non-dits ou encore une agressivité retenue. Par habitude, le professionnel aurait peut-être parfois tendance à faire les choses mécaniquement, machinalement. Pouvoir l’exprimer et le comprendre permet de redonner à l’interaction entre l’enfant et l’adulte un sens et surtout de souligner toutes les douces violences qui en découlent.

    Dans ces gestes et ces paroles qui stimulent, encouragent, enveloppent, rassurent, il faut pouvoir repérer ceux qui forcent, dévalorisent, brutalisent. Il est intéressant de décortiquer les scènes de la vie quotidienne afin de les repérer car ce sont des douces violences souvent très « incrustées » dans les pratiques professionnelles et difficilement admises.

     Renforcer une démarche professionnelle

    Au-delà du pédagogique, il y a tout ce qui concerne le professionnel, dans sa manière de fonctionner. Par son histoire personnelle, ses attentes professionnelles et sa vie privée, il lui faudra trouver une position professionnelle équitable, où sa vie privée pourra tenir une place discrète. La tolérance, le respect de l’autre doivent être au centre de sa pratique. Il lui faudra apprendre l’humilité. Travailler auprès de jeunes enfants ne s’improvise pas à partir d’une gentillesse naturelle. C’est un métier qui s’apprend, et qui demande de nombreuses années d’expériences pour en comprendre les enjeux.
    Par professionnalisme, il faut accepter de se remettre en question et de ne pas se laisser entraîner vers des a priori infondés. Accepter que nous dérivons et que nous faisons parfois des douces violences est un constat sévère. Il faut l’admettre. Pour nous y aider, nous devons re-situer la relation à l’enfant dans son contexte institutionnel et nous distancer de nos émotions.
    En apprenant à nous connaître et à parler de notre pratique professionnelle, nous élaborons une garantie relationnelle vis-à-vis des familles et de l’institution toute entière.
    Il faut se rendre compte que bien des mots, des gestes, des attitudes peuvent fragiliser l’enfant.
    Ce quotidien passé auprès de lui influence son devenir et la construction de sa personnalité. Nous devons réaliser notre grande responsabilité.
    Les familles attendent beaucoup de nous, il faut les entendre tout en sachant rester référent de l’organisation institutionnelle.
    L’enfant espère tout de nous, il ne faut pas le décevoir, tout en lui construisant des repères et des limites. Nous devons accepter ses moments d’euphorie, d’excitation, de câlin ou de concentration. A chacun de trouver sa manière de construire sa relation avec l’enfant et avec le groupe d’enfants, tout en sachant que les douces violences peuvent nous dépasser. Elles sont souvent des solutions spontanées à des situations que nous ne maîtrisons pas et il nous faut les éviter. Quand bien même nous nous apercevons que nous dérivons nous devons pouvoir reprendre avec l’enfant. Nous autoriser à lui dire que nous n’aurions pas dû lui exprimer qu’il ne sentait pas bon, ou qu’il a été méchant.

     Entendre l’enfant

    Acceptons aussi que l’enfant puisse saturer de la collectivité, acceptons-le, et essayons de sortir l’enfant du groupe de manière à le laisser récupérer, calmement. Ecoutons l’enfant agressif, observons-le et surtout ayons confiance en lui. Chaque enfant possède de multiples potentialités, et même s’il ne grandit pas comme nous le souhaitons, acceptons de le voir faire à sa manière et à son rythme.
    L’enfant a besoin de respect et de repères. Le parent a besoin de savoir ce que fait son enfant durant son absence. Le professionnel a besoin de valider son travail quotidien auprès des enfants. Ces trois éléments fondamentaux sont à prendre en compte dans toute démarche pédagogique, car ils légitiment la place de chacun. Les activités dirigées, les temps de vie commune sont le cœur des projets pédagogiques mais il ne faudrait pas pour autant en oublier le rêve et la spontanéité.
    Les douces violences deviennent un réflexe parce que l’on ne prend plus le temps d’expliquer, de faire, de terminer. L’enfant est sans cesse sollicité. Il a pourtant le droit de dire que c’est difficile d’être toujours en groupe, il a le droit de ne pas participer. La pédagogie doit en tenir compte et permettre de moduler cette notion « d’être ensemble ».

     Respecter l’histoire de l’enfant

    L’enfant possède un prénom qui lui a été donné par ses parents. Il fait partie de son identité. Le professionnel se doit de le respecter, même si les parents surnomment leur enfant. L’histoire de chaque enfant s’inscrit dans un processus compliqué que nous devons accepter. Il est important que des passerelles se créent au fil du temps entre les professionnels et les parents. Elles serviront de points d’appui à l’enfant et lui permettront de grandir en toute confiance. Et même si ces passerelles ne peuvent se créer, l’enfant a le droit d’avoir sa place au sein de la collectivité.

    Enfin, il n’y a pas d’enfant méchant, il n’y a pas d’enfant paresseux, il y a des personnes en devenir qui découvrent le monde avec leur propre sensibilité et leur propre histoire, à nous de leur apprendre à être fiers d’eux… même si, pour l’enfant et le professionnel, les chemins peuvent être parfois périlleux. Qu’il s’agisse de l’institution à définir, de pédagogie, d’histoires personnelles, ces pistes de travail restent non exhaustives. A chaque équipe de trouver sa propre démarche et d’y ajouter d’autres éléments de réflexion. Le temps, de son côté, tel un précieux « digestif » permettra aux pratiques professionnelles d’évoluer lentement.

     SCHUHL, C. 2005. vivre en crèche : remédier aux douces violences, Lyon, Chroniques sociales, p. 55 - 60

      Bibliographie

    DALLOZ, D. 2003. Où commence la violence ? Pour une prévention chez le tout-petit, Paris, Albin Michel, p. 72 - 80.

    SCHUHL, C. 2005. Vivre en crèche : remédier aux douces violences, Lyon, Chroniques Sociales, p. 13 - 20 ; 55 - 60.

    GIAMPINO, S. 2002, « La crèche comme symptôme », Informations sociales, N° 103, p. 92-94.

     

     

     


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  • « La douce violence » dans les établissements d’accueil du jeune enfant. Comment y remédier et repenser nos pratiques professionnelles, aujourd’hui ?

    Synthèse des documents

     « Que tu es vilain quand tu pleures - hou la vilaine petite fille qui fait un caprice. » Ou encore, « Je ne t'aime pas quand tu fais cela - y a des baffes qui se perdent ». Des paroles semble-t-il sans conséquence, et pourtant… Des phrases que certains ont l’habitude de prononcer que d’autres réprouvent.

    Ces exemples pourraient très bien être cités par Schuhl C. éducatrice de jeunes enfants. Elle nous présente dans son livre intitulé Vivre en crèche : remédier aux douces violences, édité par Chroniques sociales en 2005, ce que sont les « douces violences » et comment y remédier. Tandis qu’en 2002 la revue informations sociales fait paraitre un article de Giampino, psychologue et psychanalyste sur « la qualité de garde comme outil de prévention psychologique ». Quant à Dalloz D., psychanalyste, elle dénonce les méfaits de la violence sur le jeune enfant dans son livre où commence la violence ? Pour une prévention chez le tout-petit. Cet ouvrage édité par Albin Michel, date de 2003. Ces trois auteurs sensibles à l’intérêt que l’on porte au jeune enfant, font apparaître un problème majeur de notre société. En effet, elles suscitent une réflexion sur la douce violence dans les établissements d’accueil des jeunes enfants. Comment y remédier et repenser nos pratiques professionnelles, aujourd’hui ?

    Cette réflexion est basée autour de trois axes. Pour commencer, il s’agit de définir et repérer ce qu’est la « douce violence ». Elle est suivie par une analyse des répercussions de cette violence sur le développement psychologique du jeune enfant. Pour finir, des pistes de travail sont proposés pour améliorer nos pratiques professionnelles en structure d’accueil du jeune enfant.

    On ne peut aller plus loin sans définir les termes de « violence » et « douce ». Le Petit Larousse (1999) décrit la violence comme « l’extrême véhémence, outrance dans les propos, le comportement ». Tandis que l’adjectif « douce » signifie «qui manifeste de la douceur, de la bonté, de la gentillesse » ou encore « qui procure une sensation agréable, un sentiment de bien-être ».

    Schuhl C. associe ces deux termes pour nommer les gestes et les maladresses verbales de l’adulte envers l’enfant. Elle précise que « ce n’est pas de la maltraitance » mais que « c’est une sorte de ressenti immédiat que l’adulte va faire vivre à l’enfant sans forcément prendre conscience de ses conséquences ». Dalloz D. souligne ce caractère non intentionnel de l’adulte dans son exemple intitulé la propreté.

    Devant ce constat, Schuhl propose d’établir un travail d’identification de ce phénomène. Ainsi les professionnels eux-mêmes ont listé toutes sortes de pratiques journalières caractéristiques de la « douce violence ». Ce sont des situations principalement repérées lors des moments forts de la journée de l’enfant en crèche. Et cela commence dès son arrivée. Schuhl cite les conversations échangées devant les enfants, « au-dessus de leur tête », les critiques négatives sur l’enfant et sa famille. Elle considère aussi l’accueil peu chaleureux de la part du professionnel envers les parents comme faisant parti de cette « douce violence ». Outre, le moment de l’accueil du matin et du soir, ces déviances professionnelles se produisent aussi lors des activités ou des jeux libres. Là encore, Schuhl dénonce les commentaires négatifs qui dévalorisent ou rabaissent l’enfant. Parfois, dit-elle, cela peut être le simple fait de discuter entre professionnels pendant que les enfants sont en « jeux libres ». Ces mêmes comportements existent aussi au moment des repas, du soin et de la sieste. Parmi Les situations présentées par Dalloz D., l’une d’elles met en scène un père et son enfant. La psychanalyste explique que le père par son comportement et ses paroles à « violenter » son enfant sans même le savoir. En effet, lorsqu’il lui dit « tu pues… maintenant il va falloir te changer le cul !... », il met son enfant en situation d’échec. Or, l’éclaircissement apporté par Dalloz D. nous indique qu’à son âge l’enfant ne peut maîtriser ses sphincters. De surcroit, Schuhl C. dénonce dans ses propos le jugement de valeur émis par les adultes sur les enfants.

    Ainsi, ces attitudes répétées génèrent chez l’enfant un sentiment « d’insécurité affective ». C’est la raison pour laquelle Schuhl parle de « dérives non négligeables ». De même Dalloz D. évoque les conséquences de ces déviances. Quant à Giampino, elle met en avant l’intérêt de « préserver la continuité psychique de l’enfant ».

    En conséquence, ces comportements déstabilisent et perturbent l’enfant dans son développement psychique. Giampino S. parle de « la dignité des tout-petits ». Elle explique que le jeune enfant est sensible aux faits et gestes de l’adulte. C’est par ce contact, cette proximité qu’il va élaborer une identité personnelle. Elle dit clairement qu’une atteinte à sa dignité est génératrice de séquelles et laisse une empreinte dans son inconscient. De plus, elle souligne que l’enfant peut avoir des retards au niveau du développement cognitif et moteur. Cela peut même provoquer des comportements agressifs. Schuhl reprend cette idée en parlant de « patrimoine affectif ». Elle note le rôle primordial de l’adulte dans la construction de l’enfant. C’est pourquoi dit-elle,  le manque de respect à l’enfant à des conséquences sur son développement psychique. Quant à Dalloz D. au travers de l’exemple qu’elle donne autour du thème de la propreté, met en exergue l’inconvenance des propos du père adressés à son enfant. Elle dénonce la violence faite à l’enfant par le « dressage à la propreté » ou encore par la présentation d’un monde « caca ou pas caca ». Elle précise que cette violence inscrit l’enfant dans une relation ambiguë, où il se sent impuissant parfois félicité, parfois rejeté. Enfin, elle ne manque pas de mettre en lumière des comportements incohérents de la part de parents soucieux du bien être de leur enfant. Ce sont des interdits à outrance, des non-dits qui mettent l’enfant en danger lorsque celui-ci se retrouve dans un contexte autre que celui de son quotidien. De surcroît, Dalloz D. met en avant le manque de communication entre les parents et l’enfant qui favorise ces non-sens. De ce fait, d’après l’auteur, des parents qui frappent leur enfant pour leur faire comprendre qu’il ne faut pas frapper est non-sens.

    Que ce soit Schuhl, Dalloz ou Giampino, chacune d’elles expriment les comportements et les actes néfastes au bon épanouissement général de l’enfant. Elles en décrivent les conséquences et suggèrent quelques pistes de réflexions pour remédier à ces attitudes inappropriées.

    Au regard de cette réalité, Schuhl invite chacun à s’interroger sur ses pratiques professionnelles et à évaluer l’importance de sa relation à l’enfant. D’après elle, le problème est complexe. Il est la résultante d’une conjoncture entre une institution et une pratique professionnelle. Elle touche du doigt les difficultés liées à la pédagogie mise en place et à la relation établie entre chaque protagoniste. D’après elle, il s’agit d’abord de redéfinir la notion d’équipe, puis du cadre hiérarchique. Ensuite, elle s’attarde davantage sur la personnalité du professionnel. Elle l’invite à s’interroger sur lui-même. Par rapport à ce qu’il est en tant qu’individu porteur d’une histoire personnelle. Mais aussi, par rapport à ce qu’il fait et/ou veut faire en qualité de professionnel. Elle met en évidence la limite à ne pas franchir entre la vie personnelle et la vie professionnelle et les efforts que cela suppose. D’autre part, elle mentionne l’importance d’avoir des moments d’échanges entre adultes pour confronter ses idées et échanger des suggestions de travail. De plus, elle propose une réflexion sur l’aménagement de l’espace, sur l’intérêt de l’enfant et le respect de son histoire.

    De même, Giampino aborde la question d’un cadre institutionnel de qualité. Mais pour elle c’est bien plus que les professionnels et l’établissement qui sont concernés. En effet, elle cite les élus, les financeurs et organisateurs de l’accueil de la petite enfance. Elle n’oublie pas d’inclure les parents, et même la société. Elle présente plusieurs critères de qualités spécifiques d’un bon accueil pour « préserver la continuité psychique de l’enfant ». Cela passe par une qualification et une stabilité du personnel. Mais aussi par une reconnaissance en tant que professionnel de la petite enfance. Giampino met l’accent sur la cohérence d’un règlement intérieur et du projet d’établissement. Pour garantir à chacun un accueil satisfaisant, elle évoque la nécessité d’une période d’adaptation. Mais, elle propose qu’il soit accepté des exceptions en cas de besoin pour ne pas tomber dans des situations aberrantes.

    Enfin, tout comme Giampino, Dalloz D. met à contribution chaque citoyen pour aider l’enfant à évoluer dans un environnement suffisamment bon. Elle conclue en disant qu’une enfance maltraitée ou malmenée n’est pas fatalement irréversible. Il peut toujours y avoir quelqu’un pour accompagner l’enfant en difficultés et lui montrer d’autres horizons.

    Au travers de ces textes, nous avons pu repérer un bon nombre de « douces violences » et en comprendre l’impact sur le développement du jeune enfant. Schuhl, Giampino et Dalloz, nous ont révélé plusieurs pistes de réflexions non négligeables et surtout ont mis l’accent sur le caractère non définitif des séquelles encourues.

    S’il est vrai que ses pratiques professionnelles sont repérables en établissement d’accueil de jeunes enfants, Dalloz a soulevé un problème bien plus inquiétant. En effet, ses mêmes pratiques sont utilisées par des parents, dans leurs foyers à l’abri des regards. Pire encore, ces comportements irrespectueux existent aussi en institutions qui accueillent des enfants ou des personnes en incapacité de se défendre elles-mêmes.

    Ceci devrait nous encourager à prendre soin de chaque enfant comme s’il était plus précieux que l’or périssable. Chaque être humain à le droit au respect de sa personne quelque soit son âge, son sexe, son origine. Nous ne devrions pas faire à l’autre (notre semblable) ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fasse. Hélas, si le mal nous a déjà été fait, rappelons-nous alors combien on aurait aimé que quelqu’un nous tende la main.

    Introduction

     « Arrête de pleurer, on dirait un hystérique ! ». « Ah ! Ce que tu pues, tu as encore fait caca ! ». Des phrases semble-t-il anodines mais oh combien traumatisantes pour un jeune enfant. Et celui-ci qui monte debout sur une chaise pour attraper un verre d'eau, et se fait sermonner… A l'heure où l'on reconnaît la déclaration des droits de l'enfant et où la maltraitance est condamnée par la loi, quand est-il de nos pratiques éducatives ? En avons-nous mesuré les effets sur le développement psychologique du jeune enfant ? Autant de questions et d'attitudes qui supposent une réflexion sur notre façon d'éduquer les enfants dans notre société.

     Autrefois, les structures d'accueil du jeune enfant étaient créées sur le modèle de l'hygiénisme. Puis, des pédiatres et psychanalystes tels que Dolto1, Bowlby2, Brazelton3 ont mis en évidence l'importance de prendre en considération l'enfant dans sa globalité pour l'aider au mieux à s'épanouir dans tous les domaines.
                Aujourd'hui, ces discours sur le développement psychique du jeune enfant, prônant le respect de sa personne et de son histoire familiale ne sont pas toujours appliqués en structure d'accueil du jeune enfant. C'est ainsi que l'on peut observer dans ces lieux un phénomène insidieux qualifié de « douce violence » par l'éducatrice de jeunes enfants, Schuhl C. Bien sûr, ces attitudes ne sont pas prodiguées dans l'intention de lui nuire, mais plutôt pour l'éduquer ou par inconscience.

     Après un bref rappel historique de l'évolution de la place de l'enfant au sein de notre société, on ne peut poursuivre cette réflexion sans définir précisément ces « douces violences ». Après quoi, il est intéressant d'évaluer l'impact de ces pratiques sur le développement psychique de l'enfant. Devant un tel constat, il est proposé plusieurs pistes de travail pour améliorer nos pratiques professionnelles afin de repenser l'accueil du jeune enfant et de sa famille.

     Avant d'aller plus loin, je veux préciser que ce dossier s'adresse à toutes personnes, que ce soit les professionnels de la petite enfance, les parents ou tout simplement des personnes curieuses d'en savoir un peu plus sur le sujet. Il est consultable sur Internet à l'adresse suivante : douce violence.free.fr.

    Soyez assurés que cette démarche n'est pas réalisée dans le but de culpabiliser les professionnels ou toute autre personne. Bien au contraire, il s'agit de réfléchir ensemble sur le sens que l'on donne à nos pratiques éducatives. J'espère pouvoir nous encourager à nous questionner sur le bien fondé de nos méthodes. Que nous sachions nous remettre en question afin de nous ajuster en fonction des compétences du jeune enfant. C'est parce que celui-ci se construit au contact de l'adulte qu'il doit être au centre de nos préoccupations. N'oublions pas que les enfants d'aujourd'hui sont les adultes de demain.


    1 Dolto F. pédiatre et psychanalyste, auteur de la cause des enfants.
    2 Bowlby pédiatre et psychanalyste, auteur de attachement et perte, PUF, 1978.
    3 Brazelton, pédiatre, auteur de votre bébé est unique au monde. Il a fait des recherches sur les « compétences » du nouveau-né.

    Présentation des documents

    Les quatre textes qui suivent, traitent des pratiques éducatives prodiguées à l’enfant dès son plus jeune âge.

     Le premier texte, issu d’un extrait du livre Vivre en crèche : remédier aux douces violences, de Schuhl C. présente une définition des « douces violences ». Il expose également une liste non exhaustive de ces « douces violences ».

     Le deuxième texte est un extrait du livre de Dalloz D. qui a pour titre où commence la violence ? Pour une prévention chez le tout-petit. Il met en évidence les comportements violents des adultes envers les enfants et leurs conséquences sur le développement psychologique.

     Quant au troisième texte, c’est un article paru dans la revue informations sociales, écrit par Giampino intitulé la crèche comme symptôme. Il traite des qualités nécessaires pour qu’un accueil soit reconnu satisfaisant.

    Enfin, le dernier texte, extrait du livre de Schuhl C. vivre en crèche : remédier aux douces violences, propose des pistes de réflexions pour améliorer nos pratiques professionnelles.

     1 - Repérer les douces violences des pratiques professionnelles

     Des gestes maladroits et incongrus, des jugements de valeurs, des paroles blessantes, des a priori, sont autant de moments brefs et fréquents qui mettent l’enfant en «situation d’insécurité affective ». Bien que l’adulte n’agisse pas dans l’intention de nuire à l’enfant néanmoins ce dernier subit ces actes irréfléchis et inadéquats comme une « douce violence ».

     Cette oxymore voulut par C. Schuhl souligne le caractère non prémédité des comportements des professionnelles et dans le même temps insiste sur l’aspect gravissime qu’ils génèrent sur le développement psychoaffectif du jeune enfant. Ainsi ces « douces violences » ont été observées dans divers lieux d’accueil pour jeunes enfants et relèvent d’une difficulté complexe. En effet, ce n’est pas seulement le fait d’un relâchement professionnel qui en est la cause, mais la conjoncture d’une organisation institutionnelle et d’une dynamique d’équipe émoussée. L’observation de référence se déroule dans une crèche collective en accord avec la directrice et le personnel qui désiraient faire une analyse de leur pratique professionnelle. Un travail de repérage s’est effectué en équipe duquel est ressorti une liste non exhaustive des dérives ou défaillances de méthode de travail. Les principales observations portent sur le temps de l’accueil, du jeu, du repas, du sommeil et du change.

     On note pour chacun de ces moments là, un manque ou une négligence du respect de l’enfant en tant que personne. C’est par exemple des critiques ouvertes sur sa famille, des obligations de faire sans explications (se déshabiller, finir son repas, jouer à telle activité, dormir alors que l’enfant n’a pas sommeil, etc.) ou encore une dévalorisation de ses acquisitions. C’est aussi porter un jugement de valeur et surnommer l’enfant.

     La situation est d’autant plus alarmante que l’enfant fréquente la structure d’accueil régulièrement et sur du long terme. De ce fait, il est impératif que l’ensemble des professionnelles de la petite enfance puisse repenser ses méthodes de travail pour mieux les ajuster aux besoins de chaque enfant. Si d’un premier abord, certains gestes et attitudes ne semblent pas violents pour l’adulte, ils n’en restent pas moins violents pour l’enfant qui le vit. N’oublions pas que l’enfant se construit au contact de l’adulte. En outre pour qu’il se développe harmonieusement il a besoin d’être en confiance, par conséquent, d’être apprécié à sa juste valeur en tant qu’être en devenir.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     SCHUHL, C.2005.Vivre en crèche : remédier aux douces violences, Lyon, Chronique sociale, p. 13-20.

     

    2 - Comment se crée le lien

    La propreté – les limites

     Physiologiquement, un enfant n’acquiert la maîtrise de ses sphincters que vers trois ans et demi. Cette période d’apprentissage doit être acceptée par l’adulte et accompagnée sans jugement. Avec, la loi d’orientation de 1989 relative à l’âge légal d’entrée en école maternelle, on assiste à une recrudescence de l’apprentissage précoce de la propreté. Or, les spécialistes soulignent l’importance de laisser l’enfant grandir à son rythme.

     Par ailleurs, l’emploi du mot « caca » pour marquer les interdits est source d’ambivalence pour l’enfant. Celui-ci s’inscrit dans une relation soit de « félicitations », soit de « rejet » de la part de ses parents. Même si cette étape de la vie du jeune enfant est contraignante pour la mère, elle est nécessaire. Elle ne peut se construire que sur le long terme et dans un échange verbal de qualité. C’est dans cette phase que l’enfant intègre les notions de limites, de ses capacités à faire et expérimente la sincérité des propos des adultes à son égard. S’adresser à un enfant, dès son plus jeune âge, avec déférence valorise la reconnaissance de soi et contribue à une meilleure socialisation.

    Enfin, l’enfant confronté à l’échec a besoin du soutien de l’adulte pour nourrir son appétence plus que son besoin.

      C’est grâce à l’équilibre entre les interdits et les permissions que l’enfant va se construire. Pour dépasser son agressivité et son envie de l’autre, l’enfant doit trouver auprès de l’adulte soutien et respect de sa personne. Si l’enfant a peur, il se replie sur lui-même et ne peut dépasser ce sentiment de « violence».

     

    Soumis à des interdits à longueur de journée l’enfant a besoin de se défouler. L’adulte doit en prendre conscience et lui offrir la possibilité de le faire. De plus, l’enfant se sent vulnérable devant la toute puissance de l’adulte. Il n’a pas conscience que celui-ci est soumis aussi à des interdits comme par exemple l’interdiction de le frapper.

     Une infinité d’exemples pourrait révéler la manière dont l’enfant a trouvé ou non un environnement favorable pour créer du lien social. C’est dans les premières années de sa vie que l’enfant soumis à des carences ou des maltraitances sera plus ou moins enclin à la violence. Toutefois, ce n’est pas une fatalité et une « bonne » rencontre peut l’aider à s’en sortir. Il faut donc favoriser le soutien et l’accompagnement vers d’autres horizons.
    Dans la mesure où l’enfant sera respecté en tant que tel, il respectera aussi son entourage. Il acceptera facilement les règles. Porté par l’adulte dans ses apprentissages, l’enfant évoluera vers une indépendance. Laquelle doit être vécue avec joie et non comme un soulagement d’être séparer de la personne tutélaire. Cette démarche est d’autant plus difficile à vivre que les parents eux-mêmes l’auront mal vécue pendant leur enfance.

     C’est par des encouragements et des consolations que l’enfant réussira à grandir favorablement.

    Dalloz, D. 2003. Où commence la violence ? Pour uneprévention chez le tout-petit, Paris, Albin Michel, p. 72 – 80

     3 - La qualité de la garde comme outil de prévention psychologique

     Dans l’absolu il n’existe pas de « bon » ou « mauvais » type de garde d’enfants, en revanche il existe des critères de qualité qui définissent ce qu’est un bon accueil. C’est-à-dire qu’il soit susceptible de favoriser l’épanouissement psychologique de l’enfant accueilli.
                Ainsi, sont retenus comme critères de qualité, la mise en place d’une prise en charge individualisée du jeune enfant qui respecte sa sécurité affective, sa personne et son rythme. De plus, la place de l’adulte chargé de s’occuper de lui, doit être bien définie. Mais surtout, ce qui compte, c’est que ce mode de garde soit choisi par les parents et non imposé. Hélas, cela n’est pas toujours réalisable à cause du manque accru de propositions de garde d’enfants en France.
                Mais, la préoccupation majeure des professionnels de la petite enfance, est d’assurer un développement harmonieux du jeune enfant. Cela suppose de leur part d’être compétents et professionnels, qualités indispensables à un bon accueil. Il faut donc que les organisateurs de la petite enfance prennent conscience du caractère primordial d’un personnel correctement formé, encadré et motivé. De plus, celui-ci doit être reconnu en tant que tel et non pas comme remplaçant parental, par les familles et la société. Sans quoi, c’est la relation entre l’enfant et sa mère qui pourrait être remis en cause, et entraînerait la diminution de professionnels sur le terrain.
                Quoiqu’il en soit, la garde d’un enfant peut être profitable à chacun dans la mesure où il est bien vécu. L’essentiel est que les parents puissent rester les acteurs de la séparation d’avec leur enfant ainsi que des retrouvailles. C’est pourquoi, un bon accueil doit comporter une période d’adaptation afin que l’enfant puisse créer des liens avec le personnel accueillant et avoir des repères. Toutefois, il est important que la structure de garde soit disposée à écouter et répondre aux besoins des parents dans l’urgence. Elle doit donc agir avec pertinence selon la situation rencontrée pour rester cohérente dans sa mission.
                De surcroît, il est à noter, que les bébés au travers de leur corps, sont très sensibles et réceptifs aux paroles et aux gestes qui leurs sont adressés lors des soins. Ne pas respecter leur personne pourrait entraîner des conséquences graves sur leur développement psychomoteur et psychique, et même, favoriser des comportements querelleurs. Par contre, si l’accueil est réalisé dans de bonnes conditions, avec un projet cohérent, on remarque qu’il contribue à une prévention psychologique et sociale de l’enfant. L’important, n’est donc pas une question de lieu ou de personne, mais de qualité d’accueil et d’interactions entre l’accueillant et l’accueilli. Ainsi, les professionnels peuvent répondre aux besoins d’un enfant dont la famille est défaillante. Mais en plus, les outils proposés pour s’épanouir sont les même pour tous les enfants.
                Il va s’en dire que l’accueil est avant tout professionnel, ce qui suggère une préparation spécifique. Plus l’enfant est jeune plus la prise en charge est ardue pour les professionnels qui doivent être très vigilants. Notons par ailleurs, que les lieux d’accueil sont un moyen efficace pour prévenir les troubles psychiques et/ou moteurs du jeune enfant et contribuent à resserrer les liens familiaux. Ainsi, les structures d’accueil ont un rôle important dans la construction de la société et la prévention psychologique.

     

     Giampino, S, psychanalyste, psychologue petite enfance, 2002. Extrait de « la crèche comme symptôme », Dossier : modes de garde, modes d’accueil : quelles évolutions ?, Paris, Informations sociales, p. 92 – 94

     4 - Que faire de cette douce violence ?

    Les situations repérées comme « douce violence » ne peuvent être éradiquées d’un coup de baguette magique tant la réalité de ce phénomène est ardu. C’est le résultat d’une conjonction entre une institution, une équipe de travail et un projet pédagogique. Bien qu’il n’existe pas de remède miracle, cependant plusieurs pistes sont exploitables. Le but n’est pas de pointer du doigt des pratiques professionnelles critiquables mais bien plus, identifier ce qui ne va pas pour y remédier dans un processus d’analyses et de questionnements pertinents. Il est important de considérer chaque structure, chaque équipe dans son unicité. C’est avec circonspection et déférence qu’il faut analyser les situations. Les solutions apportées seront le résultat d’un travail de longue haleine alliant persévérance et indulgence.

    Le premier point à questionner concerne l’équipe. Qu’est-ce qu’une équipe ? Quels sont le rôle et la fonction de chaque membre qui la compose ? Cette réflexion permet de reconsidérer les prérogatives de chaque professionnel et de les situer au sein d’une équipe pluridisciplinaire. C’est aussi le moyen de percevoir l’intérêt d’une collaboration et par là même, d’éviter toute rivalité inutile. L’objectif commun doit se focaliser sur l’accueil réservé à l’enfant et à sa famille. Ce travail ne peut être efficace que s’il est soutenu et encouragé par la Direction de l’établissement.

    Ainsi, chaque individu sera valorisé et réhabilité dans ce qu’il est. C’est-a-dire une Personne et un professionnel de la petite enfance. C’est seulement à partir de là que des réflexions sur la méthode de travail pourront être discutées sans craindre des a priori ou des jugements. D’où la nécessité d’organiser des moments de discussions entre adultes. Ils sont essentiels pour permettre à chacun de s’exprimer, de se retrouver un instant ensemble et d’être honnête avec soi et les autres. Pour finir, on n’insistera jamais assez sur le « devoir de discrétion » que chacun se doit d’observer avec le plus grand soin.

    Le deuxième point concerne la pédagogie. Elle doit être le fruit d’un travail réfléchi par chaque membre de l’équipe. Tout acte prodigué à l’enfant doit être pensé en fonction de sa personnalité et de ses besoins du moment. Ainsi, le professionnel établit une relation constructive et de confiance avec l’enfant et sa famille.

    En troisième point, il s’agit de repenser l’aménagement de l’espace. La disposition de la salle et le matériel proposé sont essentiels pour diminuer les conflits et pour favoriser l’éveil de chaque enfant. Plus l’atmosphère est détendue plus l’enfant se sent en « sécurité affective ».

    A cela s’ajoute, les attitudes de l’adulte qui réalisées par automatisme peuvent être à l’origine des « douces violences ». C’est donc par une analyse des actes quotidiens de la vie que l’on peut mettre en exergue ce qui valorise ou au contraire ce qui déprécie les acquisitions de l’enfant. En outre, l’histoire personnelle de chacun ne doit pas interférer dans l’exercice de sa profession. C’est pourquoi, il est nécessaire de mettre une frontière entre vie privée et vie professionnelle pour garantir à l’enfant et sa famille une relation respectueuse et charitable. Reconnaitre que nous pratiquons des « douces violences » n’est pas chose aisée. Cependant, certaines de nos attitudes s’avèrent être néfastes pour la construction de la personnalité de l’enfant. Il nous incombe de veiller au bien-être de chacun d’eux. Parents et enfants placent leur confiance en nous et nous devons être sensibles à leurs attentes afin de ne pas les abuser. Si nous dérivons vers de la « douce violence », il nous faut le reconnaître et faire preuve d’humilité en le signifiant à l’enfant.

    Le quatrième point abordé consiste à entendre ce que l’enfant a à nous dire. Bien qu’il ait besoin de repères et de limites, laissons-le grandir à son rythme. Faisons-lui confiance et respectons-le. Trois critères indissociables sont à la base d’une démarche éducative respectueuse de chaque protagoniste. Il s’agit du respect de l’enfant, d’informer les parents sur le déroulement de la journée de leurs enfants et de la reconnaissance du travail effectué par le professionnel auprès de ces derniers. Enfin tout projet pédagogique doit prévoir une place pour l’imaginaire et la spontanéité. Il doit s’adapter et admettre que l’enfant n’est pas toujours disponible et disposé à répondre favorablement au protocole de la structure.

    Le cinquième et dernier point concerne le respect de l’histoire de l’enfant. En effet, chacun d’eux a une identité donnée par leurs parents que tout professionnel doit respecter. Parents et professionnels doivent conjuguer leurs efforts pour permettre à l’enfant de s’épanouir harmonieusement. Toutefois, si cela n’est pas possible, nous nous devons en tant que professionnel garantir à l’enfant une place au sein de la collectivité.

    Pour conclure, gardons à l’esprit qu’il n’y a pas de « gentils » ou « méchants » enfants mais des êtres en devenir qu’il nous appartient d’accompagner et de valoriser. Enfin, ce modèle de réflexions de travail n’est pas unique ; Libre à chaque équipe d’exploiter d’autres sources susceptibles d’être génératrices de « douces violences ».

    SCHUHL, C. 2005. vivre en crèche : remédier aux douces violences, Lyon, Chroniques sociales, p. 55 - 60

     Conclusion

    A tour de rôle, Schuhl, Giampino et Dalloz nous ont révélé par leurs écrits les inconsciences de l’adulte et leur impact destructeur sur le développement psychologique du jeune enfant. Bien que sa place au sein de la société n’ait cessé d’évoluer, le combat continue pour qu’il soit reconnu comme une personne. Brazelton, Bowlby, Korczak et Dolto, pour ne citer qu’eux, ont apporté bien des éclairages sur le petit de l’homme. Hélas, celui-ci est trop souvent rabroué, humilié, mis au rang inférieur tel un animal.

    On ne peut condamner l’adulte pour de tels actes, lorsque nous retraçons son histoire. Inscrit au plus profond de lui comme une chose « normale », il reproduit à l’infini cette soi-disant bonne éducation dont il a pu bénéficier lui-même dans son enfance. On comprend alors qu’il n’est pas aisé de remettre en cause les principes inculqués par nos parents et nos aïeuls. « Nous avons toujours fait comme ça », « C’est pour ton bien », « une bonne fesse, ça remet les idées en place », etc. Autant d’expressions pour se conforter dans sa pratique éducative.

    A l’aube du XXI ème siècle, malgré la Déclaration des droits de l’enfant qui stipule que «  Les États parties prennent toutes les mesures […] appropriées pour protéger l'enfant contre toutes formes de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence,… » la violence sur enfant demeure.

    Cette violence n’est pas seulement la réalité d’une pratique professionnelle en établissement d’accueil du jeune enfant. Elle existe aussi et surtout dans le foyer de l’enfant. Plus récemment, s’est crée l’Observatoire de la Violence Educative dont l’objectif est d’informer l’opinion publique sur la pratique très courante, et pourtant méconnue, de la violence éducative. Celle-ci est tolérée par beaucoup d’adultes y compris des professionnels de l’enfance. Différente de la maltraitance, elle consiste à faire obéir et à éduquer l’enfant.

    Pour conclure je citerai seulement cette phrase qui nous interroge sur la place que nous voulons offrir à « nos » enfants : « Pourquoi appelle-t-on cruauté le fait de frapper un animal, agression le fait de frapper un adulte et éducation le fait de frapper un enfant ? ».

     
     
     
     
       
     
     
       

     


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  • un référentiel éducatif mis en place par la mairie de Lyon pour l'accueil du jeune enfant...

    je le trouve vraiment complet et bien pensé...


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  • La collaboration parents professionnels

    A quoi parents et professionnels collaborent-ils au sein des établissements d'accueil de la petite enfance? Cette question de la collaboration est très souvent et fort logiquement posée dans le cadre des crèches parentales qui impliquent une collaboration concrète des parents et des professionnels dans le cadre du fonctionnement même des structures. Mais qu'en est-il de cette collaboration dans les structures d'accueil de la petite enfance à gestion municipale ou départementale?        
    Cette question de la collaboration parents-professionnels se pose d'autant plus qu'il fait partie d'un ensemble de « mots à la mode » : coéducation, accompagnement des parents, coconstruction, collaboration... mots à la mode qui ne sont justement pas qu'une mode mais aussi le reflet d'un profond changement de nos institutions, et de nos sociétés Un changement qui, pour le dire très vite, implique l'ouverture des institutions et des professionnels à leurs usagers et ce dans une logique de démocratisation. C'est à dire une logique dans laquelle l'usager est sensé avoir des choses à dire sur le service qui lui est rendu et pouvoir les dire en étant entendu de différentes façons. D'où ensuite les idées de participation, de collaboration, coéducation, coconstruction du service etc...

    Maintenant qu'en est-il concrètement dans le cas particulier des établissements collectifs d'accueil du jeune enfant? Parents et professionnels peuvent-ils collaborer et si oui à quoi? Pour répondre à la question revenons à l'étymologie du terme collaborer : littéralement travailler ensemble. A quoi donc parents et professionnels peuvent-ils travailler ensemble dans l'accueil du jeune enfant? Pour répondre à cette question je vous propose une rapide exploration de ce que les parents peuvent venir chercher en crèche, ou plutôt des rapports parentaux à la crèche. En effet, tous les parents n'arrivent pas avec les mêmes demandes, les mêmes rapports, les mêmes relations avec la crèche et ses professionnels. Aussi, ce qui va pouvoir être travailler entre eux et les professionnels ne sera pas toujours la même chose, ce qui va poser de manière différente – pour chaque type de parent - la question de la « collaboration ». Une fois que nous aurons exploré ces différents rapports parentaux à la crèche, nous verrons justement comment cette différence au sein des parents interroge la possibilité d'une collaboration entre parents et professionnels et quelles sont les pistes de positionnement des professionnels – mais aussi en retour des parents – pour qu'ils puissent, malgré les différences, trouver un terrain de collaboration autour de l'accueil du jeune enfant.

    Pour rendre compte de la diversité des parents en crèche, nous nous proposons d’exposer une typologie des parents usagers des crèches issue d’une précédente étude. Cette typologie saisit le rapport des parents à la crèche à travers leur propre rapport à leur rôle parental et à sa construction. Elle se veut un outil de travail pour les professionnels à qui elle peut donner de nouvelles “lunettes“ pour voir les parents et travailler à partir de cette nouvelle vision. Mais elle n’est ni complète ni arrêtée. En tant qu’outil de travail elle a vocation à être travaillée et dépassée.

    Trois types de parents face aux crèches.

    C’est la combinaison de la distance culturelle entre les parents et la crèche et de l’ouverture ou de la fermeture des parents à la crèche qui détermine les trois types de parents que nous distinguons.

    Distance et proximité entre la “ culture pédiatrique ” des parents et la “ culture pédiatrique ” de la crèche.

    Si les parents sont dotés de cultures pédiatriques différentes, liées à leur milieu social d’appartenance et à leur trajectoire sociale, la crèche est aussi dotée d’une culture pédiatrique spécifique que nous avons qualifié de “ culture pédiatrique psychologique ”. Nous désignons par-là un ensemble de notions, valeurs et normes (corrélé à une conception du sujet-enfant) fortement marquée par l’arrivée en crèche des psychologues dans les années 60. Cet ensemble normatif, même s’il n’est pas toujours traduit en pratiques par les professionnels, domine le discours sur la pratique au sein de cette institution.

    La culture pédiatrique “ psychologique ” prévalant en crèche est socialement située, elle est caractéristique des milieux moyens-superieurs. Aussi, en fonction du milieu social des parents leur culture pédiatrique sera plus ou moins éloignée de celle de la crèche. Et cette plus ou moins grande distance influera sur les réactions des parents aux différents éléments de la vie de leur enfant en crèche. Les parents des couches moyennes-supérieures, dont la culture pédiatrique est plus fréquemment très proche de celle de la crèche, sont par exemple dans la compréhension quasi-implicite des manières de faire, de voir et de se comporter vis-à-vis de l’enfant, affichées en crèche. Par contre les parents des petites couches moyennes ou des couches populaires, dont la culture pédiatrique peut être très distante de celle de la crèche, ont plus fréquemment des problèmes pour interpréter les actes et les discours des professionnels envers leur enfant ou envers eux-mêmes. On se retrouve alors dans de véritables situations de “ malentendu culturel ” où chacune des parties (parents et professionnels) interprète les actions de l’autre à l’aune de son système de normes et de valeurs, ce qui peut déboucher sur des tensions et des incompréhensions durables. Néanmoins, le rapport des parents à la crèche n’est pas uniquement déterminé par la “ distance culturelle ” mais aussi par leur ouverture ou leur fermeture à la “ culture pédiatrique ” de la crèche.

    Ouverture ou fermeture à la “ culture pédiatrique ” de la crèche 

    Les parents peuvent être plus ou moins demandeurs ou distants vis-à-vis de la crèche, de ses savoir-faire et des types de rapports à l’enfant qui y circulent. Certains parents se tiennent à distance de ces savoirs qui, à leurs yeux, constituent des compétences professionnelles nécessaires à l’accueil de leur enfant dans un cadre collectif. Ces parents appliquent une sorte de “ principe de coupure ”, les compétences de professionnels de la petite enfance n’étant pas à leurs yeux des compétences sur la petite enfance en général. D’autres parents sont en recherche de ces savoir-faire, soit pour se constituer eux-mêmes des stocks de connaissance, soit pour affiner leurs savoir-faire et leur regard avec des savoirs experts.

    L’ouverture ou la fermeture à la culture pédiatrique de la crèche est liée à des positions et des trajectoires sociales particulières chez les parents. Ainsi les parents des couches populaires ou moyennes, en mobilité sociale ascendante sont très ouverts aux façons de faire et de voir prévalantes en crèche. Certains parents des couches moyennes-supérieures sont eux aussi très ouverts, mais plus particulièrement au regard des experts présents en crèche que sont les éducatrices de jeunes enfants et les psychologues. Par contre, les parents des couches populaires ou supérieures qui semblent dans une moindre mobilité sociale sont relativement fermés aux savoirs circulant en crèche. Soit, s’agissant des parents des couches populaires, la culture pédiatrique de la crèche est très distante de leur propre culture pédiatrique qu’ils considèrent néanmoins comme parfaitement légitime ; ils se retrouveront plus fréquemment dans des situations de conflits ouverts avec les professionnels. Soit, s’agissant des parents des couches supérieures, la culture pédiatrique de la crèche est très proche de la leur, et les parents, tout en étant en relatif accord avec les façons de faire et de voir circulant en crèche, resteront relativement distants de la crèche dont ils n’attendent ni leçons, ni regards experts.

    Les “ parents élèves”

    Nous qualifions le premier type de parents de “ parents élèves ” dans la mesure où ils sont très peu sûrs de leurs propres compétences et savoir-faire face à leur enfant, si bien qu’ils sont en quête de modèles d’action. Ces parents se caractérisent par une relative distance par rapport à la culture pédiatrique de la crèche (qui leur apparaît néanmoins comme la culture pédiatrique légitime) et par une recherche auprès de la crèche de savoir-faire pour constituer ou conforter leur regard et leurs pratiques sur l’enfant. Ces parents vont donc être ouverts aux façons de faire et aux discours émanant de la crèche sans posséder eux-mêmes ces savoir-faire et en se sentant partiellement illégitimes dans leurs pratiques et leurs ressentis face à leur propre enfant. Par delà cette ouverture, on distingue deux sous types de “ parents élèves ” en fonction de leur plus ou moins grande distance à la “ culture pédiatrique ” de la crèche.

    D’un côté nous avons les “ parents élèves ” de milieu populaire (serveur, couturière, chauffeur livreur) qui sont ouverts, mais tendanciellement très distants de la culture pédiatrique de la crèche. Aussi chez eux, cette volonté d’ouverture se traduit par une “ ouverture de droits ” massive des professionnels envers l’enfant[1], et un suivi inquiet des conseils et orientations qu’ils perçoivent dans les discours et actes de ces derniers.

    D’un autre côté nous avons les “ parents élèves ” provenant des couches moyennes (agent de maintenance informatique, documentaliste) qui sont tout aussi ouverts mais tendanciellement plus proches des notions et pratiques ayant cours en crèche. Aussi, chez eux, l’ouverture se traduit moins par la recherche inquiète d’informations prises comme consignes, ou par une délégation éducative marquée, que par une perplexité face à des professionnels pris comme modèles mais qui ne communiquent et n’explicitent pas toujours suffisamment leurs actes. Globalement, avec les “ parents élèves ”, nous sommes dans un rapport de distance à la culture pédiatrique de la crèche et d’ouverture à cette même culture.

    Les “parents exigeants”

    Les parents “ exigeants ” sont des parents qui ont une conception de leur rôle parental claire et cohérente. Contrairement aux parents élèves, on sent beaucoup moins chez eux d’hésitations, de doutes sur leurs compétences de parents. Ils considèrent qu’ils ont des compétences, ou du moins une relation privilégiée à leur enfant, qui leur permet – faute de savoir-faire précis et concrets dans certains cas – d’en avoir une compréhension privilégiée. Ces parents attendent de la crèche qu’elle apporte une “ plus value ” à leurs enfants par rapport à l’accueil familial. Bien qu’ils s’en défendent, on peut penser que ces “ parents exigeants ” sont déjà dans la perspective du parcours scolaire à venir de leurs enfants. La crèche est la première étape de ce parcours et, en tant que telle, elle doit préparer les enfants à l’école à travers des jeux et des interactions qui ne se réduisent pas à leur dimension ludique.

    Les “ parents exigeants ” sont généralement issus des couches moyennes et moyennes-supérieures (cadre financier, architecte, informaticien indépendant). Ils ont une culture pédiatrique proche de celle de la crèche : ce sont par exemple ceux qui connaissent le mieux les différentes fonctions du personnel au sein des établissements, différenciation des fonctions qui implique une compréhension de la conception de l’action auprès de l’enfant prévalant en crèche. Mais, s’ils ont une demande, c’est celle de savoir-faire experts (tels que ceux des éducatrices et psychologues) sur l’enfant pour affiner et développer leur regard et leurs pratiques sur ce dernier. Avec ces parents, nous sommes dans un rapport d’ouverture (à la crèche et surtout à ses experts : psychologue, puéricultrice et éducatrice) et de proximité (à la culture pédiatrique) à la crèche.

    Les “ parents autonomes ”

    Les “ parents autonomes ” ont eux aussi une notion précise et ferme de leurs compétences et savoir-faire de parents. Ils considèrent, qu’en tant que parents, ils ont et gardent la main sur l’éducation de leur enfant et que la crèche doit les suivre. Ces parents sont donc plutôt fermés[2] aux façons de faire des professionnels de crèche. Par delà cette fermeture, nous distinguons deux types de “ parents autonomes ” en fonction, là encore, de leur plus ou moins grande distance à la culture pédiatrique de la crèche, corrélée à leur positionnement social. D’un côté, les “ parents autonomes ” des couches moyennes-supérieures sont relativement proches, dans leurs propres façons de faire et de voir l’enfant, des savoir-faire de la crèche. Leur relative fermeture à la crèche reste donc peu visible (pour eux comme pour les professionnels) et s’apparente à une confiante neutralité. D’un autre côté, les “ parents autonomes ” de milieux populaires sont très distants de la culture pédiatrique de la crèche. Les savoir-faire des professionnels ne sont donc ni particulièrement légitimes à leurs yeux, ni cohérents avec les leurs, ce qui peut entraîner des incompréhensions et/ou des tensions.

     Une demande de conseils différente en fonction des types de parents 

    Des“ parents autonomes” peu demandeurs de conseils

    Les “parents autonomes ” des classes moyennes ou moyennes supérieures demandent très peu de conseils aux auxiliaires qu’ils considèrent comme des intervenantes qui n’ont pas d’autre légitimité que leur expérience auprès des petits enfants. Expérience qui induit un “ aguerrissement ” et une assurance accrue, mais pas une capacité de diagnostic ou une autorité particulière. Aussi, à leurs yeux, elles ne peuvent pas réellement leur apporter un “ plus ” ou une réassurance par rapport à des doutes :

    “ Des conseils, on pourrait toujours en donner toute la journée, même nous on pourrait leur en donner aussi ”(mère, 40 ans, musicienne).

    Cette mère exprime très bien cette sensation “ d’horizontalité ” avec les auxiliaires. Le savoir et les conseils n’ont pas à circuler davantage dans un sens que dans l’autre entre parents et auxiliaires, ces dernières disposant de connaissance et affrontant des problèmes analogues aux parents mais dans un autre contexte et avec un autre rapport à l’enfant. Chez les “parents autonomes ” d’origine populaire c’est moins une sensation d’équivalence des connaissances et des compétences avec les auxiliaires qui ressort qu’une idée d’autosuffisance. Le sentiment d’avoir un savoir suffisamment clair et complet les amène à ne pas demander de conseils.

    “ Non ce n’est pas la crèche d’un côté et moi de l’autre et on se complète. Je n’ai pas d’aide à... enfin d’aide ou de conseils à recevoir ”(mère, 30 ans, adjoint administratif).

    Des“ parents exigeants ” et “ élèves ” demandeurs de conseils 

    Les “parents  exigeants ” demandent plutôt des conseils sur les activités et ils ont aussi plus tendance à s’adresser à l’éducatrice. Leurs demandes suivent leurs intérêts au sens où, pour eux, la crèche doit apporter une plus value en termes d’activités à l’enfant, elle doit permettre son éveil et son épanouissement. “ Oui bien sûr, je demande par rapport aux activités. Notre fille a deux ans et demi, j’ai essayé la peinture, le dessin, la pâte à modeler, qu’est ce que je peux faire parce que là j’ai plus d’idée ? Alors des fois, elle me dit “j’ai fait ça, ça marche bien” ”(mère, 37 ans, fleuriste).

    En demandant des conseils sur les activités, ces parents cherchent à reprendre à domicile un certain nombre d’éléments développés à la crèche, ce qui leur permet de se construire une compétence de parents “ éveilleurs ” et stimulants.

    Les “ parents élèves ” n’estiment pas disposer de l’ensemble des compétences (ou du moins de compétences et de savoirs suffisamment clairs) nécessaires à l’exercice de leur rôle en dehors de leur amour et de la volonté de bien faire pour leur enfant. Logiquement ils sont parmi les plus demandeurs de conseils. “ Moi je sais quand il y a un conseil ou quelque chose, j’ai ma mère au téléphone mais je leur demande à elles aussi. Parce qu’elles m’apportent la réponse tout de suite et je sais que c’est sûr ” (mère, 30 ans, agent de transit).

    Chez les “ parents  exigeants ” et les “ parents élèves ”, les demandes de conseils aux auxiliaires n’ont ni le même contenu ni le même but. Les parents que nous avons qualifiés d’exigeants ne cherchent pas à construire leur rôle ou à consolider leurs compétences mais cherchent à satisfaire une de leur grande préoccupation : les activités et les apprentissages de l’enfant. Les parents “ élèves ” (et plus particulièrement parmi eux les jeunes mères seules) cherchent en la personne des auxiliaires des partenaires pour se construire en tant que parent par l’acquisition d’un certain nombre de savoir-faire. Et, plus loin que ces savoir-faire, on a parfois l’impression qu’ils cherchent aussi, en discutant avec les auxiliaires, en les écoutant, à se construire une familiarité avec le monde de la petite enfance. À se frayer un accès à travers leurs propres doutes pour se sentir légitimes et capables auprès de leur enfant.

     Un rapport aux réunions différents en fonction des parents

    Les parents élèves : des réunions pour savoir

    Les parents élèves utilisent assez fréquemment les réunions pour mieux connaître la vie de la crèche. Pour avoir des éclaircissements sur nombre de points du fonctionnement de la crèche qui leur paraissent obscurs au quotidien, mais sur lesquels ils n’osent pas poser de questions directement aux professionnels. Ces parents sont plutôt passifs en réunion, en retrait, s'informant aussi via les questions posées par d'autres parents :

    « Je pense que là on apprendra plus de choses de la crèche. C’est vrai qu’elle est entrée au mois de septembre, on m’a dit le temps que les autres enfants arrivent pour rencontrer des autres parents.. je pense aussi on a un échange.. je pense qu’il y aura que les parents »(mère, 31 ans, régulatrice de circulation, une fille en 2ème année rentrée en crèche en septembre 2001, Drancy)

    Ces parents en retrait profitent donc des réunions pour entendre les professionnels leur expliquer le fonctionnement de la crèche qui ne leur apparaît pas toujours très clair, pour entendre d’autres parents poser des questions qui les préoccupent, mais aussi pour se constituer en tant que « parents de crèche ».

    Les parents exigeants : des réunions pour faire des remarques et des demandes

    Les parents exigeants tendanciellement, profitent des réunions pour faire « officiellement » devant le collectif de parents et de professionnels les remarques et les demandes qui les préoccupent. Ces parents sont loin d’être passifs en réunion ou d’attendre que quelqu’un pose la question qui les préoccupe. Ils s’en servent comme un outil d’intervention et de critique de la crèche pour impulser les changements qu’ils souhaitent :

     

    « Ils expliquent le fonctionnement de l’année déjà, comment ça se passe l’année, donc déjà on comprend un certain nombre de chose et on peut parler de certains sujets aussi. Alors ça pouvait être la violence parce que c’était un sujet qui était pour pas mal de parents important, on peut en parler tous ensemble, sinon on ne peut pas en parler tous ensemble.(..) »(père, 34 ans, cadre, une fille en 3ème année)

    Pour eux la crèche est une institution qui doit leur apporter un service, une plus value, et qui doit donc leur rendre des comptes et écouter leurs doléances à l’occasion des réunions

    Les parents autonomes : des réunions pour participer

    Les parents autonomes, quant à eux, participent aux réunions plutôt avec l'idée de reconnaître let travail des professionnels. Cette attitude s'explique du fait qu'ils n'ont pas d'enjeux personnels lors des réunions, ni recherche d'informations qu'ils obtiennent suffisamment à leur goût au quotidien, ni requêtes ou demandes à faire vu qu'ils considèrent généralement que la crèche en fait déjà suffisamment :

    « (..) C’est vrai que je suis très compréhensive quand je vais à ces réunions là parce que franchement moi c’est pareil moi je me dis qu’elles ont beaucoup de mérite quand même. Et je trouve important de faire ces réunions pour savoir ce qui a été dans l’année, ce qui n’a pas été (..) »(mère, 28 ans, auxiliaire de gériatrie, une fille en 2ème année, rentrée en septembre 2001, Stains)

     Différents enjeux au sein de l'accueil

    En distinguant ces trois types de parents et la façon dont leur différence se manifeste concernant les conseils et la participation aux réunions, on peut identifier trois grands enjeux dans l'accueil de leurs jeunes enfants. Trois grands enjeux qui interpellent chacun à leur manière les professionnels de la petite enfance.

    L'enjeu de support, de construction, de confortation du rôle parental: dans ce cas là, les parents cherchent dans l'accueil de leur jeune enfant un support à leur propre rôle, à leur propre quotidien de parents comme on a pu le voir dans le cas des parents élèves qui cherchent auprès de la crèche et des professionnels des conseils, des orientations, des manières de faire pour se construire partiellement en tant que parents. 

    L'enjeu de maîtrise de la relation de délégation: dans ce deuxième cas, les parents ne recherchent pas de supports, de conseils, de référents auprès du milieu d'accueil et des professionnels mais recherchent de l'expertise et de la spécialisation pour remplir auprès de leur enfant une fonction d'accueil apportant un plus par rapport à ce qu'ils peuvent eux-mêmes apporter. Ces parents cherchent à maîtriser la relation de délégation, de contrôler ce qui s'y passe et les relations qui s'y tissent entre leur enfant et les accueillants afin de l'optimiser. On retrouve là les parents exigeants en crèche.

    L'enjeu de donner un bon milieu d'accueil à l'enfant: cela pourrait presque apparaître comme un non-enjeu puisqu'il semble que vouloir trouver un bon lieu d'accueil pour son enfant est la première volonté de tout parent. C'est effectivement le cas en un certain sens. Ce qui fait toute la différence c'est la place et le sens que les parents accordent à cette notion de bon milieu d'accueil. Pour les parents dont je parle ici, le but principal qu'ils donnent au lieu d'accueil est d'être un bon lieu pour leur enfant, au sens où celui-ci va bien le vivre et leur restituera par ses états et ses humeurs le relatif bonheur qu'il a à y être. Ces parents ne demandent ni supports ni expertise. Ils veulent que leur enfant se sentent bien mais également que leur manière de faire et de voir soit respectés par les professionnels de la petite enfance dont ils n'attendent ni remarques ni conseils. On retrouve là les parents autonomes.

    Quelle collaboration face à la diversité des parents?

    Chacun des enjeux que nous avons distingué interpelle d'une manière particulière les professionnels et pose à sa manière la question de la collaboration. Encore une fois, en revenant au sens premier du terme – travailler ensemble -  chaque type de parent questionne à sa manière cette possibilité de travailler ensemble :

    Les parents élèves à travers leur demande de conseils, de soutiens, de supports demandent aux professionnels de travailler avec eux à l'élaboration de leur posture parentale. Une telle demande peut paraître trop lourde ou illégitime aux professionnels qui pourront considérer que ces parents doivent moins compter sur elles et faire valoir leurs propres compétences. Ces parents mettent à mal l'idée d'un co-labor au sens où ils peuvent donner l'impression aux professionnels de devoir faire la majeure partie du travail d'éducation des enfants en les laissant impulser le rythme des changements, donner des conseils, les guider.

    Le parents exigeants à travers leur demande d'une plus value éducative semblent vouloir faire collaborer les professionnels à leur projet éducatif particulier. Ils peuvent donner aux professionnels l'impression de les voir surtout comme des prestataires sensés répondre à leurs demandes, des prestataires qui ne peuvent donc faire valoir un autre point de vue sur l'enfant, sur son développement, sur sa vie en établissement d'accueil.

    Les parents autonomes sont particulièrement gênants pour l'idée de collaboration avec les professionnels puisqu'ils ne semblent rien demander au-delà du bon accueil de leur enfant. C'est à dire qu'ils ne donnent aucune base, aucun support à l'idée d'un travail ensemble. Ils ne demandent pas de conseils, ils participent par reconnaissance, ils n'attendent pas de travailler leur position de parents avec les professionnels.

    A travers cette typologie – qui ne reflète qu'une façon parmi d'autres de saisir la diversité des parents en crèche – on voit déjà comment l'idée de collaboration est questionnée, voire mise à mal. Les parents – en fonction de leur positionnement – semblent demander soit trop de collaboration (les parents élèves), soit une collaboration gênante (les parents exigeants), soit aucune collaboration.         
    Aussi, comme nous l'avons dit en introduction, l'idée de collaboration étant fortement présente dans le champ de l'accueil de la petite enfance et étant porteuse d'une évolution démocratique des rapports entre usagers et professionnels, comment collaborer face à cette diversité d'enjeux du côté des parents. Quel positionnement les professionnels peuvent-ils trouver pour prendre en compte la demande de soutien et de conseils des parents élèves sans se sentir pris au piège d'une demande d'aide qui les excède? Quel positionnement peuvent-ils trouver pour débattre avec les parents exigeants qui voudraient les voir s'inscrire dans une optique quasiment préscolaire? Quel positionnement enfin face aux parents autonomes et à leur « non-demandes »?     
    En bref, quel positionnement les professionnels peuvent-ils trouver et demander aux parents afin de répondre tant aux demandes excessives, décalées ou inexistantes des parents tout en maintenant la possibilité d'un travail ensemble. Selon moi, ce positionnement réside peut être dans le travail autour de la notion « d'espace de circulation de l'enfant ». Explicitons cette notion.

    L'espace de délégation de l'enfant, un espace co-construit

    Un double décalage

    Pour qu'un espace de circulation de l'enfant ait une chance de se constituer il faut, selon nous, que d'un côté les parents (ou du moins certains parents) abandonnent l'espoir de voir dupliquer au sein de l'espace d'accueil leur propre rapport à l'enfant. Ou du moins, qu'ils abandonnent l'espoir de voir respecter la singularité de leur rapport propre à l'enfant au sein  de l'espace d'accueil. Non pas que cet espoir soit si fréquent que cela chez les parents, ni fortement présent, mais il constitue une perspective, une tentation qui peut être renforcée par l'idée d'individualiser l'accueil de l'enfant et des parents, de travailler avec les parents. Cela implique que les parents exigeants laissent de côté leurs exigences, que les parents élèves revoient leurs espoirs de trouver toute les réponses auprès des professionnels mais aussi que les parents autonomes face l'effort de s'intéresser à ce qui se passe pour leur enfant au-delà de ce qu'ils ressentent comme nécessaire.         
    D'un autre côté, il faut que les professionnels abandonnent l'idée de pouvoir se positionner face aux parents principalement voire uniquement en tant que – justement-  professionnels de la petite enfance. Sans pouvoir développer ce point, on sait que les différentes évolutions législatives tirent les métiers de la petite enfance au-delà de leur sujet central : l'enfant, pour les amener de plus en plus à considérer les parents, leurs situations, leurs demandes, leurs besoins. Dans les établissements d'accueil de la petite enfance, les professionnels ne sont donc plus positionnés comme étant essentiellement des spécialistes du jeune enfant, mais aussi et surtout des spécialistes de son accueil dans un cadre particulier. Et face aux différents parents que nous avons mentionné, un positionnement principalement en tant que professionnel de la petite enfance exposera tout de même les professionnels aux demandes des parents élèves, des parents exigeants et les laissera perplexes face aux parents exigeants.

    Une solution possible à la question de la collaboration réside donc dans la mise en place  – par les professionnels et les parents (mais sous l'impulsion des premiers) – de ce double décalage. Elle demande que les professionnels ne soit pas que des professionnels mais des « professionnels de l'accueil des jeunes enfants », dont la maîtrise et la responsabilité s'exerce dans ce contexte spécifique d'un accueil. Et elle demande que les parents ne soient pas que des parents, mais des parents d'enfants accueillis, qui doivent donc à ce titre se coordonner et faire avec l'équipe ou les professionnels qui accueillent leur enfant et non pas camper sur leur position singulière de parent particulier. Ce qui nous amène à la notion d'espace de circulation de l'enfant. Cet espace est justement ce qui est rendu possible par ce double décalage, il est constitué par la circulation de l'enfant entre plusieurs scènes éducatives qui, au-delà de leurs différences de positions et de statuts, se réfèrent les unes aux autres parce qu'elles sont concernées par un même enfant. Autrement dit, ce n'est pas parce qu'il y a accueil de l'enfant qu'il y a espace de circulation à mon sens ou collaboration. Cet espace s'instaure quand ces différentes scènes se réfèrent les unes aux autres. Ce que le curriculum écossais de la petite enfance désigne très bien en indiquant « L'expertise et l'expérience tant des parents que des éducateurs de la prime enfance ont plus de valeur quand elles sont partagées. »

    L'espace de circulation instaure justement une collaboration parce qu'elle demande un travail de décentrement à chacun parents et professionnels, autour de la circulation de l'enfant.

     

     

     

     

     

     



    [1]           Ce sont des parents de ce type qui peuvent demander ingénument aux auxiliaires de puériculture et aux autres professionnels de corriger physiquement leur enfant s’il venait à faire une bêtise. Ce genre de proposition dérange les professionnels et montre bien à la fois la délégation éducative massive, et la grande distance à la culture pédiatrique de la crèche.

    [2]           Fermés au sens où ils ne cherchent pas à connaître davantage ou à intégrer dans leurs façons de faire les savoir-faire spécifiques aux professionnels des crèches.


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  • article issu de : https://gguernalecblog.wordpress.com/2015/05/12/accompagner-les-parents-quand-on-est-un-professionnel-de-la-petite-enfance-pas-facile-tous-les-jours/

    Accompagner les parents quand on est un professionnel de la petite enfance : pas facile tous les jours

    Il est tour à tour pointilleux, absent, fragile, désemparé ou au contraire sûr de lui mais en tous cas il n’est jamais mauvais. Qui ? Le parent face à un professionnel de la petite enfance. C’était un peu le credo du colloque organisé hier à Paris par ZO&KI, spécialisé dans la formation en petite enfance, autour de la question suivante : « quelle place pour les professionnels de la petite enfance dans l’accompagnement à la parentalité ? »

     Le matin, Héloïse Junier, psychologue en crèche et formatrice, a dressé une petite typologie des familles auxquelles sont confrontés les professionnels (employés de crèches comme assistants maternels). Les parents « élèves » sont ces jeunes pères et mères qui posent beaucoup de questions, demandent conseil et permettent à leurs interlocuteurs de se sentir investis d’une mission.

     Les parents « exigeants » font peur aux équipes car ils ont des attentes fortes, les parents « autonomes », « tels des lions dans la savane, savent où ils vont ». « Avec eux les transmissions sont brèves, on les voit peu ». Se pose aussi, de plus en plus, la question de l’accueil des foyers en difficulté sur un plan socio-économique. Héloïse Junier évoque le cas de cette famille malgache dont le petit garçon de 17 mois regarde la télévision sept à huit heures par jour en buvant des biberons de coca-cola. Installée devant l’écran également, sa petite sœur de six mois. « Or, cette famille avait des pratiques très riches à transmettre, une langue, des gestes de maternage, constate la psychologue. Mais rien à faire. Ils n’étaient pas réceptifs à ce que je disais, considérant que les conseils prodigués n’étaient pas valables pour eux. On a envie d’aider, d’épauler, de guider. A quel moment va-ton être trop intrusif ? ».

     Les relations parents/pros très imprégnées des problématiques socio-économiques

    Petite incise : dans le n°118 de la revue Politiques sociales et familiales de la CNAF, paru en décembre dernier et consacré aux représentations autour des normes de « bonne parentalité »  (compte-rendu de lecture sur ce blog), un chercheur en sciences sociales, Bertrand Geay, a réalisé une étude analysant le rapport des familles au mode d’accueil selon leur milieu social. Les fractions les plus précaires des classes populaires font peu garder leurs enfants, mais pas seulement pour des raisons économiques. L’auteur évoque « une certaine méfiance à l’égard des institutions et la volonté d’assumer la vie de la petite famille de façon autonome ». « L’entre-soi familial est à la fois le moyen de valoriser les seules ressources immédiatement disponibles, de faire la preuve d’une forme de maîtrise du statut acquis par la parentalité et de se soustraire aux jugements toujours potentiellement négatifs des catégories occupant des positions élevées dans l’espace social ». Les familles des fractions supérieures des classes populaires ont davantage recours aux modes d’accueil, notamment aux assistantes maternelles avec lesquelles existe une affinité sociale. L’assistante maternelle « joue alors le rôle d’une sorte d’expert indigène, issu du même milieu social et concurrent des prescripteurs médicaux et médico-sociaux qui appartiennent aux classes moyennes et supérieures cultivées. »

     Quant aux parents des milieux plus favorisés, ils privilégient l’accueil en crèche qui apporte des garanties d’éveil et de socialisation. Pour ces familles la crèche constitue un lieu d’apprentissage. Lorsqu’ils optent pour une assistante maternelle, ces parents passent souvent par la crèche familiale. Et la participation aux activités d’une crèche ou à un RAM constitue un critère de choix décisif. «Ces parents vont souvent négocier l’instauration de pratiques conformes à ce qu’ils souhaitent en matière de pratiques alimentaires, de siestes et de sorties, note le chercheur. L’utilisation d’aliments frais, et parfois de produits biologiques, peut en particulier venir en discussion, de même que le non-usage de la télévision

     Les principes éducatifs des parents peuvent parfois heurter les normes édictées par les structures, remarque d’ailleurs Héloïse Junier en citant l’exemple de cette maman qui refusait que son enfant porte une couche au moment de la sieste alors qu’il mouillait systématiquement son lit, ce qui le réveillait. La situation suscitait un malaise au sein de l’équipe. Cet espace de co-éducation que sont les crèches est donc propice aux frictions voire aux conflits.

     Les pros à l’épreuve du repérage précoce

    La psychologue évoque également la problématique de l’enfant en difficulté. « Beaucoup de troubles émergent dans la petite enfance. Comment fait-on quand on perçoit les premiers signes ? Comment aider une famille face au dépistage précoce ? Oui, il faut respecter le rythme de l’enfant. A quel moment est-on certain qu’il y a un problème et comment en parler? »

    Le sujet est infiniment sensible et pas franchement consensuel. D’ailleurs, lors de la table-ronde suivante, Sophie Marinopoulos, psychologue et psychanalyste, ne manquera pas d’y fera allusion : « attention, vous n’êtes pas là pour poser un diagnostic. Vous n’avez pas à provoquer un traumatisme. Quand enfant vous paraît en décalage, écoutez ce que le parent ressent.  ». Il existe parmi les spécialistes un schisme quasi idéologique (toujours compliqué à résumé en une phrase) : les psychanalystes manifestent en général une forte réticence vis à vis du dépistage précoce alors que les tenants d’une psychologie plus médicale militent au contraire pour un repérage le plus en amont possible. Une jeune femme dans la salle racontera de son côté l’histoire suivante : un enfant dans sa crèche avait vraisemblablement un strabisme. Elle a fait part de ses inquiétudes à sa direction qui n’a pas réagi et a fini par en parler d’elle-même aux parents. L’enfant a aujourd’hui six ans et porte des lunettes. Mais son initiative lui a été reprochée. Parce que ce n’était pas son rôle ? Ou parce qu’elle n’a pas consulté le reste de l’équipe ? Difficile à dire.

     Des outils pour tisser une relation de confiance

    Après Héloïse Junier, une assistante maternelle, deux directrices de crèche et une maman ont elles aussi pris la parole pour raconter comment pouvait s’instaurer au quotidien une relation de confiance entre les professionnels et les parents, notamment lorsque l’enfant accueilli est porteur d’un handicap ou souffre d’une grave maladie. Murielle Bonneton, directrice de la crèche Les Tilleuls à Boulogne Billancourt, explique comment sa structure a accompagné la maman de Thomas, petit garçon né avec une atrésie de l’oesophage et soumis à de longues hospitalisations. Tout est fait pour faciliter le retour de l’enfant au sein de la crèche. Pendant son absence, l’équipe a communiqué aux parents les grandes étapes du développement et indiqué les jouets adaptés à ces différents stades. « A l’hôpital on est dans le physiologique, le technique, le concret, pose la maman de Thomas. Le projet de vie qu’on avait pour notre enfant est mis de côté. Mais avec la crèche, on a pu se raccrocher à ce projet, le faire vivre. On a réussi à se projeter. »

    Natalia Baleato, directrice de la très emblématique crèche Baby-Loup désormais située à Conflans Sainte Honorine, rappelle de son côté à quel point sa structure est incroyablement innovante (ce que l’actualité des dernières années a eu tendance à faire oublier). Accueillir souvent en urgence des enfants de 0-6 ans (et même jusqu’à huit ans) 24h/24 et sept jours sur sept induit l’accueil de plus de 200 enfants au total sur l’ensemble de l’année, et donc un turn over très important des parents. « On essaie de réfléchir à la façon de répondre à chaque instant aux besoins spécifiques de l’enfant. Nous accueillons les parents avec un café. C’est une manière de rentrer en dialogue, de les retenir un peu, d’avoir plus d’informations. Nous essayons d’entrer en contact sans donner des cours magistraux car ce serait très réducteur. Nous organisons des réunions de mamans tous les deux mois. Ce ne sont pas des réunions à thème car fixer un sujet a tendance à limiter la parole. Nous invitons parfois un « professionnel de la parole ». A la fin de l’année un séjour est organisé pour les mamans, une sorte de séminaire de femmes des quartiers, en général le week-end de Pâques. Les mamans y participent seules sans père et sans enfant. On travaille sur les notions être « femme, sœur, mère, compagne ». Nous organisons aussi des séjours avec les mères et les enfants. Chez nous il y a beaucoup de proximité mais pas de promiscuité.» (Sur ce blog, un autre exemple de crèche soucieuse d’instaurer une relation privilégiée avec les parents).

     Pères, mères, rôles symboliques et stéréotypes

     Le récit de Natalia Baleato a donné lieu à un joli échange, presque drôle si sur le fond le sujet n’était pas aussi sensible. Dans la salle une jeune étudiante, future éducatrice de jeunes enfants, prend la parole pour s’étonner : « Dans nos cours on nous parle tout le temps de l’égalité entre les femmes et les hommes, des stéréotypes sur les pères et les mères et là vous ne nous parlez que des mères ». Sourires dans l’assistance, y compris sur le visage de l’interpellée. « Les pères, comme les grands parents d’ailleurs, ont toute leur place chez nous. Mais Baby-Loup répond beaucoup aux besoins au pied levé des mères seules. 40% de nos effectifs sont des mères seules. Et parfois les pères n’osent pas franchir la porte. Il y a néanmoins des réunions des parents où il y a beaucoup de pères. Nous avons fait des ateliers multimédias. Les pères sont tombés du ciel comme par miracle. A un moment ils voulaient eux aussi avoir des temps à eux. On leur a dit chiche, organisez vos réunions. C’est ce qu’ils ont fait. Très vite ils se sont mis à parler bricolage et plus du tout des enfants. Les stéréotypes sont encore là. » Notamment dans les milieux populaires, comme le soulignent les études sociologiques sur le sujet, serait-on tenté d’ajouter. Sophie Marinopoulos, connue pour ses travaux sur l’accouchement sous X, le déni de grossesse et le psychisme des femmes enceintes en général, auteure notamment du livre « Dans l’intime des mères », y voit pour sa part davantage une réalité psychique que des stéréotypes. Avec un sourire elle note que décidément « un père et une mère ce n’est pas pareil ».

     L’après-midi, elle enfoncera le clou, séduisant et interpellant son auditoire par son discours à la fois enlevé, empathique, riche de symbolique et de références à Freud. Ce sont notamment ses assertions sur la « mère qui toujours introduit le père », « la mère qui porte le père » ou la « mère avec un grand M » qui font réagir les étudiants dans la salle. Est-ce la mère qui cache le père ou le père qui se cache ? Pourquoi ne pas parler de père avec un grand P ? Sophie Marinopoulos rappelle qu’il s’agit de méta langage et non du père et de la mère au sens propre, en tant qu’individus. On sent bien que cette présentation néanmoins très sexuée des rôles parentaux (théorisée depuis longtemps comme elle le précise elle-même) heurte les plus jeunes, nourris de concepts plus récents sur le genre. Elle le redit lors de son intervention : « un père et une mère ne seront jamais identiques ». Vaste sujet et terrain plus que miné qui a donné lieu à des débats sans fin au moment du vote de la loi sur le Mariage pour tous et des discussion homériques sur l’homoparentalité (à ce sujet, voir ce récent article sur le blog).

     Une société de communication…mais sans parole véritable

     Sophie Marinopoulos profite également de cette journée pour rappeler que travailler avec l’humain c’est travailler avec la matière psychique, ce qui revient à marcher sur des oeufs, comme le savent les professionnels de la petite enfance (et peut difficilement susciter la controverse). Elle livre son analyse des récentes évolutions sociétales : « Je travaille depuis 1982 et je ne fais plus le même métier. Nous sommes dans une société de communication avec un grand déficit de la parole. Dans mon lieu d’accueil nous sommes surchargés de travail. On est dans la maîtrise de tout, on ne supporte plus que les choses nous échappent. Dire qu’on a peur devient difficile. Notre société de consommation est saturée, on ne laisse plus un enfant ne rien faire et la société est aveugle aux besoins symboliques des enfants qui ne font plus l’expérience de l’enfance.» Discours qu’on entend en effet de plus en plus chez les professionnels de l’enfance qui constatent que les petits, débordés d’activité, n’ont plus le loisir de s’ennuyer. Sophie Marinopoulos livre une anecdote très éclairante d’une forte tendance actuelle : assise en terrasse au bord de la mer, elle observe une famille en train de déjeuner à quelques mètres. Deux enfants de deux et quatre ans sont présents et jouent avec des téléphones portables. Alors que le sable est à portée de main. Dans la salle une jeune femme directrice de crèche familiale rebondit sur cette observation : « l’enfant est aujourd’hui la septième merveille du monde et pourtant je vois souvent des enfants pleurer pendant que leur parent est au téléphone. Les assistantes maternelles accueillent des parents qui n’ôtent même pas leur oreillette.» A ce sujet, vous pouvez lire sur ce blog l’article « Maman ne peut pas décrocher d’instagram, ton biberon attendra« .

     La CNAF veut lier petite enfance et soutien à la parentalité

     La CNAF a elle aussi été conviée à s’exprimer lors de cette journée. Edith Voisin, chef de projet au sein de la CNAF a rappelé que l’institution qu’elle représente est un acteur politique ancien mais dont l’engagement sur la parentalité est plus récent. L’objectif de l’institution est de convaincre les acteurs locaux d’ouvrir des centres d’accueil parents enfants. « Jusqu’à présent la politique de la petite enfance et de la parentalité étaient menées en silos, de façon décloisonnée. Il est nécessaire de mieux les articuler en mettant notamment en place des schémas départementaux, avec une instance unique pour regrouper les différents acteurs et réfléchir à une politique plus concertée. » Cette expérience est actuellement menée dans 18 départements pilotes. Le site mon-enfant.fr va également venir en appui de cette volonté de diversifier l’action des CAF et de l’ouvrir sur le soutien à la parentalité. Aujourd’hui le site est très centré sur la petite enfance. Il aide les familles à trouver un mode d’accueil. « Nous sommes en train d’élargir l’offre au secteur de la parentalité pour que les familles puissent trouver toutes les actions pour les accompagner dans le cadre des REAPP »,  précise Edith Voisin. Une rubrique « Près de chez vous » va recenser toutes les initiatives qui s’adressent aux parents (conférences, débats). Un espace documentaire sera mis à disposition des professionnels.

     Accompagner les parents sans jamais les juger

     Pour clore la journée, Isabelle Gambet-Drago, kinésithérapeute, spécialiste du massage des bébés, membre de l’association Edelweiss et auteure de plusieurs ouvrages (« 100 astuces bébé« , « ma leçon de massage avec bébé« ), donne elle aussi sa vision de la relation parents-professionnels dans les structures d’accueil, individuelles ou collectives. En préambule, l’intervenante explique qu’il existe un réel décalage entre ce que le professionnel considère comme un bon parent et la personne à laquelle il est confronté tous les jours. Cet enfant qui arrive systématiquement avec la morve au nez, ou qui, le lundi, a les fesses rouges alors que le vendredi son séant était impeccable peut susciter des sentiments peu amènes à l’encontre du parent. « Si on veut accompagner, on ne peut pas juger, pose Isabelle Gambet-Drago. C’est très compliqué. On doit revisiter nos conceptions. Les parents qui viennent aimeraient être reconnus comme de bons parents avec leurs croyances et leurs cultures, leurs façons de faire. Nous, en face, nous avons appris des choses à l’école. Malgré soi on se dit « cet enfant est mal éduqué ». Quand on a la sensation qu’un parent ne fait pas tout ce qu’il pourrait faire on a tendance à juger. Si vous portez un jugement, ça va se voir dans votre communication non verbale, dans le langage du corps. Or il faut ouvrir tous les possibles pour pouvoir accueillir toutes les différences, y compris ce qui nous dérange parce que ça ne rentre pas dans notre conception du « bon parent ». Il n’y a pas de bon ou de mauvais parent. »

     Cette conception de l’accompagnement à la parentalité est assez représentative de « l’école française » toujours soucieuse de ne pas imposer de normes sociales de classe  et de ne pas faire jouer aux professionnels le rôle de « police des familles » selon l’expression de Jacques Donzelot.

     Cette approche est donc très différente de l’approche anglo-saxonne, plus tournée vers l’éducation voire la formation des parents eux-mêmes à travers des programmes dédiés. Ces différences théoriques et pratiques sont exposées en détail dans cet article du blog : soutien à la parentalité, des modalités encore très controversées. « Si on prend en compte les défaillances parentales, on est dans le conseil pas dans l’accompagnement, estimera plus tard Isabelle Gambet-Drago, interviewée en aparté. Plutôt que de prodiguer des conseils, mieux vaut discuter, rebondir sur ce que disent les mères, sur ce qu’elles projettent pour leur enfant, comprendre comment elles se sont structurées dans leurs connaissances. Pour bouger les choses en profondeur les leçons de morale et l’infantilisation ne marchent pas.»

     Ne pas avoir peur des liens d’attachement

     Dans son intervention, cette spécialiste a également fait référence aux liens d’attachement, fondamentaux pour le bon développement de l’enfant. Quand un petit va en crèche ou est accueilli par une assistante maternelle, il trouve une autre figure d’attachement qui ne se substitue en aucun cas aux figures parentales mais constitue simplement un lien supplémentaire qui ne peut que lui être bénéfique. Pour Isabelle Gambet-Drago, les professionnels de la petite enfance ne s’autorisent pas assez à vivre et à verbaliser cet attachement. « On vous dit trop « gardez vos distances » remarque-t-elle. Mais il n’y a jamais trop de lien pour enfant à partir du moment où il est suffisamment travaillé à l’intérieur de soi. Dire qu’on n’a pas le droit de faire un câlin à un enfant de peur qu’il ne s’attache trop c’est délirant. Ce qui se passe entre 0 et 2 ans est fondamental et vous avez entre vos mains les adultes de demain. » Elle propose des outils favorisant cet attachement au sein des structures d’accueil : le bercement, le portage, le massage, le contact physique en général. « On peut tout à fait utiliser du matériel de portage en crèche. Il faut juste que toute l’équipe soit d’accord sur le principe.» Et bat en brèche l’idée que « l’enfant va prendre l’habitude et ne plus pouvoir s’en passer ». Des propositions qui ont suscité des réactions dans l’assistance, entre enthousiasme et doutes. Comment s’occuper de plusieurs enfants si l’un d’entre eux ne s’endort que dans les bras ? Comment mettre en place ces pratiques si le reste de l’équipe y est hostile ? Quid des possibles réticences parentales ? Comme souvent dans ce type de rencontres, le public repart avec presque autant de questions que de réponses. Ce qui traduit plutôt la richesse des sujets que l’inanité des débats.

     ZO&Ki organise son prochain colloque le 28 septembre 2015, toujours à l’espace Reuilly à Paris, sur le thème des émotions de l’enfant (comment les décrypter et les accompagner). 

     


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  • Mon enfant a du mordant

    Je vous propose un article d’une amie et collègue, Stéphanie Verstraete, thérapeute relationnelle et consultante en éducation, formée à l’analyse transactionnelle et à la CNV et éducatrice de jeunes enfants en multi-accueil.

     

    enfantmordeur

     

    Il est là, concentré à enfiler son déguisement de poussin. Antoine a 16 mois, il grandit, apprend à faire seul, aime les câlins. Aujourd’hui il est à la crèche. Il connaît très bien les lieux et les professionnels qui sont aux petits soins pour lui.

    Gabriel aussi partage cette journée, les locaux et les encadrants. Antoine et Gabriel sont arrivés en même temps à la crèche. Ils se connaissent bien.

    Aujourd’hui Gabriel a choisi la voiture de police. Il imite le son de la voiture tout en la faisant rouler sur le sol. Il passe à côté d’Antoine, assis à terre, coincé entre l’épaule et le passage du cou de son déguisement.

    Des pleurs de douleurs surprennent tout le monde, des larmes perlent sur les joues de Gabriel … Mais que se passe-t-il ? Antoine, assis juste à côté, semble regarder la scène comme s’il suivait une série télé. En s’approchant on peut observer, là, juste sur l’avant-bras de Gabriel, un tatouage ? Non, des traces … de dents !!!

    Yeux rivés vers Antoine, celui-ci ne semble pas tout saisir des enjeux de ses regards accusateurs.

    De très nombreux enfants mordent, surtout avant l’âge de trois ans.

    Malgré les apparences, les enfants n’ont pas d’intention de blesser, de causer du « mal ». Leur néo-cortex n’est pas encore suffisamment élaboré pour qu’ils saisissent et « comprennent » les conséquences de leur comportement.

     

    Mais qu’est-ce qui incite un enfant à mordre ?

     Plusieurs hypothèses peuvent être élaborées :

    – il est en colère

    – il veut en prendre un bout (la fameuse expression « il/elle est à croquer »)

    – il veut obtenir un jeu

    – il est fatigué

    – il a des douleurs dentaires

    – il le fait pour s’amuser sans mesurer la force qu’il a (souvent nous faisons l’erreur de jouer à le croquer …. sauf que l’enfant n’est pas encore en mesure de se freiner)

    – il vit un événement stressant

    – il obtient l’attention des adultes

    – il se défend

    – il est dans un environnement qui ne lui convient pas et vit des émotions difficiles

    – il peut également être victime ou témoin de comportements agressifs

    – il veut aller vers les autres. Il agresse. Le mot « agresses » signifie aller vers … (ok c’est maladroit de leur part mais l’intention est bonne ;-))

     

     

    enfantmordeur2

     Nos interprétations :

    Les morsures d’enfant n’ont pas fini de faire parler d’elles, les parents deviennent des mordus d’informations. Car les morsures laissent les adultes complètement démunis. Ils ne comprennent plus, cet enfants si sage jusque là ne posait aucun problème …. et voilà que désormais il se met à mordre.

     Tourne-t-il mal ?

    Faut-il serrer la « vis » ? mettre l’enfant au coin ? le remordre (paraît que c’est radical) ?

     Et si on cherchait réellement à se mettre à la place du « mordeur ».

    Oui, ces deux enfants se connaissent et sont régulièrement en interaction (regards, rires, disputes). Alors peut-être qu’Antoine veut la voiture de Gabriel et use de la fonction « agression dentaire » pour obtenir l’objet convoité ?

    Et si tout simplement cet individu, si jeune et encore immature psychiquement était sous l’emprise de ses propres sentiments, émotions ?enfantmordeur3

     

    A cet âge là, les enfants sont impulsifs, guidés par leurs pulsions et désirs. Les expressions telles que : « il ne comprend rien », « il n’écoute pas », « il n’en fait qu’à sa tête », représentent bien le stade de développement de l’enfant.

     A cet âge là … il n’est pas raisonnable, il ne le peut pas.

     Ce sont ses émotions qui l’incitent à agir alors qu’un adulte agit après avoir « pensé ». L’enfant est immature et ne peut pas raisonner, ses connexions neuronales ne le lui permettent pas. Alors la pulsion le domine.

     Gabriel passe par là …. Antoine, pris par sa pulsion en veut un bout (ben oui, c’est un « bon » copain)… et crac … Gabriel est marqué.

     Ceci n’est qu’une explication parmi tant d’autre.

     Certaines relations d’enfants nous étonnent tellement ils sont proches, complices. Pour nous adultes, c’est un mystère. Il peut alors y avoir une explication de l’ordre de « laisser sa trace » sur l’autre. Comme pour marquer cette relation spéciale et unique.

     Bien souvent l’adulte a besoin de donner du sens au comportement de l’enfant : certainement parce que c’est rassurant : l’adulte peut proposer une stratégie de « défense ». Il agit sur le comportement alors qu’il serait plus puissant d’agir sur le sentiment, l’émotion, la pulsion.

     parentinquiet

     

     Quoi faire ?

    Je lance l’invitation d’aider l’enfant à considérer l’effet de son acte. Sans violence aucune : pas de gronderie humiliante, pas de « je le mord » pour qu’il comprenne. Mais plutôt une écoute attentive de ce qu’il se passe. Pas évident lorsqu’on voit et entend les pleurs de douleur d’un enfant je vous l’accorde.

     L’idée est d’aider Antoine à relier deux événements : celui de Gabriel et ses pleurs avec le fait que ses dents lui ont entaillé l’avant-bras.

     Gardons en tête, l’idée que Gabriel soit son copain, il lui est très « chair ».

     Car le regard un peu surpris d’incompréhension des enfants mordeurs est LEUR réalité VRAI. Ils ne comprennent pas les pleurs de l’autre enfant. D’ailleurs très souvent ils cherchent du regard un adulte pour qu’il vienne consoler l’enfant ou encore ils pleurent avec lui.

     Le rapport « mes dents – sa douleur » est inexistant.

     C’est grâce à nos attitudes éducatives que nous pourrons l’accompagner dans sa propre gestion de ses pulsions. Ainsi nous pouvons l’accompagner à considérer le fait que Gabriel soit important pour lui mais que les dents sur le bras c’est très douloureux. Et l’aider à trouver une autre manière d’appréhender ses pulsions.

     

    Un autre exemple :

    Un après-midi d’été, mes deux enfants sont chacun dans leur piscine (chacun la sienne : elles sont ridiculement petites mais du coup très contenantes). Ils sont jeunes : 3ans et 1 an. Moi, je suis allongée sur mon transat, face à eux. Ma fille me regarde avec un de ses regards très profond et sincère.

     Elle me dit :« je vais le mordre » (en parlant de son frère). Rien ne s’est passé entre eux, aucune explication logique à ce comportement.

     Donc, là, tout de suite, elle m’exprime une pulsion.

     J’accueille, valide « oh là, je vois comme tu as très envie de le mordre »… mais ce n’est pas suffisant, je sens que je dois être force de proposition très très rapidement. « Viens, on va pincer mon matelas ».

     Elle sort de sa piscine, vient vers moi et se met à pincer avec délice le matelas. Moi, j’en profite et en fait autant …. incroyable comme ça soulage. Soulage quoi ? Je n’en sais rien, ça soulage.

     Voilà, ça m’a pris 3mn. La pulsion a été entendue, ma fille a trouvé une ressource pour accueillir sa pulsion sans « agresser » l’autre … Et moi je dispose d’un exemple concret pour illustrer les effets d’une pulsion ;-)

     J’apprend encore tous les jours à accueillir l’émotion (les miennes et celles de mes enfants) afin de permettre à mes enfants de ne pas les refouler et devenir des cocottes minutes. L’objectif étant d’arriver à trouver, dans la mesure de leur possible et de leurs capacités, des stratégies pour à la fois s’écouter soi et respecter l’autre.

     

    Quelle est ma posture ?

    « On ne naît pas parent, on le devient », et c’est bien dans ce cadre accueillant et respectueux que j’accompagne les parents dans mes ateliers « Dessine-moi un parent », « Écouter pour que les enfants parlent », « jalousie entre frère et sœur » ou encore lors des consultations en éducation.

     Les parents veulent être au plus proche du développement de leurs enfants mais manquent parfois, souvent d’informations. Ils ne réussissent pas toujours à relier un comportement avec une étape de développement.

     Et oui tout cela ça s’apprend.

     L’enfant nous apprend à devenir parent.

     Chaque enfant est une personne unique et c’est bien pour cela qu’une simple théorie ne suffit pas à expliquer un comportement. Prendre un temps et explorer les possibles tout en acceptant d’accueillir les sentiments et émotions, voilà un chemin enrichissant.

     

    ecoute

     

     Stéphanie Verstraete

    Thérapeute Relationnelle
    Consultante en Education

     

    Consultations sur RDV :
    2 rue Abbé Bonpain
    59113 Seclin

    Tel : 06.81.52.15.66
    Email : psy.verstraete@free.fr


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  • J’ai 2 ans et je te dis « Non » parce que c’est bon pour ma santé !

    Publié le 25 octobre 2013 par Elodie Wiart

    article issu de : https://educationrelationnelle.

    Cher éducateur,

    J’ai 2 ans.
    Je suis en pleine découverte de moi-même, de toi, de l’environnement qui m’entoure.
    Je commence à me rendre compte que je suis un individu à part entière, avec des besoins et des envies qui me sont propres.
    J’ai découvert un mot, il y a peu : « Non ». Comme je l’aime bien ce mot ! Je me sens plus forte, je me sens distincte de toi quand je le prononce. Et avec force, c’est encore mieux, je sens encore plus de puissance à l’intérieur de moi.
    Je vois bien que toi, ce petit mot, il te contrarie… C’est comme si je remettais en question ton autorité.
    Tu sais, éduc, quand je dis « Non », ce n’est pas tellement à toi ou à ce que tu me proposes que je réponds… Quand je dis « Non », je dis en fait « Oui » à ma singularité. Je dis « Oui » à une nouvelle faculté que je découvre de pouvoir avoir un avis différent du tien. Ce n’est pas à toi que je dis « Non », c’est en fait à moi que je dis « Oui » !
    Quand tu me cries dessus parce que je te réponds ce petit mot de trois lettres, je sens en moi des tremblements. Il paraît que ça s’appelle « la peur ».

    https://educationrelationnelle.files.wordpress.com/2013/10/tong.jpg

    Et quand ça arrive trop souvent, je me dis alors que ce n’est pas vraiment permis de SE dire « Oui » (alors que toi, justement, tu voudrais que je TE dise « Oui »).
    Et je finirai par te dire « Oui », parce que je n’aime pas cette sensation que ça me fait quand tu es en colère contre moi, et j’ai bien compris qu’en te disant « Oui », ça semblait mieux te convenir, et moi, ça me fait pas toute cette tempête à l’intérieur. Je te dis « Oui », pourtant en dedans, ça me fait « Non ». Et il se peut qu’un jour, j’oublie que ça me fait « Non »…
    J’aimerai pourtant tellement pouvoir apprendre à te dire des vrai « Oui » et aussi des vrai « Non ». Je suis sûre que ça m’aiderait à me construire et à devenir un adulte conscient de lui.
    Si tu acceptes mes « Non », alors saches que mes « Oui » pourront être de vrai « Oui ».
    Et je suis convaincue qu’au fond de toi, c’est ce que tu souhaites pour moi. En fait, nous voulons la même chose, toi et moi, finalement !
    Seulement, à mon âge, je n’ai pas encore la maturité pour te dire les choses avec des mots d’adulte.
    Et ça m’aiderait à pouvoir devenir moi-même que tu te mettes à mon niveau d’enfant et que tu puisses être en lien avec le monde dans lequel je grandis. Celui d’une petite fille de quelques mois qui expérimente, qui découvre l’impact qu’elle a sur les autres, qui ne demande qu’à être guidée sur ce chemin qu’est la Vie.

    https://educationrelationnelle.files.wordpress.com/2013/10/boude.jpg

    Partage d’expérience :

    Mélinda a 3 ans. C’est une petite fille sage, polie. Trop sage, trop polie pour son âge. Personnellement, je suis contrariée par ce côté si lisse ! Elle n’exprime jamais de colère, très peu de tristesse, demande plusieurs fois par jour si elle est sage (ça semble important pour ses parents qu’elle soit « sage »).
    Cela fait 2 mois qu’elle a rejoint le foyer.
    Et aujourd’hui, au moment d’aller prendre sa douche, Mélinda me dit d’un air affirmé : « Non !! Non, Non, Non » !! Et à l’intérieur de moi, ça fait « Youhouuuuu » !!

    Moi : Mélinda, je vais t’accompagner prendre ta douche
    Mélinda : Non, je prends pas de douche ! Non et Non !
    Moi : Oh, tu ne veux pas prendre de douche !
    Mélinda : Non, je vais pas prendre ma douche !
    Moi : (tout en prenant ses affaires) Je t’y accompagne, tu me dis si tu préfères de l’eau chaude ou de l’eau tiède ?
    Mélinda : (en allant dans la salle de douche) Je veux de l’eau tiède
    Moi : Ok, voilà de l’eau tiède !
    Mélinda : Je veux pas me laver
    Moi : Est-ce que tu souhaites que ce soit moi qui te lave ?
    Mélinda : Non, je veux pas !
    Moi : Alors est-ce que tu préfères te laver seule ?
    Mélinda : Oui, c’est moi qui me lave !

    D’une situation hasardeuse au début, le tout s’est fini dans la sérénité et les rires. Ma volonté était que la douche soit prise car c’est le « cadre » posé par l’équipe et en même temps que Mélinda puisse avoir la possibilité d’affirmer un « Oui » ou un « Non » qui seraient entendus et acceptés. J’ai donc fait le choix d’orienter sa prise de position vers des choix sélectifs (la température de l’eau et la toilette), et d’accepter sa décision. L’ambiance détendue que j’ai ressentie et l’attitude de Mélinda m’ont donné l’impression que son besoin de s’affirmer étaient entendus. Mes besoins de respecter le cadre posé et la demande d’affirmation de Mélinda l’étaient également.

     

    https://educationrelationnelle.files.wordpress.com/2013/10/parentenfantsat.jpg

    Pour moi, « Gagnant – Gagnant », c’est ça le vrai bonheur !!

     


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  • L'attachement comme facteur essentiel de bon développement

     
        L'enfant développe très tôt des " stratégies d'attachement " pour que l'on s'occupe de lui. Il fait preuve de capacités d'adaptation considérables, repérant instinctivement ce à quoi sont sensibles ses proches. Il préférera même un rapport négatif à ses parents plutôt qu'une absence d'interaction. Ce qui est essentiel pour lui : se sentir pris en charge et protégé, par ses parents bien sûr, sinon sa famille plus large ou des adultes extérieurs. L'enfant agit en fonction de ce qui optimise sa propre protection. Raphaële Miljkovitch, docteur en psychologie, analyse ces mécanismes d'attachement.
         

    Raphaële Miljkovitch
    Docteur en psychologie,
    professeur, université Paris-Ouest - Nanterre La Défense, chef de projets de recherche, Institut mutualiste Montsouris, thérapeute familiale, Centre Monceau, Paris.

     

    L'attachement est un besoin primordial de l'enfant. Pour survivre, il a besoin d'au moins un adulte qui veille sur lui et le protège. Grâce aux réponses de ce dernier à ses manifestations de détresse, le bébé apprend progressivement à surmonter la peur. La présence de l'adulte lui permet en outre d'apprivoiser un environnement qui lui est au départ inconnu. En s'exposant en toute sécurité au monde, tant physique que social, l'enfant se familiarise avec les différentes choses et personnes qui l'entourent. Lorsque l'accompagnement parental1 fait défaut, il ressent une anxiété importante, qui nuit à son développement et peut précipiter la survenue de symptômes (1).


    Le minimum vital : la relation dyadique

    Afin de grandir harmonieusement, l'enfant a donc besoin à tout instant de se sentir en sécurité. Dès que celle-ci lui paraît menacée, que ce soit en raison d'une sensation désagréable qu'il ne comprend pas ou d'un aspect effrayant de l'environnement, il agit de façon à favoriser un rapprochement de l'adulte. Dès sa naissance, le bébé dispose d'un répertoire de comportements innés (tels que les cris), qui ont généralement pour effet d'interpeller et mobiliser le parent. Toutefois, il arrive que ces tendances naturelles ne suffisent pas à obtenir la sécurité recherchée. Dans ce cas, l'enfant en modifie l'expression.
    La manière dont l'enfant ajuste son comportement en vue de s'assurer de la présence de l'adulte dépend de la façon dont ce dernier réagit à ses demandes. Tout se passe comme si au moins l'un des deux membres de la dyade devait veiller à ce qu'il ne coure aucun risque. Généralement, le parent assume la responsabilité d'intervenir, si besoin est, et l'enfant n'a pas besoin d'être continuellement sur le qui-vive. Il lui suffit de lui signaler son besoin d'être rassuré quand il se trouve dans une situation alarmante. Son comportement (cris, agitation, etc.) a pour effet de faire venir l'adulte, ce qui fait disparaître sa détresse. À travers l'expérience répétée de ce genre de scénario, l'enfant apprend qu'il peut compter sur lui en cas de besoin et développe un sentiment de confiance et de tranquillité : on dit d'un tel enfant qu'il est " écure ". Il arrive toutefois, pour des raisons diverses, que le parent n'assure plus tout à fait cette fonction (2). Il revient alors à l'enfant de rester vigilant quant aux conditions de sécurité et de trouver des moyens qui lui permettent de pallier les manquements de l'adulte.


    Tout faire pour préserver le lien

    Les enfants, même petits, développent des stratégies variées, appelées " stratégies d'attachement ", pour parvenir à ce que l'on s'occupe d'eux. Aussi jeune soit-il, l'enfant saisit très bien les attentes de ses parents. Bien que, bébé, il n'ait pas encore la capacité de se mettre à la place d'autrui, il constate que certains de ses comportements sont mieux reçus que d'autres. Par exemple, si, pris dans les bras d'une autre femme, il se montre souriant et que sa mère s'empresse alors de le reprendre en le consolant, il comprendra que les autres personnes sont susceptibles de lui nuire et qu'il doit s'en tenir à l'écart. Même si les réactions de sa mère sont décalées par rapport à ce qu'il ressent véritablement, l'enfant va tout de même accepter ce qu'elle lui communique, car il s'en remet à elle (ou plus généralement à ses " donneurs de soins ") pour déterminer ce qui est le mieux pour lui. Très réceptif à ce qui lui déplaît, l'enfant cherche à ne pas la contrarier et risquer de compromettre le lien affectif qui existe entre elle et lui. Il apprend vite à éviter de provoquer chez elle des réactions négatives, qui éveilleraient en lui un sentiment d'insécurité. À l'inverse, le bébé remarque aussi ce qui est apprécié par ses parents et les met dans de bonnes dispositions.

    Cela étant, J. Bowlby (3) estimait qu'il valait mieux avoir une " mauvaise mère " que pas de mère du tout. Nous n'aborderons pas ici la question de la place de la mère par rapport à d'autres adultes en ce qui concerne la fonction d'attachement (4) mais, d'une manière générale, on constate effectivement que les enfants préfèrent un rapport négatif avec leurs parents à une absence totale d'interaction. Parfois, le simple fait de réussir à attirer l'attention sur soi, même si cela donne lieu à un échange violent ou douloureux, peut sembler relever de l'attachement. Qu'il soit bienveillant ou non, un parent reste, aux yeux de l'enfant, le havre de sécurité vers lequel se tourner en cas de peur. Tant qu'il n'est pas suffisamment mature pour se prendre en charge tout seul ou qu'il n'a pas la possibilité de se réfugier ailleurs, un tout-petit, même maltraité, reste aux côtés de ses parents. De son point de vue, c'est ce qui est le plus favorable à sa survie. Pour cette raison, les comportements qui permettent au minimum d'attirer l'attention sur soi et, au mieux, d'obtenir du parent une attitude protectrice ou réconfortante peuvent être considérés comme des comportements d'attachement (5). Le plus naturel consiste à signifier sa détresse par des cris ou des pleurs. Mais, lorsque ces signaux donnent lieu à un rejet, l'enfant peut alors éviter le parent pour ne pas représenter un poids pour lui ; il le met ainsi dans de meilleures dispositions. Une inversion des rôles où l'enfant se préoccupe du bien-être de l'adulte peut être un autre moyen de maintenir une forme de contact. Dans certaines circonstances, pour qu'on le remarque, l'enfant peut aussi en arriver à faire des crises. Même si cela donne lieu à un échange négatif, cela paraît préférable à une absence de lien (6).

    L'enfant peut aussi s'apercevoir que d'autres comportements, dont la finalité n'était pas, initialement, d'attirer le parent, peuvent néanmoins avoir cet effet. Par exemple, en se faisant mal accidentellement, il peut constater que l'adulte lui vient en aide, alors qu'il ne le fait pas autrement. Les blessures peuvent ainsi lui paraître d'une importance secondaire à côté du réconfort qu'elles permettent d'obtenir. L'enfant peut alors très vite user de ce type de comportement afin d'inciter l'adulte à s'occuper de lui. Ce qui est d'autant plus susceptible de se produire que des demandes plus directes ne parviennent pas à lui procurer les soins attendus. En somme, pour agir sur le parent de manière à trouver une réponse à ses besoins, l'enfant peut aussi développer des " stratégies d'attachement masquées ", en reproduisant des conduites autres, dont il s'est rendu compte qu'elles permettaient de mieux accéder à lui. Celles-ci peuvent aller de la prise de risques aux plaintes somatiques, en passant par l'agressivité.


    Les autres membres de la famille ont aussi leur importance

    Ce qui est essentiel pour un enfant, c'est de se sentir pris en charge et protégé. Bien sûr, un attachement à ses deux parents est optimal mais, lorsqu'un des parents est défaillant, l'intervention de l'autre parent peut plus ou moins combler les manques occasionnés par cette relation (7). Cela atténue ses effets délétères au niveau de l'équilibre psychologique de l'enfant mais aussi au niveau des liens qu'il tisse au cours de son développement. À la différence de la personne qui n'a connu que des relations difficiles au sein de sa famille, celle qui a bénéficié d'un soutien stable et rassurant arrive à concevoir les relations en termes positifs.

    L'impact négatif de l'insécurité dans la relation au parent peut donc être minimisé si l'enfant peut trouver au sein de sa famille un tiers sécurisant. On sait déjà que, s'il s'ajuste à chacune de ses figures d'attachement en fonction de leurs réactions spécifiques (8), il tient aussi compte de l'ensemble de son environnement dans son processus d'adaptation (5). Par exemple, il réagira très différemment à un père maltraitant selon qu'il vit seul avec lui, que sa mère cautionne les agissements de son mari ou qu'au contraire elle s'oppose à lui. L'enfant agit en fonction de ce qui optimise sa propre protection. C'est ainsi que, face à un père violent, si la mère n'est pas en mesure de le protéger, il aura meilleur intérêt à se montrer positif (ce qui peut l'amener à idéaliser son père) qu'à se montrer révolté et risquer de provoquer en lui encore plus de comportements hostiles. Il en ira tout autrement si la mère intervient.

    Par ailleurs, l'entrée dans l'adolescence peut être un de ces facteurs qui amènent l'enfant à se rendre compte de la situation dans laquelle il se trouve. Outre le développement de ses capacités cognitives, qui lui ouvre de nouvelles perspectives et lui procure une certaine autonomie de pensée, l'adolescent n'est plus totalement dépendant de ses parents pour assurer sa survie. Leur proximité ne lui est plus indispensable. Par conséquent, si la vie de famille présente certains risques en raison, par exemple, de la violence qui y règne, ceux-ci ne sont plus nécessairement compensés par ce que les parents peuvent lui apporter sur d'autres plans en termes de minimum vital (ne serait-ce qu'un toit). Si, de plus, l'enfant trouve d'autres personnes susceptibles de l'aider, il sera d'autant moins enclin à rester sous leur emprise. Dans ce contexte, une solidarité entre frères et sœurs peut se développer et lui permettre de faire front face aux adultes. L'accès aux grands-parents peut également servir d'appui. La possibilité d'établir une
    relation extérieure à celle avec le(s) parent(s) défaillant(s) rend celle-ci moins cruciale pour s'assurer de sa propre protection.

    Les ressources à l'extérieur de la famille

    Les relations que l'enfant établit en dehors de la famille participent aussi à son bon développement (9, 10). En particulier, s'il est gardé par une nourrice, une auxiliaire de puériculture ou une baby-sitter, il s'en remet totalement à elle pendant la garde pour qu'elle lui apporte les soins dont il a besoin. S'il n'arrive pas à être rassuré dans sa famille, ce type de relation aura d'autant plus d'importance qu'elle estompe l'influence néfaste des liens familiaux et lui apporte un modèle de relation plus positif, qui teinte sa vision des rapports interpersonnels. Les moments partagés avec elle sont autant de moments qui contribuent eux aussi de manière significative à son développement.

    Ces personnes extérieures peuvent aussi jouer un rôle dans la qualité des interactions entre l'enfant et sa famille. Elles peuvent en particulier repérer certains comportements problématiques chez l'enfant et orienter les parents vers les instances compétentes pour qu'ils puissent être aidés dans leurs difficultés. Si l'enfant se comporte avec n'importe quel adulte comme s'il s'agissait d'un parent, s'il se met en danger en présence de sa mère ou de son père, si de manière persistante il est incapable de s'en détacher et ressent une peur extrême face aux étrangers, s'il est excessivement agressif, il convient de s'interroger par rapport à la qualité de l'attachement établi au sein de son foyer (11).


    Conclusion

    En bref, l'enfant fait preuve d'incroyables capacités d'adaptation pour inciter ses proches à s'occuper de lui, repérant de manière instinctive ce à quoi ils sont sensibles. En outre, il a beaucoup de ressources pour trouver dans son environnement les personnes qui vont lui permettre d'obtenir la protection et l'aide dont il a besoin. Par conséquent, plus il est entouré de personnes susceptibles de lui apporter les soins nécessaires, plus il aura de chances de trouver la sécurité. Bien sûr, la relation à la principale figure d'attachement (généralement la mère), parce qu'elle est durable et quotidienne, joue un rôle essentiel. Son poids va cependant varier en fonction des autres relations que l'enfant établit, à commencer par celle avec l'autre parent, mais aussi celles avec des adultes en dehors de la famille nucléaire.

     

    Note

    1. La référence au " parent " renvoie ici à toute personne qui fournit à l'enfant les soins indispensables à son développement.

    Références bibliographiques

    (1) Bowlby J. Attachement et perte. 1 : L'attachement ; 2 : La séparation, angoisse et colère ; 3 : La perte, tristesse et dépression. Paris : Puf, coll. Le fil rouge, 1978. Vol. 1 (2002, 544 p.), vol. 2 (2007, 560 p.) ; vol. 3 (2006, 608 p.).

    (2) Miljkovitch R. L'attachement au cours de la vie. Paris : Puf, coll. Le fil rouge, 2001 : 288 p.

    (3) Bowlby J. Forty-four juvenile thieves: Their characters and home life. International journal of psycho-analysis 1944; (25)19-52: 107-27.

    (4) Pour une revue de la littérature sur les spécificités du père par rapport à la mère, voir
    Miljkovitch R., Pierrehumbert B. Le père est-il l'égal de la mère ? Considérations sur l'attachement père-enfant. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 2005 ; 35 : 115-29.

    (5) Miljkovitch R. Les fondations du lien amoureux. Paris : Puf, coll. Le lien social, 2009 : 232 p.

    (6) Miljkovitch R. Les troubles de l'attachement. Journal des professionnels de l'enfance, 2004 ; 31 : 63-4.

    (7) Howes C., Spieker S. Attachment relationships in the context of multiple caregivers. In: Cassidy J., Shaver P.R. (Eds.). Handbook of attachment. Theory, research, and clinical applications. NY: Guilford, 2008: 317-32.

    (8) Fox N.A., Kimmerly N.L., Schafer W.D. Attachment to mother/Attachment to father: A meta-analysis. Child development 1991; 62: 210-25.

    (9) Lecomte J. Guérir de son enfance. Paris : Odile Jacob, 2004 : 382 p.

    (10) Lighezzolo J., Tychey (de) C. La résilience. Se (re)construire après le traumatisme. Paris : éditions In press, 2004 : 120 p.

    (11) Zeanah C., Boris N.W., Lieberman A.F. Attachment disorders of infancy. In: Sameroff A.J., Lewis M., Miller S.M. (Eds.). Handbook of developmental psychopathology, (2nd ed.). New York: Kluwer Academic/Plenum publishers, 2000: 293-307.

     
    LA SANTÉ DE L'HOMME 400 | MARS-AVRIL 2009 |

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    Langage gestuel : comment communiquer autrement avec son bébé ?

    Geste_parole

    Le langage gestuel permet aux bébés de communiquer avec leurs parents bien avant la mise en place de la parole. Le point sur cette nouvelle pratique avec la rédaction de Picoti, aidée de Nathanaëlle Bouhier-Charles, fondatrice du réseau “Signe avec moi”, et de Sandrine Higel, fondatrice de “Signes2mains Formation” et formatrice en crèches.

     

    Le langage gestuel

     

    Tout droit venue des États-Unis, cette pratique découle d'un constat physique : un jeune enfant maîtrise les muscles de ses bras et de ses mains avant ceux de sa bouche. Il est donc très tôt en mesure d'exprimer, au moyen de gestes simples, ses demandes, ses envies et ses émotions. Dès l'âge de 9 mois, un enfant commence naturellement à imiter ses parents. Il fait oui ou non de la tête, au revoir de la main, ou, pour jouer, il se cache les yeux derrière les mains.

    La création du langage gestuel vient de l'envie d'élargir cette palette de signes afin, comme l'explique Nathanaëlle Bouhier-Charles, de “permettre aux tout-petits de limiter leurs frustrations, de signifier leurs émotions et d'être mieux compris de leur entourage”.

     

    Un langage proche de celui des sourds ?

     

    Bien que de nombreux gestes en soient issus, le langage gestuel n'est pas, à proprement parler, la LSF (langue des signes française). Nathanaëlle Bouhier-Charles explique qu'il est essentiel de faire la distinction entre les deux : “La langue des signes est une langue propre, avec un système de grammaire et de vocabulaire particulier.” Le langage gestuel ne permet pas de construire des phrases, mais simplement d'exprimer des idées de façon très générale : “J'ai faim”, “J'ai mal”, etc.

     

    Un mode de communication ludique

     

    On peut se demander si le fait d'échanger par signes avec un enfant qui n'a pas de difficultés particulières pour communiquer n'est pas une lubie totalement artificielle. Pourquoi inculquer un savoir à un tout-petit qui a tellement de choses à apprendre par ailleurs ?

    “Les utilisateurs de cette pratique ne sont pas dans une optique de performance ni de méthode. Nous n'attendons aucun résultat, et il ne s'agit pas du tout d'enseigner une langue à l'enfant”, avance Sandrine Higel. Nathanaëlle Bouhier-Charles insiste sur ce point : “Le langage gestuel n'est pas déconnecté d'une relation d'affection. Il faut avant tout que cela reste ludique.”

     

     

    Le 10 novembre 2010 Charlotte Derville, pour le magazine Picoti


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  • article issu de : http://heloisejunier.com/

    Comment parler aux tout-petits ?

    Source photo : naître et grandir

    Chez les plus jeunes, l’émotion prévaut sur les mots. Dès lors, comment 
leur parler ? À quel rythme évolue leur compréhension des événements ? 
Y a-t-il des sujets tabous ? Entretien avec Marie-Noëlle Clément, psychiatre, psychothérapeute et auteur de « Comment te dire ? Savoir parler aux tout-petits » (Éditions Philippe Duval, 2013).

     

    Qu’est-ce qu’un jeune enfant comprend 
d’une situation complexe, tel que le divorce 
de ses parents, ou le décès de son grand-père ?


    Les enfants les plus jeunes, jusqu’à 2 ans, ne peuvent comprendre grand-chose sur le fond. Mais ils ont une forme d’intelligence perceptive qui leur permet de saisir avec une extraordinaire acuité toute forme de changement dans leur quotidien ou dans l’humeur de leurs proches. Si, par exemple, une personne décède dans la famille, ils ne peuvent pas saisir la teneur de cet événement. Mais ils ressen­tent que l’atmosphère familiale a changé, que leurs parents sont tristes, moins disponibles pour jouer ou communiquer. Et c’est la raison pour laquelle on ne peut pas faire comme si de rien n’était ! Le bébé structure son rapport au monde à travers les relations qu’il entretient avec les adultes qui s’oc­cupent de lui : il relie progressivement les situations qu’il vit avec les mots posés par les adultes pour nommer les événements et les émotions qui les accompagnent. Si l’on décide d’attendre que la compréhension soit parfaitement au rendez-vous pour parler à l’enfant, alors on peut repousser indéfiniment l’échéance, car les situa­tions de la vie sont souvent d’une telle complexité qu’on peut toujours se réfugier derrière cet argument pour ne rien en dire. Et puis, parler aux enfants de tout ce qui les concerne, dès le plus jeune âge, est aussi une manière pour l’adulte de s’habituer à trouver les mots et à les prononcer. L’échange entre le tout-petit et son entourage s’ins­crit ainsi dans un continuum dans lequel l’enfant se repère de mieux en mieux au fil des mois. Lorsqu’un événement familial, notamment douloureux, est passé sous silence sous prétexte qu’un tout-petit ne parle pas, il est fréquent qu’il ne soit pas réabordé par la suite. À l’inverse, s’il est nommé, il continuera à faire partie des échanges familiaux.

    Comment évolue la compréhension du tout-petit 
au fil de son développement ?


    Le tout-petit appréhende d’abord le monde au travers de ses sensations, de ses éprouvés corporels, de ses perceptions sensorielles. Les mots des adultes viennent peu à peu nommer et structurer ce vécu sensoriel, lui donner du sens. Puis, à partir de 2 ans, l’enfant passe progressivement d’une compréhension perceptive du monde et des événements à une compréhension narrative : le langage se développe, et il comprend d’ailleurs les mots avant de pouvoir les prononcer et les utiliser lui-même. Enfin, entre 3 ans et 6 ans, les repères spatio-temporels se mettent en place. Il saisit alors le sens des adverbes de temps et d’espace : « avant », « maintenant », « après », « ici », « ailleurs », etc.

    Les mots ont-ils pour l’enfant une valeur moindre
que les émotions, que l’infra-verbal ?


    En effet. L’enfant parle avant tout le langage du corps et des émotions, et c’est d’autant plus vrai qu’il est plus jeune. C’est pourquoi, face à un enfant, il est particulièrement important de mettre son discours en accord avec ses émotions. C’est le fameux « parler vrai » que préconisait Françoise Dolto. Cela signifie qu’il n’est pas judicieux de dire que l’on est content si l’on est triste, même avec la louable intention de protéger l’enfant… car alors il ne sait plus à quel saint se vouer !

    Généralement, l’enfant ressent parfaitement lorsque sa mère est sombre, énervée, peu disponible. Or, elle lui assure que tout va bien : n’est-ce pas troublant ? Doit-il se fier à sa propre perception ? Doit-il se fier à la parole de l’adulte ? Plus l’enfant est jeune, moins il est assuré dans la construction de ses propres repères, et plus il privilégie la seconde option… au risque de perdre toute confiance en sa capacité à comprendre le monde qui l’entoure, puis, plus tard en la parole des adultes.

    Existe-t-il justement des études soulignant 
la prévalence, chez le bébé, de la communication 
non verbale et des émotions sur le langage verbal ?


    Il existe des études sur le « mamanais », cette forme de communication universelle que toute personne en position de prendre soin d’un bébé utilise spontanément. La voix devient chantante, le vocabulaire est simplifié, avec une hyperarticulation, une accentuation des voyelles, des formes interrogatives ou exclamatives, et une intense participation affective et mimogestuelle. C’est donc une forme de communication multimodale, dans laquelle le sens du discours occupe une place tout à fait secondaire. Les travaux de Colwyn Trevarthen, professeur de psychologie de l’enfant et de psychobiologie à l’université d’Édimbourg, montrent que les réactions du bébé, notamment mesurées par l’intensité de ses vocalises et de ses mouvements corporels, sont proportionnelles à la qualité et à l’intensité du mamanais utilisé par l’adulte. Si la voix de la mère est monotone, sans prosodie, et s’il n’y a pas de participation mimogestuelle, les « réponses » du bébé sont faibles ou inexistantes. Si, au contraire, la voix produit des pics prosodiques importants, et que l’adulte participe avec ses mimiques et son corps, alors le bébé entre dans le dialogue, par des vocalises et des mouvements corporels. Et même, au moment où la stimulation de l’adulte retombe, le bébé continue dans un premier temps à appeler la poursuite de ce dialogue en vocalisant, en accrochant son regard à celui de l’adulte, le corps toujours animé de mouvements.

    Quelle parole préconisez-vous pour l’enfant, 
sur le plan de la forme et du fond ?


    La forme doit évidemment être adaptée, car elle détermine la possibilité pour l’enfant d’accéder progressivement au sens du discours. L’information doit être donnée à l’aide de mots simples, de phrases courtes, affirmatives, et au présent, car il n’y a pas de notion de temporalité avant l’âge de 3 ans. Puis, il est souhaitable que l’adulte se place physiquement au niveau de l’enfant, car c’est moins impressionnant. Enfin, joindre le geste à la parole permet au tout-petit de mieux comprendre, de même qu’exagérer les mimi­ques lorsqu’il s’agit de nommer les émotions. Précisons qu’il vaut mieux que l’adulte ait pu se familiariser préalablement avec la situation dont il parle, de façon à ne pas être débordé par un trop-plein émotionnel qui pourrait angoisser l’enfant. Et n’oublions pas de rassurer l’enfant sur le fait qu’il n’est pas responsable de la situation difficile en question. Les tout-petits étant au centre des préoccupations de leurs proches, ils sont enclins à se penser à l’origine de toutes les émotions qui habitent leurs parents, leurs joies comme leurs peines.

    Noyer un enfant sous un flot de paroles ne peut-il pas constituer un risque ?


    Tout d’abord, il ne s’agit pas de « noyer » l’enfant de paroles, mais de se demander en quoi un événement le concerne, et quelle information lui est utile pour comprendre les changements qui affectent sa vie ou l’humeur de ses proches. Dès lors, il convient de lui parler avec un discours adapté, en évitant un excès de détails. Trop de paroles, trop de précisions incompré­hensibles, c’est en effet plus angoissant que rassurant pour un tout-petit. Nos enfants ne sont pas nos confidents. Nous ne leur parlons pas pour nous soulager ou nous déculpabiliser, mais pour les aider à se structurer et à se construire au monde. Il faut donc savoir raison garder : le silence est délétère, la profusion d’informations l’est aussi.

    À quoi voit-on qu’un jeune enfant qui ne parle pas encore vit mal une situation ? Quels sont les marqueurs de sa souffrance psychologique ?


    Un tout-petit exprime sa souffrance par un changement de comportement : il est moins joueur, plus replié sur lui-même, moins appétant sur le plan relationnel. Il peut se montrer très agité, comme pour attirer sur lui une attention qu’il ne perçoit plus comme suffisante. Des troubles du sommeil, de l’appétit, des difficultés de séparation peuvent aussi se manifester.

    Depuis quand les spécialistes préconisent-ils 
aux parents de parler à leurs jeunes enfants ?


    Parler aux enfants, et particulièrement aux tout-petits, est une préoccupation relativement récente. En premier lieu parce que, pendant des siècles, la forte mortalité infantile contrariait leur investissement : il fallait d’abord s’assurer qu’ils vivent ! Au XXe siècle, les pro­grès de la médecine aidant, cette inquiétude est peu à peu devenue moins prégnante. Pourtant, la notion de « sujets » avant l’âge de 3 ans a continué de faire débat, jusqu’à ce que le travail des psychanalystes de l’enfant ne permette plus de remettre ce principe en question. Françoise Dolto reste la psychanalyste qui a radicalement changé le regard sociétal porté sur l’enfant dans notre pays. L’idée du bébé considéré comme une personne s’est véritablement imposée dans les décennies 1970-1980, même si les habitudes de communication parents-enfants ont été plus longues à évoluer. Aujourd’hui, les parents qui se présentent en consultation ont en effet l’idée qu’il est important de parler aux plus jeunes, et même aux bébés, mais d’abord ils souhaitent en être bien sûrs et demandent pourquoi. Ensuite, ils ne savent pas forcément comment s’y prendre pour communiquer avec un enfant chez qui le langage est peu ou non développé.

    Compte tenu de l’évolution des mœurs, consacrer 
un livre à la manière de parler aux tout-petits aurait-il été envisageable il y a une cinquantaine d’années ?


    Il y a cinquante ans, l’organisation sociale et familiale reposait encore sur un modèle très patriarcal. Les enfants avaient peu droit à la parole dans les familles, et on ne les considérait pas en droit de savoir quoi que ce soit de la vie familiale, voire de la vie en général.

    De plus, beaucoup de sujets étaient « tabous » (voir encadré ci-contre), notamment tous ceux portant sur les questions de filiation. Le principe même de parler aux enfants restait à conquérir, et Françoise Dolto a énormément apporté de ce point de vue. Donc, un ouvrage de ce genre aurait paru totalement incongru. Probablement même n’aurait-il pas pu être imaginé car le principe de base n’en était pas acquis.

    Dans votre propre ouvrage, Comment te dire ? 
Savoir parler aux tout-petits, vous conseillez 
les parents dans leur manière de s’adresser à 
leur enfant, dans une pluralité de situations (Comment te dire que ton grand-père a un cancer, 
que ta maman est en prison…). Finalement, cela 
ne revient-il pas à orchestrer une attitude qui 
se voudrait naturelle et intuitive pour les parents, mais qui, dans les faits, ne l’est pas forcément ?


    C’est une très bonne question car c’est précisément ce que je voulais éviter en écrivant ce livre ! Il s’agit de donner à connaître des éléments essentiels sur le « pourquoi » et le « comment » communiquer avec les plus jeunes, mais en aucun cas de prescrire un discours dans son contenu. C’est ensuite à chacun de trouver sa propre « voix » ! Cependant, au-delà des principes utiles pour bien communiquer avec les tout-petits, je ne voulais pas éluder la question de la formulation. Pour chaque thématique abordée, je me suis donc pliée à l’exercice, en précisant bien que ce ne sont que mes mots, et qu’ils ne constituent pas un « prêt-à-dire » qui serait valable pour tous. Ils ont pour seule vertu de montrer qu’il est en effet possible de parler aux tout-petits de tout ce qui les concerne, y compris des sujets qui semblent les plus délicats.

    D’ailleurs, pourquoi certains adultes éprouvent-ils 
tant de difficultés à parler à leur jeune enfant ?


    La communication avec un tout-petit passe par divers canaux : les mots, le corps, et les mimiques qui tra­duisent les émotions. Notre désir de communiquer avec les enfants dépend beaucoup des habitudes d’échange que nous avons rencontrées dans notre propre famille durant notre enfance ou notre adolescence, de l’ex­périence que nous en avons. Mais notre capacité à le faire dépend aussi de la manière dont nous investissons chacun de ces canaux de communication. Considérons tout d’abord la parole. Certaines personnes parlent pour donner une information. D’autres parlent même lorsqu’elles n’ont rien à dire : c’est ce que l’on appelle la fonction « phatique » du langage, celle qui sert avant tout à aller à la rencontre de l’autre, à s’assurer que l’on est bien ensemble.

    Communiquer avec un jeune enfant suppose de pouvoir investir cette fonction du langage. Si on parle de tout et de rien, tous les jours, tout le temps, alors il devient plus simple de prendre la parole lorsqu’on a en effet quelque chose de notable à dire. En ce qui concerne la mimogestualité, particulièrement importante avec les bébés, certains adultes sont parfois inhibés dans ce domaine : ceux-là se sentiront alors plus à l’aise pour échanger avec un enfant plus âgé, qui s’exprime déjà verbalement. Communiquer avec les plus jeunes suppose de pouvoir retrouver en soi le tout petit enfant que nous avons été… Ce n’est pas évident pour tout le monde !

    Mais il est des sujets qui demeurent difficiles à aborder pour la plupart d’entre nous : ce sont principalement les questions ayant trait à l’essence même de l’existence, à savoir l’origine et la mort. Il faut d’abord être en mesure de penser et se formuler les choses pour soi-même avant de pouvoir les transmettre. •


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  • un article assez complet pour comprendre le lien en le développement de la personnalité et l'attachement, les notions d'individuation et séparation entre autre (les films n'y figurent pas dommage ...)

     


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  • Pierre Moisset – Petit 1 Lille – 13 octobre 2010

    Education partagée ou coéducation

    Le thème de cette rencontre petit 1 est « tous acteurs ». C'est pourquoi je me propose de vous parler aujourd'hui de coéducation, ou plutôt de débattre autour de la question de la coéducation appliquée à l'accueil des jeunes enfants. Avec la coéducation, parents et professionnels sont sensés être acteurs – chacun depuis leur place propre – dans l'éducation d'un enfant qui, du fait de son accueil, connaît plusieurs scènes éducatives et se trouve donc – théoriquement – en situation de coéducation.           
    La coéducation est un terme, une notion en vogue aujourd'hui tant dans l'accueil de la petite enfance que dans d'autres politiques publiques comme la protection de l'enfance ainsi que dans des réflexions plus générales sur la parentalité et certaines fragilités parentales. Ce terme et cette attention refléterait notamment l'accent nouveau mis sur la nécessaire richesse relationnelle dans l'éducation des enfants. Comme le note Marine Boisson[1] « La fille-mère, stigmatisée hier du fait de son écart par rapport à la norme familiale traditionnelle (la famille conjugale), se retrouve, en tant que “parent isolé”, de nouveau à distance de la norme familiale, nouvellement conçue comme une “co-éducation” avec la mise à disposition de l’enfant de soutiens multiples (maintien des liens avec l’autre parent et avec la famille élargie, établissement avec un nouveau conjoint, négociation d’une co-éducation avec des professionnels, etc.) ». Ainsi, d'après le même auteur « La valorisation des “nouvelles parentalités” semble traduire un impératif social d’abondance relative des ressources relationnelles, la pauvreté relationnelle apparaissant désormais comme un des principaux écarts par rapport à la norme éducative dominante. » (Ibid)

    Parallèlement à cette sensibilité aux ressources relationnelles nécessaires à l'éducation d'un enfant, l'importance du thème de la coéducation renvoie à la volonté de placer les parents et citoyens – usagers de service de la petite enfance ou d'autres services publics – dans une position active, participative, correspondant à une évolution de la démocratisation des relations. Il s'agit de faire avec les parents, de coéduquer avec eux afin de ne pas les laisser dans une position passive ou extérieure à la structure d'accueil. De fait, la notion de coéducation porte avec elle l'idée d'une participation égale, ou du moins sans relation de hiérarchie, des parents et des professionnels à l'éducation d'un enfant et ce depuis des places différenciées « En matière éducative, chaque adulte doit connaître sa place et la conserver. D’où l’impérieuse nécessité de définir les rôles des uns et des autres. Jusqu’où partage-t-on l’éducation de l’enfant ? Sur quoi porte le partage ? Il est important que chacun comprenne sa spécificité et celle de l’autre. Autant de questions qui s’inscrivent dans la démarche de co-éducation. »[2]

    Ces notions de partage de l'éducation, d'élaboration de places différenciées permettent d'échapper apparemment à tout ce que la thématique du soutien à la parentalité charrie : des parents en difficultés, ou démissionnaires qui auraient besoin d'être accompagnés, soutenus. On passe d'une charge et d'une responsabilité supplémentaire pour les professionnels de la petite enfance (soutenir les parents, savoir lire leurs besoins et demandes), à une perspective plutôt positive : coéduquer avec eux. La notion de coéducation supposant une place et des compétences parentales que le soutien ou l'accompagnement à la parentalité suppose moins consistantes, plus soumises à des difficultés.

    Pour autant, une fois que l'on a remarqué cette nécessité pour la coéducation que chacun identifie clairement sa place par rapport à l'enfant, les problèmes commencent. En effet, une phrase fétiche ressort lorsque l'on évoque la coéducation « Il faut tout un village pour élever un enfant ». Si elle souligne la nécessité d'une communauté éducative et l'importance des ressources relationnelles, cette phrase fait justement référence – en terme d'image – à une communauté villageoise que l'on peut supposer relativement indifférenciée, une communauté d'adultes face à une communauté d'enfants. Or, il n'en est pas de même dans nos sociétés différenciées et individualistes, et il en est encore moins de même dans l'accueil de la petite enfance où se retrouvent face à face des parents et des professionnels, des personnes donc qui sont loin de constituer de manière évidente un « village ». Comment se définit la place des parents et des professionnels autour de l'accueil d'un jeune enfant dans la perspective d'une coéducation? Jusqu'où va le rôle des uns et des autres? En quoi est-il possible de s'articuler autour de cet accueil du jeune enfant? Il me semble que, pour répondre correctement à ces questions pour ce qui concerne le champ particulier de l'accueil de la petite enfance il faut justement prendre en compte le cadre particulier que constitue l'accueil d'un jeune enfant. Plus précisément, il faut prendre en compte que l'enjeu de la coéducation va alors se poser entre des parents qui recourent à un service d'accueil de leur jeune enfant et des professionnels de l'accueil des jeunes enfants. On verra que derrière leur apparente évidence, ces expressions renferment nombre d'enjeux.

    En effet, une des principales lacunes à mes yeux, dans la perspective qu'a ouvert la notion de travail avec les demandes des parents, et en écho celle de coéducation vient du fait qu'elle ne précise pas en fonction de quels critères, au nom de quelle spécificité, les professionnels de l'accueil de la petite enfance peuvent s'articuler avec les demandes des parents? En fonction de quels critères peuvent-ils coéduquer. En l'absence de tels critères, on peut avoir l'impression que les professionnels, s'ils ne veulent pas rester dans leur ancienne position d'experts et de « professionnels » ne peuvent que suivre les demandes des parents. Qu'ils n'ont rien à leur opposer, en tout cas rien de légitime. D'où, selon moi, un malaise et le possible retrait de certains professionnels sur l'intérêt et les besoins de l'enfant utilisés comme critère ultime de positionnement professionnel. D'où également l'affirmation de deux figures repoussoirs des parents liées à cette mise en avant de leurs demandes : le parent consommateur (celui qui veut et demande en perdant de vue le fait que l'accueil de son enfant n'est pas tout à fait un produit) et le parent démissionnaire (celui qui ne demande rien ou bien si peu qu'on a l'impression qu'il se moque et de son enfant et de son accueil)

    Aussi, je vous propose dans cette communication d'explorer non pas des modalités concrètes de coéducation dans le domaine de l'accueil de la petite enfance mais plutôt – à travers différents exemples – les conditions nécessaires à cette coéducation.  
    Une dernière remarque avant de rentrer dans le vif du sujet, au niveau des textes encadrant l'accueil de la petite enfance – que ce soit les décrets ou les livrets d'accompagnement au projet éducatif et au projet social des structures -on ne trouve pas le terme de coéducation, mais plutôt celui de places, de participation et d'accueil des familles, d'implication des parents. Pourquoi alors parler de coéducation alors que les professionnels de la petite enfance ont déjà bien assez à faire avec le décret du 7 juin 2010 remettant en question la qualité de leurs missions et leur professionnalité? Comme je vous l'indiquais plus haut, il me semble intéressant de parler de coéducation déjà parce que cette notion traduit aussi toute une sensibilité sociale à l'ouverture des institutions d'éducation envers les parents (évolution qu'il s'agit d'encourager), mais également parce qu'elle permet de s'interroger sur ce qui constitue la consistance propre des espaces d'accueils, sur ce qui constitue votre professionnalité. Aussi, ce thème de débat me semble aussi utile dans une perspective de résistance et de proposition à l'encontre d'une politique petite enfance revue à l'aune d'une perspective gestionnaire. Elle permet justement de faire voir, de souligner tout ce que la mise à mal des taux d'encadrement, les débordements de taux d'occupation remettent en question à rebours d'une évolution profondément démocratique.

    Coéduquer dans le cadre de l'accueil de la petite enfance

    Coéduquer contre les parents

    On pourrait déduire de l'idée de coéducation qu'il faut pour les professionnels être toujours en accord voire en harmonie avec les parents. Qu'il faudrait pouvoir se mettre d'accord le plus rapidement possible.   
    Aussi, la coéducation est-elle compatible avec le fait que les professionnels refusent certaines demandes des parents? Voyons cela avec le témoignage d'une assistante maternelle – Isabelle Fabre.[3] Cette assistante accueille une petite fille qui a de sérieux problèmes d'alimentation. L'accueil se passe bien hormis le fait que la fillette n'a pas grand appétit ce qui finit par devenir de plus en plus présents dans les demandes de la mère :

    Au sujet des repas, la maman a choisi de les préparer, elle connaît ses goûts, ses habitudes. Que ce soit chez ses parents ou chez moi, Alix a un petit appétit, elle  ne réclame jamais ses repas. Elle n’est pas enthousiaste devant son assiette, et n’est pas curieuse et envieuse de l’assiette des autres enfants. La maman est soucieuse des repères alimentaires, afin de se rassurer, elle me questionne sur les quantités de nourriture prises par son enfant. Les questions fusent, Alix a t’elle mangé des légumes, de la viande, des laitages ? Cela devient une véritable obsession pour la maman.

    Au fil des mois, la situation empire, les demandes et les inquiétudes de la mère deviennent de plus en plus présentes :

    Les jours passent et après plusieurs mois, je vis très mal le questionnement quotidien de la maman. Je me surprends même à envisager de répondre positivement à ses questions. Mais cela ne reflèterait pas la réalité. Plus les repas sont « négatifs », plus la maman est inquiète. Les conflits journaliers autour de la prise de nourriture me pèsent de plus en plus, et je ne peux plus gérer les angoisses d’Alix.

    On voit que cette assistante maternelle se sent envahie dans son accueil et dans sa relation à cette petite fille par les demandes de la mère, aussi elle demande conseil autour d'elle pour trouver la bonne attitude (PMI, psychologue, collègues)

    Suite aux innombrables questions que je me pose depuis des semaines, je me fixe la règle à suivre. Le fait de renseigner la maman sur la nourriture engendre un malaise constant et je décide de concentrer l’information journalière, information donnée à la maman en soirée, sur les différents éléments de la journée en faisant abstraction de tout ce qui à un lien avec la nourriture.

    Cependant, j’ai l’obligation d'informer au préalable la maman d’Alix de cette décision.  Je me suis préparée à cet entretien, pour le bien d’Alix, il est indispensable de le faire.

    A la surprise de cette assistante, la mère accepte bien cette décision. Elles conviennent ensemble d'une attitude commune autour des repas et il s'ensuit des effets plutôt positifs :

    Les jours suivant notre conversation, je n’ai pas remarqué de changement relationnel entre nous. Bien au contraire, j’ai trouvé une maman soulagée de ne plus gérer seule le problème alimentaire de sa fille et de pouvoir enfin se détacher d’une inquiétude obsessionnelle. Au fil du temps, nos relations et nos partages se sont concentrés sur d’autres points forts de la journée. Il n’y a plus eu de focalisation sur un point en particulier.

    Ce changement d’habitude a permis à Alix de vivre autrement ses repas, qu’on lui fasse confiance sur ses besoins alimentaires, de "sortir" des angoisses parentales. En effet, l’enjeu affectif entre la maman et sa petite fille était trop fort.

    On voit bien dans ce dernier extrait, que face à cette question de l'obsession de la mère au sujet de l'alimentation de la jeune fille, il s'agissait pour cette assistante maternelle de « protéger » son espace d'accueil. D'éviter que l'angoisse de la fillette face aux repas se « transmette » également chez elle et qu'elle finisse par reconduire « l'enjeu affectif » existant entre cette mère et cette fillette. Et c'est au nom de la protection de cet espace d'accueil qu'elle a interpelé la mère, parce qu'elle voulait éviter que sa propre relation à l'enfant devienne une « annexe » de la relation de cette mère à cette fillette, qu'elle en reproduise les tensions. Cette assistante ne s'est donc pas prévalue de sa professionnalité, ou d'une expertise sur les problèmes d'alimentation de l'enfant, elle a invoqué le fait que – dans le cadre de la circulation de cette enfant entre deux espaces de vie – elle souhaitait que son espace soit préservée d'une tension particulière.

    A-t-on à faire à un exemple de co-éducation? Non, si on considère que l'assistante maternelle et la mère s'oppose à un moment sur la question des repas de la fillette et le fait que l'assistante décide – après en avoir informé la mère – d'arrêter de lui parler des repas. L'idée de « co »éducation est mise à mal par cette séparation, cette opposition à un moment. Par contre, le dénouement de l'histoire le fait que la mère accepte le comportement de l'assistante maternelle et que cela aboutisse à un mieux être de la fillette chez son assistante maternelle, renoue avec l'idée de coéducation puisque et l'assistante et la mère convienne que cette décision a été finalement bénéfique. 
    Cet exemple sensibilise à deux éléments très importants à garder à l'esprit concernant la coéducation :  celle-ci ne signifie pas un accord, ou une mise en accord constante entre parents et professionnels. Elle peut et probablement elle générera des divergences, puisque cette coéducation suppose qu'existe plusieurs scènes éducatives sur lesquelles l'enfant a des comportements différents, sur lesquelles il joue des choses différentes. Mais, point important, il me semble que ces divergences, du côté des professionnels, ne pourront plus se justifier par un savoir professionnel que les parents ne seraient pas sensés avoir, mais par la nécessité de préserver ce qui se joue sur leur scène éducative, on y reviendra avec notre troisième exemple.

    Coéduquer sans les parents

    Autre question redoutable que pose aux professionnels la notion de coéducation : comment coéduquer avec des parents qui ne disposent pas des pratiques, savoir faire et savoir être pour se sentir parents? C'est-à-dire des parents qui instaurent, de par leur situation, une asymétrie du rapport parents-professionnels. Une asymétrie qui ne semble pas permettre un travail avec ces parents une coéducation, mais plutôt un travail « sur » au nom du savoir que les professionnels ont et que ces parents demandent. Une responsable de halte-garderie[4] aborde cette question avec le cas d'une jeune mère ne disposant pas des connaissances culinaires de base pour faire des repas suffisants pour sa fille. 

    Lilou a douze mois quand elle arrive à la crèche, c'est une petite fille menue de petit gabarit, sa maman est jeune (21 ans) elle vit seule avec elle, c'est un premier enfant. Lilou vient trois après midi par semaine.

    Dès son arrivée sa maman nous explique qu'elle nous a mis un biberon de lait qu'elle risque de réclamer très vite car elle n'a rien mangé à midi. En effet très vite Lilou hurle et nous comprenons qu'elle a faim.

    A travers le décalage entre le discours de cette mère disant que sa fille n'a rien mangé avec elle et l'appétit de la fillette dans la structure, la responsable découvre bientôt que cette jeune mère ne sait pas quels repas préparer à son enfant :

    Au prochain accueil de Lilou je demande à sa maman si elle a du temps à m'accorder pour que nous discutions des repas de sa fille. La maman de Lilou saisie vite mon offre puisque nous discutons immédiatement et à travers son discours je découvre que cette maman est « perdue » qu'elle n'a pas de modèle auquel se référer pour élever sa petite fille et qu'elle ne sait pas vraiment comment faire. Je ne veux pas lui donner des conseils je ne veux pas être celle qui sait face à celle qui ne sait pas par conséquent je lui donne des revues que nous « collectionnons » à la crèche sur la diversification alimentaire et les besoins des enfants mais aussi un document ou il y a des menus types. Elle est ravie et nous en restons là.

    Cette jeune mère demande donc des conseils que l'équipe lui donne sous différentes formes.  Premièrement, via des supports (revues et menus types) qui évitent l'instauration d'une relation asymétrique professionnel-parent. Mais aussi, à l'inverse, en personnalisant le conseil pour qu'il ne semble pas émaner que d'une professionnelle.

    Quand elle revient à 16h30 elle me demande si je connais la semoule fine car on en parle dans les menus pour le repas du soir ; je lui explique, je lui dit aussi comment je l'agrémentais pour mes enfants.

    Aussi, même si, du fait de la situation de cette jeune mère, la responsable se retrouve obligée de travailler « sur » elle, sur sa demande, elle le fait en évitant de se confondre avec une position purement professionnelle. Ce afin de rester aussi « avec » cette jeune mère, au nom d'une commune confrontation à la maternité.    
    Dans ce deuxième exemple, la coéducation parait impossible du fait qu'il manque un des partenaires (le parent). De fait, sur la question de la nourriture (qui ne résume pas toute la question de l'éducation) la mère est en position d'élève face aux professionnels. Par contre, il me semble que la façon de faire de l'équipe permet une possible coéducation parce que même si elle transmet des contenus à la mère, elle le fait de telle façon à ce qu'elle ne sente pas élève face à des professionnels, donc comme quelqu'un qui saura toujours un petit peu moins bien qu'eux. Mais comme un partenaire que l'on réintroduit dans la ronde ou dans la danse par une manière de dire et de faire qui là encore ne se présente pas comme principalement professionnelle mais animée par un souci commun de l'enfant.

     

    Coéduquer avec et malgré les parents

    Comment mettre en place une coéducation avec des parents qui ne veulent pas travailler avec les professionnels? En effet, des parents peuvent recourir à un accueil de leur enfant sans vouloir se coordonner ni se mettre spécialement d'accord avec les professionnels. Comment alors permettre une coéducation? Et surtout au nom de quoi interpeller les parents pour qu'ils se « mettent en réseau » avec les professionnels. Nous retrouvons la halte-garderie de notre exemple précédent. La responsable nous livre là un exemple[5] où elle estime avoir travaillé à tort sans une mère. J'interprète cet épisode autrement. Faisons en d'abord le récit :

    Il s'agit du cas d'un petit garçon de deux ans et demi qui a une grande soeur et dont la mère est enceinte d'un troisième enfant.

    Paul vient 2 fois par semaine dans la structure c'est  un enfant réservé (il parle peu, sourit timidement, joue souvent seul), il aime les jeux calmes (encastrement, dessin, livres, peinture...), à la maison il n'a pas accès à la télévision, il est habillé de façon classique....

    Si je pose ce contexte de vie c'est pour dire que cette famille a choisi son mode éducatif et elle en parle très bien. La maman de Paul est peu causante quand elle vient elle nous dit bonjour mais prend par contre le temps de dire au revoir à son fils de façon posée et sereine. Quand elle revient le chercher elle ne pose aucune question elle semble se contenter de récupérer son fils et s'adresse d'ailleurs à lui plutôt qu'à nous.

    L'équipe constate au fil des mois que Paul devient de plus en plus renfermé et moins serein dans son rapport à la halte-garderie :

    L'équipe se dit que la grossesse de sa mère doit le « perturber » et c'est normal « peuchère »il va changer de rang dans la famille; la place du milieu c'est la moins facile etc ....alors l'équipe essaie de « compatir » avec l'enfant.

    J'essaie d'en parler avec la maman qui ne semble pas avoir envie d'aborder la question alors pendant des semaines je lui parle de tout autre chose, d'elle de sa grossesse de la grande qui est à l'école de mes propres enfants j'essaie d'entrer en relation et de créer le lien qui va me permettre ensuite de lui parler de Paul.

    Au bout de ces différentes approches, cette responsable parvient enfin à parler avec cette mère du comportement de son fils :

    Quand je sens que le dialogue est établi j'en profite pour lui dire que je trouve que Paul à changé de comportement à la crèche et que je pense que c'est peut-être lié à sa grossesse. Elle me répond : « oui mais c'est comme ça il faut qu'il  fasse avec et tout ira bien parce-que je l'aime »

    Ce jour là je me suis pris « une gifle » et d'un coup j'ai vu la situation autrement, d'un coup cette maman en m'offrant sa vision de la situation m'a permis de comprendre que nous faisions fausse route avec cet enfant, qu'évidemment l'arrivée d'un bébé pouvait se voir sous un autre angle tout dépendait de comment on voulait regarder ! J'ai transmis à l'équipe cette phrase et ensemble nous avons discuté de notre vision des choses pour nous rendre compte qu'il fallait regarder autrement et que si nous arrivions à le faire, nous serions aidantes pour l'enfant et non compatissantes !

    Pour cette professionnelle, la mère, en livrant sa vision, a dédramatisé la situation. Elle a montré qu'elle prenait acte et qu'elle comprenait le changement de son fils mais qu'elle était prête à y faire face, à l'accompagner parce que : elle l'aime. Aussi, cette responsable en tire une rude leçon :

    Nous avons décidé donc de changer de tactique d'être positives avec cet enfant de le bousculer un peu , de jouer avec lui de rire de parler du petit frère qui allait arriver  et Paul s'est ouvert petit à petit et s'est remis à jouer. Si cette maman et moi n'avions pas mis en commun notre pensée sur son enfant , l'équipe de la crèche aurait continué à faire fausse route et n'aurait pas joué son rôle de professionnelle pour cet enfant.

    Alors si les parents eux n'ont pas besoin de nous nous nous avons besoin d'eux et nous ne pouvons pas faire l'impasse de se dialogue avec eux au nom du bien être de leur enfant, c'est notre devoir me semble t-il !

    Mais on peut aussi reprendre cet exemple dans un autre sens. C'est-à-dire pour signaler que la coéducation demande aussi un effort aux parents, une participation de leur part. En effet, cette mère a tendance à travailler sans les professionnels., à se maintenir seule en position d'éducatrice bien que son fils aille en halte-garderie. Or le mal-être de son enfant s'exprimait dans l'établissement, et à ce titre il concernait les professionnels et les impliquait. Même si cette mère souhaite faire sans les professionnels et est parfaitement au clair dans son rapport à son enfant, son absence de communication a mis à mal l'équipe en ce sens où elle ne lui a pas permis de recueillir rapidement sa vision et son rapport à son enfant. Aussi, alors que la responsable n'a pu recueillir la vision de cette mère qu'à l'issue de tout un travail relationnel et d'établissement de confiance, elle aurait aussi pu faire remarquer à cette mère qu'elle ne peut se passer d'une coordination minimale avec les professionnels parce qu'elle est impliquée avec eux  dans une même coéducation. Il nous semble que les professionnels peuvent interpeller les parents qui ne souhaitent pas travailler avec eux au nom de cette commune implication dans une coéducation de leur enfant[6]. Et cette interpellation, encore une fois, ne se fait pas essentiellement depuis une position de professionnel mais depuis la position de personnes qui prennent soin et ont aussi à charge l'enfant et doivent donc se coordonner avec les parents.

    L'espace de délégation, un espace co-construit

    A travers ces trois exemples, nous avons décidé d'explorer la coéducation par ses marges, là où elle est problématique, remise en question. Qu'est ce que cela nous permet d'observer? Par rapport à cette image du village et cette idée d'un réseau de figures d'éducation autour des enfants, il me semble que ces exemples soulignent le fait que la définition des rôles ne se fait pas tant par un partage entre parents et professionnels, mais par la mise en réseau des différentes scènes éducatives autour d'un enfant. Bien sûr parents et professionnels n'ont pas la même place autour de l'enfant. Mais leur mise en accord, ou en tout cas leur travail ensemble passe beaucoup par le fait que chacun puisse d'une part affirmer la consistance, la nécessité de préserver sa propre scène, et puisse faire référence aux autres scènes éducatives, puisse les prendre en compte. Et cela ne se fait pas principalement depuis des positions statutaires : parents, professionnels.... Mais depuis une place dans un réseau, une place spécialisée en fonction du statut (parent, professionnel) mais d'abord une place. Ainsi, dans le premier exemple, l'assistante maternelle parle moins en tant que professionnelle qu'en tant que « carer », soignante d'un enfant qu'elle veut préserver sur sa scène d'un enjeu avec sa mère. Dans le deuxième exemple, les professionnelles aident la mère en tant que personnes également concernées par son enfant, expérimentées auprès des enfants et enfin, dans le dernier exemple, les professionnels auraient pu interpellé cette mère en tant qu'elle est mère d'un enfant accueilli.

    En effet, il me semble que la coéducation nécessite un double décalage pour devenir plus qu'un voeu pieu. Elle demande que les professionnels ne soit pas que des professionnels mais des « professionnels de l'accueil des jeunes enfants », dont la maîtrise et la responsabilité s'exerce dans ce contexte spécifique d'un accueil. Et elle demande que les parents ne soient pas que des parents, mais des parents d'enfants accueillis, qui doivent donc à ce titre se coordonner et faire avec l'équipe ou les professionnels qui accueillent leur enfant et non pas camper sur leur position singulière de parent particulier. Ce qui nous amène à la notion d'espace de circulation de l'enfant. Cet espace est justement ce qui est rendu possible par ce double décalage, il est constitué par la circulation de l'enfant entre plusieurs scènes éducatives qui, au-delà de leurs différences de positions et de statuts, se réfèrent les unes aux autres parce qu'elles sont concernées par un même enfant. Autrement dit, ce n'est pas parce qu'il y a accueil de l'enfant qu'il y a espace de circulation à mon sens ou coéducation. Cet espace s'instaure quand ces différentes scènes se réfèrent les unes aux autres. Ce que le curriculum écossais de la petite enfance désigne très bien en indiquant « L'expertise et l'expérience tant des parents que des éducateurs de la prime enfance ont plus de valeur quand elles sont partagées. »

     

    Pour conclure, en quoi ce détour par la coéducation et l'espace de circulation de l'enfant permet d'interroger la politique actuelle de la petite enfance. Parce que, même si la coéducation demande à ce que les professionnels se décalent de leur position initiale, elle nécessite aussi qu'ils soient professionnels, qu'ils puissent être professionnels, de même qu'elle demande à ce que les parents soient des parents d'enfants « circulants » et qu'ils aient donc le temps de se coordonner avec les accueillants de leur enfant. Aussi, l'idée de coéducation demande que l'on reconnaisse la spécificité des pratiques, des regards et des liens que les professionnels de l'accueil nouent aux jeunes enfants. Elle demande donc à ce qu'ils soient reconnus comme des professionnels de l'accueil, des professionnels que l'on ne peut donc pas surchargés sans réfléchir, que l'on ne peut pas faire exercer dans n'importe quel cadre, qui ont une certaine formation. La coéducation demande aussi à ce que les parents ne soient plus placés en position de responsables tout puissant de leurs enfants, mais comme des parents d'enfants « circulants » encore une fois, qui doivent avoir le temps, les moyens (supports de communication, lieux spécifiques au sein des lieux d'accueil), ce qui suppose – pour élargir le débat – des conditions de travail moins tendues, des horaires moins décalées, moins irrégulières, une réflexion élargie sur les temps de vie....

     



    [1]               Boisson Marine, 2008, Petit lexique contemporain de la parentalité. Réflexions sur les termes relatifs à la famille et leurs usages sociaux, Informations sociales n°149, pp.8-15

    [2]              Cécile Ensellem « La responsabilité parentale : une question politique ? », in Que veut dire être parent aujourd'hui ?, érès, 2008, p. 139-150.

    [3]              Témoignage issu de son article « A propos de la coéducation : un exemple chez une assistante maternelle. », Pour un accueil de qualité de la petite enfance : quel curriculum?,. Sylvie Rayna, Catherine Bouve, Pierre Moisset (dir), Editions Erès, Toulouse, 2009.

    [4]              Lucile Rouillé dans son article « Travailler avec sur et sans les parents », , Pour un accueil de qualité de la petite enfance : quel curriculum?,. Sylvie Rayna, Catherine Bouve, Pierre Moisset (dir), Editions Erès, Toulouse, 2009.

    [5]              Dans le même article que celui cité précédemment.

    [6]              Interpellation au nom d'un espace de délégation partagée qui n'a rien à voir à nos yeux avec l'interpellation des parents au nom du bien-être de l'enfant ou des besoins de l'enfant dont les professionnels se placeraient en interprètes légitimes et privilégiés.


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  • Des pulsions du jeune enfant aux pratiques quotidiennes en crèche : l’implication éducative de l’adulte, parents et professionnels 

                Marie-Paule Thollon-Behar, Psychologue, docteure en psychologie du développement        

    La petite enfance est le moment où l’enfant commence à passer du principe de plaisir au principe de réalité, ce qui va lui permettre de se socialiser, c'est-à-dire de faire partie d’un groupe en en respectant les règles. Ce processus de socialisation peut se mettre en œuvre grâce à l’éducation qui est apportée. Or, nous allons voir qu’il est difficile d’éduquer aujourd’hui pour différentes raisons. L’une d’entre elle est que nous vivons dans une société de consommation qui privilégie la satisfaction immédiate des désirs, c'est-à-dire le principe de plaisir : « faites vous plaisir tout de suite, vous paierez plus tard ».

    Je m’appuie dans cette présentation sur la psychologie du développement, qui est centrée sur ce qui est observable, c'est-à-dire ce qui est visible. Je pars également de ma pratique de psychologue, exerçant auprès de professionnels de la petite enfance et de l’enfance.

    La question articulant les pulsions et les pratiques quotidiennes en crèche, interroge la relation entre les parents et les professionnels autour de l’éducation. En effet, les parents sont maintenant et à juste titre, pris en compte par les professionnels, ce qui n’a pas toujours été le cas. Il faut donc travailler à une complémentarité entre parents et professionnels dans les places et les rôles de chacun, pour aider chaque enfant accueilli à grandir.

    J’ai choisi un fil rouge dans cette présentation en évoquant trois petites histoires tirées de séances d’analyse de la pratique :

    - La maman de Célia, 1 an tout juste, annonce un matin que Célia n’a plus de sucette. La sieste se passe très mal, Célia ne parvient pas à s’endormir, elle est grognon dans la journée… les jours passent et le comportement de Célia ne s’améliore pas.

    - La maman de Nina, 2 ans et demi,  ne supporte pas qu’elle se salisse, elle demande à ce que Nina ne joue pas dans le sable. La directrice, un jour, un peu contrariée,  lui demande : vous préférez qu’elle soit propre et qu’elle s’ennuie, ou qu’elle se salisse et qu’elle s’amuse ? La maman de Nina répond : «  qu’elle soit propre et qu’elle s’ennuie ».

    - Sofian, un petit garçon de 3ans adore se déguiser avec une robe à fleurs et à volants et des chaussures à talon orange. Le papa de Sofian ne supporte pas de retrouver son fils déguisé ainsi. Il demande aux professionnels d’interdire à son fils de mettre ces vêtements là.

    Que se passe t-il du point de vue de l’enfant ? 

             L’enfant doit apprendre à contenir ses pulsions pour se socialiser. Cette contenance va passer par la compréhension des limites. Pour cela, il doit faire le lien entre l’action qu’il effectue et l’effet que cela produit sur l’adulte. Il s’agit d’une compétence socio-cognitive, la causalité interpersonnelle qui se manifeste vers l’âge de 8- 9 mois.

             Pour que ce lien s’établisse, l’adulte doit réagir d’une façon cohérente, toujours plus ou moins de la même façon, sinon le lien ne pourra s’effectuer. De la même façon, il faudrait que tous les adultes réagissent entre eux, de la même façon, vis-à-vis de ce qu’il fait.

             Petit à petit, l’enfant va intérioriser progressivement ces limites, et vers l’âge de 6 ans, cette intériorisation permettra la construction des valeurs : le bien, le mal, la justice, l’amitié, le mensonge etc.

    Auparavant il doit accepter des limites et vivre des frustrations. Il peut exister un paradoxe entre le respect du rythme de chaque enfant qui est préconisé dans la petite enfance et les contraintes de la vie en collectivité, sources de frustration. Ne sommes nous pas à certains moments dans une idéalisation de la vie que peut avoir un enfant en collectivité, idéal impossible à atteindre et donc qui va générer un sentiment de culpabilité chez les professionnels ?

    Fil rouge : la sucette de Célia renvoie au stade oral, les jeux avec le sable, le fait de se salir au stade anal et le déguisement de fille de Sofian rappelle la différenciation des sexes du stade phallique.

     Que se passe t-il du point de vue des parents ?

    Il existe un certain nombre d’obstacles à la contenance éducative:

    -          La culpabilité  de le laisser « en garde » pendant toute la journée, de ne pas passer suffisamment de temps avec lui. On dit souvent aux parents que la qualité de la relation avec l’enfant est plus importante que la quantité de temps qu’ils vont passer avec lui. Or, quand ils récupèrent leur enfant, tout ne se passe pas toujours bien, la qualité n’est pas forcément au rendez-vous. Ils n’ont pas envie de faire le gendarme. Ils risquent de « lâcher » sur le plan éducatif en pensant ainsi conserver une bonne relation avec l’enfant. 

    -          La toute-puissance perçue de l’enfant et de l’enfant qu’ils ont en eux. Ils ne se sentent pas capable d’exercer leur autorité sur un enfant qu’ils pensent ne pas parvenir à faire obéir.

    -          Le doute sur « comment éduquer aujourd’hui » en raison des différents modèles éducatifs. Les parents sont partagés entre plusieurs modèles éducatifs, plus ou moins autoritaires [1].

    -          Les parents peuvent avoir une certaine représentation de l’avenir de leur enfant dans une société qu’ils voient difficile, exigeante et dans laquelle un enfant trop docile, trop obéissant ne pourra faire son chemin. Il leur semble meilleur que leur enfant ait « de la personnalité ».

    Les valeurs des parents sont différentes de celles des professionnels. Certains se renseignent, lisent, vont sur les forums. 

    Ainsi, la maman de Célia a peur que la sucette n’empêche sa fille d’apprendre à parler. Elle a un an, elle ne va pas tarder à prononcer ses premiers mots. Cette maman s’est documentée sur la question. Mais elle n’explique pas pourquoi elle a pris cette décision aux professionnelles qui ne le lui ont pas demandé. Célia ne dort toujours pas bien.

    D’autres parents ont des choix éducatifs, liés à leur propre histoire :

    La maman de Nina est seule pour s’occuper de sa petite fille, elle veut montrer qu’elle est une maman compétente. Pour elle, une maman compétente c’est une maman qui a une petite fille propre et bien habillée.

    Le papa de Sofian est sans doute très sensible à la différenciation des sexes et fier de son petit garçon. Le déguisement peut évoquer l’homosexualité.

    Que se passe t-il du côté des professionnels ? 

    Il existe des valeurs éducatives qui font partie de la culture professionnelle, ce qui permet une cohérence éducative au sein de l’équipe, mais qui peuvent être très différentes des valeurs des parents.

    Un jour, les professionnels qui ont conscience du besoin d’oralité de Célia « craquent » et lui donnent une sucette. Elle  s’endort immédiatement. Les professionnelles  n’osent pas le dire à sa maman.

    De la même façon, les professionnelles qui connaissent le plaisir de Sofian à se déguiser et hésitent à le laisser faire sans le dire au papa et en évitant que celui-ci ne le voit !

     Il peut néanmoins exister des valeurs personnelles différentes entre les professionnelles au sein des équipes, avec le risque d’un manque de cohérence éducative et de conflits. De plus les limites ne sont pas toujours explicites.

     Les professionnelles de la petite enfance ont un rôle difficile du point de vue de l’éducation car elles interviennent à un âge où tout est à mettre en place. C’est sans doute la période la plus difficile avec l’adolescence. On pourrait s’interroger sur ce que leur fait vivre le fait d’être toujours dans ce rôle de poser des limites.

    Il y aurait donc une réflexion à conduire sur les limites. Sont-elles toujours adaptées aux besoins du tout petit d’agir, de bouger, de crier, à utiliser son énergie. Quelles contraintes imposent-on aux jeunes enfants accueillis en collectivité? Quelle tolérance a-t-on vis-à-vis de l’expression de leur énergie et de leur pulsion ?

    Par ailleurs, il faut se donner les moyens de comprendre le comportement de l’enfant : expression des pulsions ou mal être, comme dans l’exemple de la morsure?  L’observation est essentielle afin de répondre au mieux. Derrière le visible, ce que l’on observe, il faut comprendre l’invisible et lui donner un sens. A-t-on le temps, la disponibilité psychique nécessaire, la formation… ?

    Que se passe t-il entre parents et professionnels ? 

    Depuis plusieurs années les parents sont reconnus comme étant les premiers éducateurs de leur enfant, ce qui n’était pas le cas auparavant quand les professionnels se positionnaient comme experts du petit enfant.

    Mais, nous avons vu qu’il existe des différences entre milieu familial et milieu collectif, entre les choix éducatifs des parents et les valeurs éducatives des professionnels.

    Il s’agit donc de :

    -          si possible écouter les motifs des choix éducatifs des parents.

    -          parfois négocier avec eux, en s’appuyant si besoin sur le projet éducatif de la structure, en expliquant le sens des pratiques éducatives.

    Avec la maman de Célia, une auxiliaire de puériculture nouvellement arrivée a été choquée que l’on puisse mentir aux parents. Elle l’explique au cours de la séance d’analyse de la pratique. En accord avec l’équipe, elle décide de discuter avec la maman. Celle-ci explique le motif de son exigence. L’auxiliaire montre à cette maman ce qui est fait dans la structure vis-à-vis de la sucette, que celle-ci n’est pas donnée systématiquement, qu’il y a un endroit pour la ranger dans la journée etc. Elle évoque les difficultés d’endormissement de Célia. La maman comprend et accepte que l’on laisse la sucette à Célia au moment de la sieste.

    Avec la maman de Nina, la directrice qui a entendu et compris les enjeux de la propreté pour elle, explique à son tour l’intérêt du jeu dans le développement de l’enfant, elle explique ses valeurs professionnelles. Petit à petit, la maman de Nina accepte qu’elle ne soit pas impeccable quand elle la récupère à la crèche et qu’elle joue dans le sable. De leur côté, les professionnelles veillent à ce qu’elle ne se salisse pas trop.

    Pour Sofian, il a été impossible d’échanger avec son papa sur une dimension qui renvoie à la sexualité, ce qui paraissait beaucoup trop compliqué pour les professionnelles. Il a été décidé de dire à Sofian que son papa n’était pas d’accord avec son déguisement et qu’il ne pouvait pas le mettre.

    Afin de faciliter les échanges et de soutenir les valeurs de l’équipe, il est important de pouvoir s’appuyer sur un projet éducatif. Les occasions sont fréquentes : demandes de restriction de sommeil, apprentissage de la propreté engagé trop tôt…

    En guise de conclusion

    Il est nécessaire de pouvoir réfléchir en équipe et de savoir se remettre en question afin de garantir les points suivants :

    ·         Tendre vers une co-éducation avec les parents.

    ·         Expliquer le sens des pratiques éducatives et donc le connaître.

    ·         Savoir justifier auprès des décideurs qu’il faut avoir du temps pour  échanger entre parents et professionnels.

    ·         Faire mieux connaître les conditions d’un travail de qualité, rendre visible le travail dans la petite enfance qui n’est pas assez bien connu, par les parents, les décideurs, les hommes politiques.

     



    [1] Luce Dupraz : « de la difficulté d’éduquer aujourd’hui », in MP Thollon Behar « parents, professionnels, comment éduquer ensemble un petit enfant ? », Erès 1001 bébés.


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    Qu’est-ce que les signes apportent aux petits bébés ? Les bénéfices des signes pour les bébés peuvent nous motiver pour les proposer aux bébés qui ont un handicap ou un risque.

     

     

     

    La proposition de signer avec les bébés n’est pas au départ imaginée pour les enfants en difficulté de communication. Hors, on sait maintenant que la communication vers les bébés accompagnée de signes et de gestes, permet une meilleure communication de l’adulte vers l’enfant et permet aussi à l’enfant de rentrer plus vite dans la communication symbolique et le langage.

     

     Les signes aident l’enfant à écouter…à comprendre. Et avec nos mains, nous lions tout à la fois ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il ressent. Nos mains l’aident à comprendre ce que nous disons. :

     

     “Il écoute avec ses yeux…” ou bien : ”ils écoutent mieux quand je signe.”

     

    Quand je parle, il ne veut pas entendre ; quand je signe, il écoute.”

     

     Nos mains les aident à savoir où trouver les mots importants dans les phrases que l’on dit. Nos mains deviennent un surligneur, et permettent à l’enfant de “voir” les mots - clé.

     

     " La langue des signes oblige à communiquer d'une autre manière: regarder l'enfant, attendre le regard, capter son attention, prendre le temps de lui parler, diminuer le débit de parole."

     

     "Cela nous aide au quotidien avec les enfants, les signes apaisent les enfants, il y a moins de frustration. Lorsqu’un signe est acquis, que l'enfant comprend la signification, nous pouvons leurs apprendre de nouveaux signes, l'enfant est réceptif attentif ».

     

     Les mains vont l’aider à dire : dire simplement « encore », « manger », mais aussi partager ce qui l’intéresse, ce qui l’intrigue, ce qu’il aime : c’est le bébé qui dirige !

     

    On n’a pas besoin de deviner, il peut dire.

     

     « Satine, 10 mois, commence vraiment à signer.

     

    Vu de l’extérieur, tout est pareil, mais je vois qu’elle fait des distinctions entre les signes ”.

     

     Il y a des signes majeurs :

     

    •  Il s’agit de « regarde ».

     

    Regarde est un super signe pour aider le bébé, qui furète et qui regarde partout, à regarder ce qui est réellement important. C’est comme un minuscule fil, qui va des yeux du bébé … aux autres enfants, à papa qui rentre, à un animal, l’assiette… on voit bien comme il va aider les bébés en difficulté à s’ouvrir sur le monde.

     

    • Il y a ”donne” qui aide à prendre conscience des autres.

     

    • Et il y a « s’asseoir », un signe magique parmi les signes français, qui invite un bébé énergique à s’asseoir !

     

    •  Et tous les signes qui permettent de dire à l’enfant ce qui va se passer pour lui ; toujours l’avertir. « Je vais te débarbouiller, changer ta couche… ». Et les résultats stupéfient toujours les adultes. La vie devient plus facile !!! Moins de pleurs…

     

    • Et à la crèche, les signes ritualisent les routines quotidiennes : les repas, la toilette, attendre…

     

    • Je voudrais faire une place particulière à l’expression des émotions. Aider les bébés à comprendre et nommer ce qu’ils ressentent. La colère, la tristesse, la joie, mais surtout, la vitale émotion de la peur… nous ressentons les émotions du bébé, nous les nommons, nous les expliquons: avec nos mains, avec nos mots, nous expliquons au bébé pourquoi il est triste, ou en souffrance, ou en colère, ce qui lui a fait peur … et on voit ce petit comprendre et se calmer. C’est à chaque fois tout à fait émouvant

     

    Les signes ancrent la communication dans le regard, lui donnent une armature. Nous nous donnons un outil pour mieux nous »brancher » l’un avec l’autre.

     

    On ne peut pas signer sans regarder l’enfant. On doit ralentir, se baisser également.

     

    « Signer calme les bébés agités, cela nous ralentit »

     

    Au moment des repas, plus de stress… ils sont là, ils nous regardent, ils signent, ils chantent”

     

    Quand nous signons, nous indiquons à l’enfant que ce que nous lui disons est important pour lui et pour nous”.

     

    «  c’est terrible, a dit une directrice, je me suis rendue compte que je ne regardais jamais les enfants quand je leur parlais »

     

    Le fait aussi que les adultes ne connaissent normalement que peu de signes, leur donne un cadre pour les aider à simplifier leur langage, à utiliser moins de mots..(sauf je l’avoue pour certaines mamans rencontrées qui se croyaient obligées d’utiliser tous les signes du dictionnaire)

     

    Une fois posés ces préalables, on voit déjà ce que la proposition des signes avec tous les bébés peut apporter aux parents et aux bébés ayant des difficultés de communication.

     

    Comment les choses se passent-elles en crèche ?

     

    On voit aussi des structures d’accueil des petits se former à l’utilisation des signes dans la collectivité. Et on les voit cheminer en parallèle dans l’accueil des enfants dits différents.

     

    Les signes devenant alors une vraie chance pour les enfants handicapés, de trouver leur place dans le groupe, la proposition de signer étant adressée à tous ne stigmatise pas les besoins spécifiques de l’enfant handicapé.

     

    "Du côté de l’équipe, il y a eu un changement dans la relation avec les enfants. En utilisant ce langage, nous observons que les enfants sont plus calmes. Ceux dont les parents n'ont pas suivi la formation sont également très intéressés et parviennent à utiliser ce langage. Personne n'est exclu. C'est au contraire un élément fédérateur. Nous avons l'habitude et la volonté de mélanger les tranches d'âge. Ce langage permet vraiment aux petits de trouver leur place et aux grands de s'amuser avec eux. "

     

    "Actuellement, les enfants baignent dans les signes. On parle en signant, on chante en signant. Les professionnelles signent, les parents signent lors des permanences. Les enfants se sont approprié ce langage. Ils regardent, ils comprennent et la plupart savent maintenant signer. Et tout le monde peut en apprécier les avantages"

     

    « Le LS au début est tout nouveau pour l'enfant, à la maison les parents n'ont jamais signé avec eux. Lorsque l'enfant sait un signe, qu'il le répète nous le communiquons aux parents. On laisse le choix aux parents de signer avec leurs enfants. Nous avons remarqué que les enfants sans frustration signent peu, juste pour "boire" "encore" "manger" "gâteau". »

     

    « Il se trouve que les ateliers ont commencé l'année où Antoine est arrivé à la crèche. Je dois dire que j'ai trouvé ça très rassurant.  D'autant plus rassurant que cela mettait a priori, Antoine sur le même pied d'égalité que les autres enfants (même si un bébé d'un an signait mieux que lui à deux ans !). Les signes créaient donc un socle commun entre tous les enfants, mais aussi les adultes (parents et professionnels). Je me souviens aussi d'un petit garçon russe qui ne maîtrisait pas du tout le français et pour qui les signes ont été d'un grand secours.

     

    Au départ, j'ai donc vraiment senti un véritable engouement de la part des parents et des professionnelles de la crèche. Cela a créé une émulation, notamment au moment des comptines, des chansons et au moment des repas (je ne pense pas qu'à aucun moment les signes aient été intégrés sur une journée entière et utilisés systématiquement à chaque prise de parole). »

     

    "Mon fils est porteur de trisomie 21 .C'est une chance inespérée pour lui qui "baigne" ainsi du matin au soir dans les signes, qu'il soit à la crèche ou à la maison. A 2 ans et demi, notre fils ne parle toujours pas mais il maîtrise une bonne dizaine de signes qui lui permettent de s'exprimer et de participer à de nombreux échanges avec son entourage. Son premier signe a été "encore" (voir photo "encore du gâteau au chocolat"); les autres correspondent aux moments clés de la journée : les repas (manger, pain, gâteau, encore, fini...), les temps de jeux (signes des animaux, ballon, cubes, livre...), le bain, le coucher.

     

    Le projet est vraiment une très belle idée qui permet à tout enfant et adulte de communiquer autrement que par la parole, et de fait, contribue à l'enrichissement de chacun."

     

    "La langue des signes participe a la mise en place d’une relation collective différente au sein de la structure petite enfance. L'accueil doit avant tout être respectueux de l'individu tout en s'établissant dans un environnement collectif. L'adulte, parent ou professionnel, cherche à établir une relation individuelle pour répondre aux besoins de enfant. La méthode “signe avec moi” facilite cette démarche, car elle demande à tous les interlocuteurs de porter attention aux autres. Le dialogue se construit par de l'attention, par la recherche de réponses, puis petit à petit un vocabulaire d'échange collectif se met en place, le signe mettant le mot en résonance. Le langage verbal et le signe sont complémentaires, ils aident a créer une relation de partage. Chacun s'approprie ce qui lui semble indispensable dans son développement.

     

    La formation "Signe avec Moi " a été initiée par un groupe de parents, mais ce sont les enfants qui nous convainquent vraiment, soit parce qu’ils n'ont pas encore acquis le langage verbal, soit parce qu’ils ne connaissent pas la langue française, soit parce que leur culture est différente, ou soit parce que cela permet un mode d’expression plus complet où le corps est mis à contribution tout comme la parole. Le geste accentue l’implication et souligne le sens. Souligner chaque intention témoigne d’une réelle volonté de relation et chacun se sent concerné. C’est très agréable car nous prenons du temps pour se parler.

     

    Il parait important de souligner ici à quel point la proposition de signer à des structures petite enfance (crèches, garderies) vont ouvrir les professionnels à l’accueil des enfants handicapés.

     

    Les signes ne seront pas réservés à l’enfant en difficulté, stigmatisation de plus : on signe parce que cet enfant a un handicap, et on montre encore un peu plus ses difficultés. Non, on signe pour tous les enfants, et il va en profiter, comme les autres, peut-être plus que les autres, mais avec les autres. Et ça change tout !

     

    Pour les parents de l’enfant en question, c’est vraiment important : la crèche ne fait pas une démarche qui entre encore et encore dans la rééducation, la focalisation sur ses difficultés. Non, la crèche fait une démarche pour tous, qui répondra plus particulièrement à ses besoins spécifiques. Mais sans le montrer du doigt !!

     

    «  Je suis persuadée que les signes sont un outil supplémentaire pour un enfant, même ordinaire, et qu'ils participent à la construction de la personnalité de l'enfant, au même titre que le jeu par exemple. Bien sûr un enfant ordinaire peut s'en passer, mais qu'est-ce qu'un enfant ordinaire ? Tout enfant est susceptible de rencontrer un problème de communication à un moment donné de par son  origine, sa personnalité, son milieu familial, un accident ... et même sans parler de problème éventuel, les gestes participent au développement des sens, à la construction de l'enfant et à la mise en contact avec l'autre. »

     

    En crèche aussi, il est intéressant de voir que les signes utilisés dans le groupe des grands ( 2 ;3 ans) pour aider un enfant qui ne parle pas, alors que les autres parlent, oblige les éducatrices à mettre des mots sur le handicap. «  Tu vois, Théo n’arrive pas bien à parler avec sa bouche, alors on l’aide en parlant avec nos mains »

     

    La difficulté en crèche semble être de tenir sur le long cours !! Cet outil peut être fragile dans les crèches : le personnel bouge beaucoup, il faut de la ténacité, se donner les moyens, entretenir les signes, y croire encore. Echanger avec d’autres structures… de ne pas perdre l’enthousiasme des débuts, continuer à signer avec les nouveaux enfants, motiver les nouvelles éducatrices…

     

    « Actuellement, Antoine continue à aller quelques après-midi à la crèche. J'ai donc beaucoup moins de visibilité sur les activités qui se pratiquent avec les signes (si elles se pratiquent encore). Je peux juste dire qu'à mon niveau, les signes sont devenus imperceptibles.

     

    Idéalement, il faudrait que les ateliers aient lieu tous les ans, qu'en quelques sortes, ils fassent partie des missions que se fixe la crèche. »

     

    D’où l’importance d’en faire un projet d’équipe, porté par l’équipe et la direction !

     

    "Cela fait deux ans que je signe à la crèche sur les deux sections que j'ai faite (les bébés et les moyens) nous signons avec mes collègues de travail que je trouve très motivées, car sans elles le LS ne serait pas possible. »

     

    "Des séances d’auto-formation puis de formation ont vu le jour très rapidement à la crèche. Les parents et les professionnelles de la crèche et du quartier ont été invités à participer.. Parmi elles, tous les professionnels de la crèche. La dynamique était lancée et c’est sans doute ce qui a favorise la transmission de ce langage aux autres enfants et aux autres familles de la crèche"

     

    « Je dois vous dire que c'est un travail qu'il faut être tenace car au quotidien cela demande de l'énergie et de la ténacité »

     

    Malheureusement, il me semble que si l’enthousiasme est réel dans un premier temps, il retombe très vite. Au bout de quelques mois, très peu de parents continuaient à pratiquer et il en était de même pour les professionnels.  J'ai d'autant plus de facilité à le dire, que moi la première, j'ai eu beaucoup de mal à m'y mettre et qu'il est très difficile de s’astreindre à pratiquer. »


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  • Ressources documentaires :PetitMonde.com Journal des Professionnels de l’Enfance, n°23 Formation "Initiation à l’Eveil du tout-petit" "Vivre en crèche, remédier aux douces violences", de C. Schuhl, Ed° Chroniques Sociales Spirale, n°38, juin 2006, Ed° Erès

    Les mots qui blessent

     

    L’ingrédient essentiel de l’autorité est la communication, verbale ou non-verbale. La parole et notre attitude avec les enfants sont importantes pour donner une image positive de lui-même à l’enfant, le valoriser en tant qu’individu, établir une relation de confiance avec lui.

     

    C’est sur cela qu’il s’appuiera pour se construire, à l’intérieur d’un espace sécurisé que nous aurons balisé (limites).
    L’enfant doit se sentir exister, reconnu avec ses compétences (surtout s’il "n’entre pas dans le moule"), en tant qu’individu au milieu des autres.
    Mais nos paroles manquent de cohérence. Au contraire, elles sont souvent blessantes, voire traumatisantes pour un enfant qui prend les mots au pied de la lettre.

    Il ne faudrait pas :

    Ne pas faire correspondre les paroles aux intentions :
    Quand on dit à un enfant : " est-ce que tu vas t’arrêter ? ", il n’entend pas "arrête toi". Pour lui, c’est juste une question à laquelle n’existent que deux réponses (oui-non) ; il ne comprend pas que l’on désire qu’il s’arrête.

    Transmettre une émotion comme seul message :
    Avant 3 ans, 90% de la communication est non-verbale.
    Lorsqu’on s’adresse à l’enfant dans un accès de colère, l’enfant se focalise avant tout sur la colère. Il ne fait plus le lien avec le comportement que l’on essaie de modifier, d’éviter.

    Dépersonnaliser l’enfant :
    "Vous vous asseyez" : le tout-petit n’entend pas son prénom, il ne sait pas qu’on s’adresse à lui !
    Petit à petit, l’enfant intègre cette notion de collectif ("vous"), ce qui permet l’usage de ces termes ; mais il faut toujours penser à individualiser l’enfant dans le groupe, plusieurs fois au cours de la journée, au travers d’activités, de moments individualisés.

    Etouffer les sentiments des enfants :
    Avec des phrases apparemment anodines, du type "c’est ridicule, d’avoir peur",
    "tu ne devrais pas être triste",
    "tu ne t’es pas fait mal",
    "tout va bien",
    "là, c’est fini",
    "c’est rien, voyons"
    Et comme le souligne la psychologue Anne Bacus : " les sentiments des enfants ont le droit d’être exprimés et doivent être respectés ".
    Exemple de ce qu’il convient de dire : « Je comprends que tu sois en colère, mais ça ne te donne pas le droit de mordre, taper… ». On reconnaît le sentiment de l’enfant, tout en lui expliquant l’interdit.

    Donner des étiquettes ou des jugements définitifs :" Tu es méchant ",
    " Tu es un paresseux ",
    "Tu es un vrai cochon"...
    Ces phrases sont autant de jugements définitifs prononcés au quotidien par des adultes qui ne mesurent pas assez l’impact de leurs discours.
    Or, les mots peuvent faire très mal, comme l’explique la psychologue Anne Bacus : " Les étiquettes appliquées à l’enfant sont toujours déconseillées. L’enfant va avoir tendance à s’y conformer (pourquoi essayer de changer, puisque de toute façon je suis comme ça ?) ".
    L’enfant devient le "mauvais objet".

    Donner un surnom, ou utiliser une appellation impersonnelle :
    "petit garçon",
    "grande fille",
    "ma louloute",
    "Paul, viens ma puce",
    "mon poussin", "mon chaton"...
    Ces termes sont un déni de l’identité. Quelle image peut avoir l’enfant de lui-même, pour la construction de son identité ? Il s’agit ni plus ni moins de respect de l’individu. Pas de “troisième personne” : "Marc, il va arrêter", "Il va pas commencer à pleurer, hein !"
    Eviter les surnoms permet aussi de conserver une bonne neutralité professionnelle (pas de "mon chéri").

    Culpabiliser l’enfant :
    "Tu me rends malade ",
    "Tu me rends folle "…
    Ces formules ont toutes une portée culpabilisante pour les enfants qui prennent les mots au pied de la lettre. Il faudrait toujours avoir en tête qu’ils n’ont pas les outils nécessaires pour décrypter nos messages.

    Il convient de :

    Utiliser un vocabulaire convenable (on donne l’exemple) :
    On entend parfois des choses incroyables, qui nous écorchent littéralement les oreilles !! Dans les exemples à oublier et éviter :
    "finis ta bouche"
    "viens changer tes fesses"
    Ce ne sont pas des messages clairs pour l’enfant, Il prend tout au pied de la lettre : que doit-il faire de ces demandes ?
    "tu en reveux ?" (ce n’est pas grammaticalement juste – verbe "revouloir" inexistant)
    Il faut utiliser un vocabulaire précis, simple, convenable, compréhensible pour l’enfant. Expliquer, verbaliser les interdits ; et féliciter pour les bonnes choses, les bons comportements.


    Profiter de tous les moments pour individualiser le langage ; parler à tous les enfants, avec un langage adapté.
    Utiliser "tu", "je" plutôt que "il" ou "on".

    Etre attentif aux messages que l’on délivre :
    Il faut préférer "Je ne suis pas du tout d’accord avec ce que tu as fait" à "Tu es vraiment méchant" ! Essayons de trouver des phrases positives pour exprimer même un interdit. Par exemple, si l’on ne veut pas que l’enfant grimpe par la pente du toboggan, par raison de sécurité, on évitera "Ne grimpe pas comme ça", et on dira de préférence "Passe plutôt par l’escalier". C’est aussi offrir une alternative à l’enfant pour ses actions.

    De même, certaines paroles adressées à l’enfant décrédibilisent les parents et le milieu familial aux yeux de l’enfant : "Ici, c’est pas comme à la maison, tu n’as pas le doit de tout faire !" C’est un jugement que les professionnels portent devant l’enfant sur une partie de sa vie ! Je pense qu’il est possible d’expliquer à l’enfant que la crèche possède certaines règles (liées aux locaux, à la collectivité), qu’il ne retrouve peut-être pas chez lui, mais auxquelles il doit se conformer.
    Si l’on n’y prend garde, on entre facilement en conflit avec l’enfant, c’est l’escalade jusqu’au cri. Il vaut mieux être un exemple pour l’enfant, rester calme, répondre posément : cela l’aidera aussi à se calmer.

    Il faut utiliser un ton correct, calme : ferme si nécessaire, mais ne pas crier.Dans notre position à l’enfant, dans le portage, dans nos mouvements parfois brusques, il se peut que l’enfant reçoive un message de stress, d’agressivité, d’énervement.

    Il faut toujours rester calme, être maître de ses mouvements.
    Avant de parler à l’enfant (et cela est valable aussi lorsque l’on s’adresse à une collègue, un parent), il faut bien prendre sa respiration, être détendue dans son corps.
    Il convient de parler à l’enfant en se mettant à sa hauteur et en face de lui (surtout si l’enfant est en colère, très énervé !! Cela permet de faire baisser la tension petit à petit).

    Faire correspondre son discours à ses actes
    Ne pas entrer dans le « fais ce que je dis, ne fais pas ce que je fais ». Rester un exemple pour l’enfant, à tout moment ; rester cohérent soi-même et entre professionnels.
    Exemple : demander à l’enfant de ne pas s’asseoir sur une table, et le faire soi-même plus tard, dans une autre salle, pour une lecture d’histoire, par exemple.

    Eviter de parler devant l’enfant des difficultés occasionnées par son comportement :C’est là lui donner un pouvoir tout à fait angoissant : « Si l’adulte ne sait plus quoi faire, qui va savoir ? ».

     

     


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