• La collaboration parents professionnels (coéducation)

    La collaboration parents professionnels

    A quoi parents et professionnels collaborent-ils au sein des établissements d'accueil de la petite enfance? Cette question de la collaboration est très souvent et fort logiquement posée dans le cadre des crèches parentales qui impliquent une collaboration concrète des parents et des professionnels dans le cadre du fonctionnement même des structures. Mais qu'en est-il de cette collaboration dans les structures d'accueil de la petite enfance à gestion municipale ou départementale?        
    Cette question de la collaboration parents-professionnels se pose d'autant plus qu'il fait partie d'un ensemble de « mots à la mode » : coéducation, accompagnement des parents, coconstruction, collaboration... mots à la mode qui ne sont justement pas qu'une mode mais aussi le reflet d'un profond changement de nos institutions, et de nos sociétés Un changement qui, pour le dire très vite, implique l'ouverture des institutions et des professionnels à leurs usagers et ce dans une logique de démocratisation. C'est à dire une logique dans laquelle l'usager est sensé avoir des choses à dire sur le service qui lui est rendu et pouvoir les dire en étant entendu de différentes façons. D'où ensuite les idées de participation, de collaboration, coéducation, coconstruction du service etc...

    Maintenant qu'en est-il concrètement dans le cas particulier des établissements collectifs d'accueil du jeune enfant? Parents et professionnels peuvent-ils collaborer et si oui à quoi? Pour répondre à la question revenons à l'étymologie du terme collaborer : littéralement travailler ensemble. A quoi donc parents et professionnels peuvent-ils travailler ensemble dans l'accueil du jeune enfant? Pour répondre à cette question je vous propose une rapide exploration de ce que les parents peuvent venir chercher en crèche, ou plutôt des rapports parentaux à la crèche. En effet, tous les parents n'arrivent pas avec les mêmes demandes, les mêmes rapports, les mêmes relations avec la crèche et ses professionnels. Aussi, ce qui va pouvoir être travailler entre eux et les professionnels ne sera pas toujours la même chose, ce qui va poser de manière différente – pour chaque type de parent - la question de la « collaboration ». Une fois que nous aurons exploré ces différents rapports parentaux à la crèche, nous verrons justement comment cette différence au sein des parents interroge la possibilité d'une collaboration entre parents et professionnels et quelles sont les pistes de positionnement des professionnels – mais aussi en retour des parents – pour qu'ils puissent, malgré les différences, trouver un terrain de collaboration autour de l'accueil du jeune enfant.

    Pour rendre compte de la diversité des parents en crèche, nous nous proposons d’exposer une typologie des parents usagers des crèches issue d’une précédente étude. Cette typologie saisit le rapport des parents à la crèche à travers leur propre rapport à leur rôle parental et à sa construction. Elle se veut un outil de travail pour les professionnels à qui elle peut donner de nouvelles “lunettes“ pour voir les parents et travailler à partir de cette nouvelle vision. Mais elle n’est ni complète ni arrêtée. En tant qu’outil de travail elle a vocation à être travaillée et dépassée.

    Trois types de parents face aux crèches.

    C’est la combinaison de la distance culturelle entre les parents et la crèche et de l’ouverture ou de la fermeture des parents à la crèche qui détermine les trois types de parents que nous distinguons.

    Distance et proximité entre la “ culture pédiatrique ” des parents et la “ culture pédiatrique ” de la crèche.

    Si les parents sont dotés de cultures pédiatriques différentes, liées à leur milieu social d’appartenance et à leur trajectoire sociale, la crèche est aussi dotée d’une culture pédiatrique spécifique que nous avons qualifié de “ culture pédiatrique psychologique ”. Nous désignons par-là un ensemble de notions, valeurs et normes (corrélé à une conception du sujet-enfant) fortement marquée par l’arrivée en crèche des psychologues dans les années 60. Cet ensemble normatif, même s’il n’est pas toujours traduit en pratiques par les professionnels, domine le discours sur la pratique au sein de cette institution.

    La culture pédiatrique “ psychologique ” prévalant en crèche est socialement située, elle est caractéristique des milieux moyens-superieurs. Aussi, en fonction du milieu social des parents leur culture pédiatrique sera plus ou moins éloignée de celle de la crèche. Et cette plus ou moins grande distance influera sur les réactions des parents aux différents éléments de la vie de leur enfant en crèche. Les parents des couches moyennes-supérieures, dont la culture pédiatrique est plus fréquemment très proche de celle de la crèche, sont par exemple dans la compréhension quasi-implicite des manières de faire, de voir et de se comporter vis-à-vis de l’enfant, affichées en crèche. Par contre les parents des petites couches moyennes ou des couches populaires, dont la culture pédiatrique peut être très distante de celle de la crèche, ont plus fréquemment des problèmes pour interpréter les actes et les discours des professionnels envers leur enfant ou envers eux-mêmes. On se retrouve alors dans de véritables situations de “ malentendu culturel ” où chacune des parties (parents et professionnels) interprète les actions de l’autre à l’aune de son système de normes et de valeurs, ce qui peut déboucher sur des tensions et des incompréhensions durables. Néanmoins, le rapport des parents à la crèche n’est pas uniquement déterminé par la “ distance culturelle ” mais aussi par leur ouverture ou leur fermeture à la “ culture pédiatrique ” de la crèche.

    Ouverture ou fermeture à la “ culture pédiatrique ” de la crèche 

    Les parents peuvent être plus ou moins demandeurs ou distants vis-à-vis de la crèche, de ses savoir-faire et des types de rapports à l’enfant qui y circulent. Certains parents se tiennent à distance de ces savoirs qui, à leurs yeux, constituent des compétences professionnelles nécessaires à l’accueil de leur enfant dans un cadre collectif. Ces parents appliquent une sorte de “ principe de coupure ”, les compétences de professionnels de la petite enfance n’étant pas à leurs yeux des compétences sur la petite enfance en général. D’autres parents sont en recherche de ces savoir-faire, soit pour se constituer eux-mêmes des stocks de connaissance, soit pour affiner leurs savoir-faire et leur regard avec des savoirs experts.

    L’ouverture ou la fermeture à la culture pédiatrique de la crèche est liée à des positions et des trajectoires sociales particulières chez les parents. Ainsi les parents des couches populaires ou moyennes, en mobilité sociale ascendante sont très ouverts aux façons de faire et de voir prévalantes en crèche. Certains parents des couches moyennes-supérieures sont eux aussi très ouverts, mais plus particulièrement au regard des experts présents en crèche que sont les éducatrices de jeunes enfants et les psychologues. Par contre, les parents des couches populaires ou supérieures qui semblent dans une moindre mobilité sociale sont relativement fermés aux savoirs circulant en crèche. Soit, s’agissant des parents des couches populaires, la culture pédiatrique de la crèche est très distante de leur propre culture pédiatrique qu’ils considèrent néanmoins comme parfaitement légitime ; ils se retrouveront plus fréquemment dans des situations de conflits ouverts avec les professionnels. Soit, s’agissant des parents des couches supérieures, la culture pédiatrique de la crèche est très proche de la leur, et les parents, tout en étant en relatif accord avec les façons de faire et de voir circulant en crèche, resteront relativement distants de la crèche dont ils n’attendent ni leçons, ni regards experts.

    Les “ parents élèves”

    Nous qualifions le premier type de parents de “ parents élèves ” dans la mesure où ils sont très peu sûrs de leurs propres compétences et savoir-faire face à leur enfant, si bien qu’ils sont en quête de modèles d’action. Ces parents se caractérisent par une relative distance par rapport à la culture pédiatrique de la crèche (qui leur apparaît néanmoins comme la culture pédiatrique légitime) et par une recherche auprès de la crèche de savoir-faire pour constituer ou conforter leur regard et leurs pratiques sur l’enfant. Ces parents vont donc être ouverts aux façons de faire et aux discours émanant de la crèche sans posséder eux-mêmes ces savoir-faire et en se sentant partiellement illégitimes dans leurs pratiques et leurs ressentis face à leur propre enfant. Par delà cette ouverture, on distingue deux sous types de “ parents élèves ” en fonction de leur plus ou moins grande distance à la “ culture pédiatrique ” de la crèche.

    D’un côté nous avons les “ parents élèves ” de milieu populaire (serveur, couturière, chauffeur livreur) qui sont ouverts, mais tendanciellement très distants de la culture pédiatrique de la crèche. Aussi chez eux, cette volonté d’ouverture se traduit par une “ ouverture de droits ” massive des professionnels envers l’enfant[1], et un suivi inquiet des conseils et orientations qu’ils perçoivent dans les discours et actes de ces derniers.

    D’un autre côté nous avons les “ parents élèves ” provenant des couches moyennes (agent de maintenance informatique, documentaliste) qui sont tout aussi ouverts mais tendanciellement plus proches des notions et pratiques ayant cours en crèche. Aussi, chez eux, l’ouverture se traduit moins par la recherche inquiète d’informations prises comme consignes, ou par une délégation éducative marquée, que par une perplexité face à des professionnels pris comme modèles mais qui ne communiquent et n’explicitent pas toujours suffisamment leurs actes. Globalement, avec les “ parents élèves ”, nous sommes dans un rapport de distance à la culture pédiatrique de la crèche et d’ouverture à cette même culture.

    Les “parents exigeants”

    Les parents “ exigeants ” sont des parents qui ont une conception de leur rôle parental claire et cohérente. Contrairement aux parents élèves, on sent beaucoup moins chez eux d’hésitations, de doutes sur leurs compétences de parents. Ils considèrent qu’ils ont des compétences, ou du moins une relation privilégiée à leur enfant, qui leur permet – faute de savoir-faire précis et concrets dans certains cas – d’en avoir une compréhension privilégiée. Ces parents attendent de la crèche qu’elle apporte une “ plus value ” à leurs enfants par rapport à l’accueil familial. Bien qu’ils s’en défendent, on peut penser que ces “ parents exigeants ” sont déjà dans la perspective du parcours scolaire à venir de leurs enfants. La crèche est la première étape de ce parcours et, en tant que telle, elle doit préparer les enfants à l’école à travers des jeux et des interactions qui ne se réduisent pas à leur dimension ludique.

    Les “ parents exigeants ” sont généralement issus des couches moyennes et moyennes-supérieures (cadre financier, architecte, informaticien indépendant). Ils ont une culture pédiatrique proche de celle de la crèche : ce sont par exemple ceux qui connaissent le mieux les différentes fonctions du personnel au sein des établissements, différenciation des fonctions qui implique une compréhension de la conception de l’action auprès de l’enfant prévalant en crèche. Mais, s’ils ont une demande, c’est celle de savoir-faire experts (tels que ceux des éducatrices et psychologues) sur l’enfant pour affiner et développer leur regard et leurs pratiques sur ce dernier. Avec ces parents, nous sommes dans un rapport d’ouverture (à la crèche et surtout à ses experts : psychologue, puéricultrice et éducatrice) et de proximité (à la culture pédiatrique) à la crèche.

    Les “ parents autonomes ”

    Les “ parents autonomes ” ont eux aussi une notion précise et ferme de leurs compétences et savoir-faire de parents. Ils considèrent, qu’en tant que parents, ils ont et gardent la main sur l’éducation de leur enfant et que la crèche doit les suivre. Ces parents sont donc plutôt fermés[2] aux façons de faire des professionnels de crèche. Par delà cette fermeture, nous distinguons deux types de “ parents autonomes ” en fonction, là encore, de leur plus ou moins grande distance à la culture pédiatrique de la crèche, corrélée à leur positionnement social. D’un côté, les “ parents autonomes ” des couches moyennes-supérieures sont relativement proches, dans leurs propres façons de faire et de voir l’enfant, des savoir-faire de la crèche. Leur relative fermeture à la crèche reste donc peu visible (pour eux comme pour les professionnels) et s’apparente à une confiante neutralité. D’un autre côté, les “ parents autonomes ” de milieux populaires sont très distants de la culture pédiatrique de la crèche. Les savoir-faire des professionnels ne sont donc ni particulièrement légitimes à leurs yeux, ni cohérents avec les leurs, ce qui peut entraîner des incompréhensions et/ou des tensions.

     Une demande de conseils différente en fonction des types de parents 

    Des“ parents autonomes” peu demandeurs de conseils

    Les “parents autonomes ” des classes moyennes ou moyennes supérieures demandent très peu de conseils aux auxiliaires qu’ils considèrent comme des intervenantes qui n’ont pas d’autre légitimité que leur expérience auprès des petits enfants. Expérience qui induit un “ aguerrissement ” et une assurance accrue, mais pas une capacité de diagnostic ou une autorité particulière. Aussi, à leurs yeux, elles ne peuvent pas réellement leur apporter un “ plus ” ou une réassurance par rapport à des doutes :

    “ Des conseils, on pourrait toujours en donner toute la journée, même nous on pourrait leur en donner aussi ”(mère, 40 ans, musicienne).

    Cette mère exprime très bien cette sensation “ d’horizontalité ” avec les auxiliaires. Le savoir et les conseils n’ont pas à circuler davantage dans un sens que dans l’autre entre parents et auxiliaires, ces dernières disposant de connaissance et affrontant des problèmes analogues aux parents mais dans un autre contexte et avec un autre rapport à l’enfant. Chez les “parents autonomes ” d’origine populaire c’est moins une sensation d’équivalence des connaissances et des compétences avec les auxiliaires qui ressort qu’une idée d’autosuffisance. Le sentiment d’avoir un savoir suffisamment clair et complet les amène à ne pas demander de conseils.

    “ Non ce n’est pas la crèche d’un côté et moi de l’autre et on se complète. Je n’ai pas d’aide à... enfin d’aide ou de conseils à recevoir ”(mère, 30 ans, adjoint administratif).

    Des“ parents exigeants ” et “ élèves ” demandeurs de conseils 

    Les “parents  exigeants ” demandent plutôt des conseils sur les activités et ils ont aussi plus tendance à s’adresser à l’éducatrice. Leurs demandes suivent leurs intérêts au sens où, pour eux, la crèche doit apporter une plus value en termes d’activités à l’enfant, elle doit permettre son éveil et son épanouissement. “ Oui bien sûr, je demande par rapport aux activités. Notre fille a deux ans et demi, j’ai essayé la peinture, le dessin, la pâte à modeler, qu’est ce que je peux faire parce que là j’ai plus d’idée ? Alors des fois, elle me dit “j’ai fait ça, ça marche bien” ”(mère, 37 ans, fleuriste).

    En demandant des conseils sur les activités, ces parents cherchent à reprendre à domicile un certain nombre d’éléments développés à la crèche, ce qui leur permet de se construire une compétence de parents “ éveilleurs ” et stimulants.

    Les “ parents élèves ” n’estiment pas disposer de l’ensemble des compétences (ou du moins de compétences et de savoirs suffisamment clairs) nécessaires à l’exercice de leur rôle en dehors de leur amour et de la volonté de bien faire pour leur enfant. Logiquement ils sont parmi les plus demandeurs de conseils. “ Moi je sais quand il y a un conseil ou quelque chose, j’ai ma mère au téléphone mais je leur demande à elles aussi. Parce qu’elles m’apportent la réponse tout de suite et je sais que c’est sûr ” (mère, 30 ans, agent de transit).

    Chez les “ parents  exigeants ” et les “ parents élèves ”, les demandes de conseils aux auxiliaires n’ont ni le même contenu ni le même but. Les parents que nous avons qualifiés d’exigeants ne cherchent pas à construire leur rôle ou à consolider leurs compétences mais cherchent à satisfaire une de leur grande préoccupation : les activités et les apprentissages de l’enfant. Les parents “ élèves ” (et plus particulièrement parmi eux les jeunes mères seules) cherchent en la personne des auxiliaires des partenaires pour se construire en tant que parent par l’acquisition d’un certain nombre de savoir-faire. Et, plus loin que ces savoir-faire, on a parfois l’impression qu’ils cherchent aussi, en discutant avec les auxiliaires, en les écoutant, à se construire une familiarité avec le monde de la petite enfance. À se frayer un accès à travers leurs propres doutes pour se sentir légitimes et capables auprès de leur enfant.

     Un rapport aux réunions différents en fonction des parents

    Les parents élèves : des réunions pour savoir

    Les parents élèves utilisent assez fréquemment les réunions pour mieux connaître la vie de la crèche. Pour avoir des éclaircissements sur nombre de points du fonctionnement de la crèche qui leur paraissent obscurs au quotidien, mais sur lesquels ils n’osent pas poser de questions directement aux professionnels. Ces parents sont plutôt passifs en réunion, en retrait, s'informant aussi via les questions posées par d'autres parents :

    « Je pense que là on apprendra plus de choses de la crèche. C’est vrai qu’elle est entrée au mois de septembre, on m’a dit le temps que les autres enfants arrivent pour rencontrer des autres parents.. je pense aussi on a un échange.. je pense qu’il y aura que les parents »(mère, 31 ans, régulatrice de circulation, une fille en 2ème année rentrée en crèche en septembre 2001, Drancy)

    Ces parents en retrait profitent donc des réunions pour entendre les professionnels leur expliquer le fonctionnement de la crèche qui ne leur apparaît pas toujours très clair, pour entendre d’autres parents poser des questions qui les préoccupent, mais aussi pour se constituer en tant que « parents de crèche ».

    Les parents exigeants : des réunions pour faire des remarques et des demandes

    Les parents exigeants tendanciellement, profitent des réunions pour faire « officiellement » devant le collectif de parents et de professionnels les remarques et les demandes qui les préoccupent. Ces parents sont loin d’être passifs en réunion ou d’attendre que quelqu’un pose la question qui les préoccupe. Ils s’en servent comme un outil d’intervention et de critique de la crèche pour impulser les changements qu’ils souhaitent :

     

    « Ils expliquent le fonctionnement de l’année déjà, comment ça se passe l’année, donc déjà on comprend un certain nombre de chose et on peut parler de certains sujets aussi. Alors ça pouvait être la violence parce que c’était un sujet qui était pour pas mal de parents important, on peut en parler tous ensemble, sinon on ne peut pas en parler tous ensemble.(..) »(père, 34 ans, cadre, une fille en 3ème année)

    Pour eux la crèche est une institution qui doit leur apporter un service, une plus value, et qui doit donc leur rendre des comptes et écouter leurs doléances à l’occasion des réunions

    Les parents autonomes : des réunions pour participer

    Les parents autonomes, quant à eux, participent aux réunions plutôt avec l'idée de reconnaître let travail des professionnels. Cette attitude s'explique du fait qu'ils n'ont pas d'enjeux personnels lors des réunions, ni recherche d'informations qu'ils obtiennent suffisamment à leur goût au quotidien, ni requêtes ou demandes à faire vu qu'ils considèrent généralement que la crèche en fait déjà suffisamment :

    « (..) C’est vrai que je suis très compréhensive quand je vais à ces réunions là parce que franchement moi c’est pareil moi je me dis qu’elles ont beaucoup de mérite quand même. Et je trouve important de faire ces réunions pour savoir ce qui a été dans l’année, ce qui n’a pas été (..) »(mère, 28 ans, auxiliaire de gériatrie, une fille en 2ème année, rentrée en septembre 2001, Stains)

     Différents enjeux au sein de l'accueil

    En distinguant ces trois types de parents et la façon dont leur différence se manifeste concernant les conseils et la participation aux réunions, on peut identifier trois grands enjeux dans l'accueil de leurs jeunes enfants. Trois grands enjeux qui interpellent chacun à leur manière les professionnels de la petite enfance.

    L'enjeu de support, de construction, de confortation du rôle parental: dans ce cas là, les parents cherchent dans l'accueil de leur jeune enfant un support à leur propre rôle, à leur propre quotidien de parents comme on a pu le voir dans le cas des parents élèves qui cherchent auprès de la crèche et des professionnels des conseils, des orientations, des manières de faire pour se construire partiellement en tant que parents. 

    L'enjeu de maîtrise de la relation de délégation: dans ce deuxième cas, les parents ne recherchent pas de supports, de conseils, de référents auprès du milieu d'accueil et des professionnels mais recherchent de l'expertise et de la spécialisation pour remplir auprès de leur enfant une fonction d'accueil apportant un plus par rapport à ce qu'ils peuvent eux-mêmes apporter. Ces parents cherchent à maîtriser la relation de délégation, de contrôler ce qui s'y passe et les relations qui s'y tissent entre leur enfant et les accueillants afin de l'optimiser. On retrouve là les parents exigeants en crèche.

    L'enjeu de donner un bon milieu d'accueil à l'enfant: cela pourrait presque apparaître comme un non-enjeu puisqu'il semble que vouloir trouver un bon lieu d'accueil pour son enfant est la première volonté de tout parent. C'est effectivement le cas en un certain sens. Ce qui fait toute la différence c'est la place et le sens que les parents accordent à cette notion de bon milieu d'accueil. Pour les parents dont je parle ici, le but principal qu'ils donnent au lieu d'accueil est d'être un bon lieu pour leur enfant, au sens où celui-ci va bien le vivre et leur restituera par ses états et ses humeurs le relatif bonheur qu'il a à y être. Ces parents ne demandent ni supports ni expertise. Ils veulent que leur enfant se sentent bien mais également que leur manière de faire et de voir soit respectés par les professionnels de la petite enfance dont ils n'attendent ni remarques ni conseils. On retrouve là les parents autonomes.

    Quelle collaboration face à la diversité des parents?

    Chacun des enjeux que nous avons distingué interpelle d'une manière particulière les professionnels et pose à sa manière la question de la collaboration. Encore une fois, en revenant au sens premier du terme – travailler ensemble -  chaque type de parent questionne à sa manière cette possibilité de travailler ensemble :

    Les parents élèves à travers leur demande de conseils, de soutiens, de supports demandent aux professionnels de travailler avec eux à l'élaboration de leur posture parentale. Une telle demande peut paraître trop lourde ou illégitime aux professionnels qui pourront considérer que ces parents doivent moins compter sur elles et faire valoir leurs propres compétences. Ces parents mettent à mal l'idée d'un co-labor au sens où ils peuvent donner l'impression aux professionnels de devoir faire la majeure partie du travail d'éducation des enfants en les laissant impulser le rythme des changements, donner des conseils, les guider.

    Le parents exigeants à travers leur demande d'une plus value éducative semblent vouloir faire collaborer les professionnels à leur projet éducatif particulier. Ils peuvent donner aux professionnels l'impression de les voir surtout comme des prestataires sensés répondre à leurs demandes, des prestataires qui ne peuvent donc faire valoir un autre point de vue sur l'enfant, sur son développement, sur sa vie en établissement d'accueil.

    Les parents autonomes sont particulièrement gênants pour l'idée de collaboration avec les professionnels puisqu'ils ne semblent rien demander au-delà du bon accueil de leur enfant. C'est à dire qu'ils ne donnent aucune base, aucun support à l'idée d'un travail ensemble. Ils ne demandent pas de conseils, ils participent par reconnaissance, ils n'attendent pas de travailler leur position de parents avec les professionnels.

    A travers cette typologie – qui ne reflète qu'une façon parmi d'autres de saisir la diversité des parents en crèche – on voit déjà comment l'idée de collaboration est questionnée, voire mise à mal. Les parents – en fonction de leur positionnement – semblent demander soit trop de collaboration (les parents élèves), soit une collaboration gênante (les parents exigeants), soit aucune collaboration.         
    Aussi, comme nous l'avons dit en introduction, l'idée de collaboration étant fortement présente dans le champ de l'accueil de la petite enfance et étant porteuse d'une évolution démocratique des rapports entre usagers et professionnels, comment collaborer face à cette diversité d'enjeux du côté des parents. Quel positionnement les professionnels peuvent-ils trouver pour prendre en compte la demande de soutien et de conseils des parents élèves sans se sentir pris au piège d'une demande d'aide qui les excède? Quel positionnement peuvent-ils trouver pour débattre avec les parents exigeants qui voudraient les voir s'inscrire dans une optique quasiment préscolaire? Quel positionnement enfin face aux parents autonomes et à leur « non-demandes »?     
    En bref, quel positionnement les professionnels peuvent-ils trouver et demander aux parents afin de répondre tant aux demandes excessives, décalées ou inexistantes des parents tout en maintenant la possibilité d'un travail ensemble. Selon moi, ce positionnement réside peut être dans le travail autour de la notion « d'espace de circulation de l'enfant ». Explicitons cette notion.

    L'espace de délégation de l'enfant, un espace co-construit

    Un double décalage

    Pour qu'un espace de circulation de l'enfant ait une chance de se constituer il faut, selon nous, que d'un côté les parents (ou du moins certains parents) abandonnent l'espoir de voir dupliquer au sein de l'espace d'accueil leur propre rapport à l'enfant. Ou du moins, qu'ils abandonnent l'espoir de voir respecter la singularité de leur rapport propre à l'enfant au sein  de l'espace d'accueil. Non pas que cet espoir soit si fréquent que cela chez les parents, ni fortement présent, mais il constitue une perspective, une tentation qui peut être renforcée par l'idée d'individualiser l'accueil de l'enfant et des parents, de travailler avec les parents. Cela implique que les parents exigeants laissent de côté leurs exigences, que les parents élèves revoient leurs espoirs de trouver toute les réponses auprès des professionnels mais aussi que les parents autonomes face l'effort de s'intéresser à ce qui se passe pour leur enfant au-delà de ce qu'ils ressentent comme nécessaire.         
    D'un autre côté, il faut que les professionnels abandonnent l'idée de pouvoir se positionner face aux parents principalement voire uniquement en tant que – justement-  professionnels de la petite enfance. Sans pouvoir développer ce point, on sait que les différentes évolutions législatives tirent les métiers de la petite enfance au-delà de leur sujet central : l'enfant, pour les amener de plus en plus à considérer les parents, leurs situations, leurs demandes, leurs besoins. Dans les établissements d'accueil de la petite enfance, les professionnels ne sont donc plus positionnés comme étant essentiellement des spécialistes du jeune enfant, mais aussi et surtout des spécialistes de son accueil dans un cadre particulier. Et face aux différents parents que nous avons mentionné, un positionnement principalement en tant que professionnel de la petite enfance exposera tout de même les professionnels aux demandes des parents élèves, des parents exigeants et les laissera perplexes face aux parents exigeants.

    Une solution possible à la question de la collaboration réside donc dans la mise en place  – par les professionnels et les parents (mais sous l'impulsion des premiers) – de ce double décalage. Elle demande que les professionnels ne soit pas que des professionnels mais des « professionnels de l'accueil des jeunes enfants », dont la maîtrise et la responsabilité s'exerce dans ce contexte spécifique d'un accueil. Et elle demande que les parents ne soient pas que des parents, mais des parents d'enfants accueillis, qui doivent donc à ce titre se coordonner et faire avec l'équipe ou les professionnels qui accueillent leur enfant et non pas camper sur leur position singulière de parent particulier. Ce qui nous amène à la notion d'espace de circulation de l'enfant. Cet espace est justement ce qui est rendu possible par ce double décalage, il est constitué par la circulation de l'enfant entre plusieurs scènes éducatives qui, au-delà de leurs différences de positions et de statuts, se réfèrent les unes aux autres parce qu'elles sont concernées par un même enfant. Autrement dit, ce n'est pas parce qu'il y a accueil de l'enfant qu'il y a espace de circulation à mon sens ou collaboration. Cet espace s'instaure quand ces différentes scènes se réfèrent les unes aux autres. Ce que le curriculum écossais de la petite enfance désigne très bien en indiquant « L'expertise et l'expérience tant des parents que des éducateurs de la prime enfance ont plus de valeur quand elles sont partagées. »

    L'espace de circulation instaure justement une collaboration parce qu'elle demande un travail de décentrement à chacun parents et professionnels, autour de la circulation de l'enfant.

     

     

     

     

     

     



    [1]           Ce sont des parents de ce type qui peuvent demander ingénument aux auxiliaires de puériculture et aux autres professionnels de corriger physiquement leur enfant s’il venait à faire une bêtise. Ce genre de proposition dérange les professionnels et montre bien à la fois la délégation éducative massive, et la grande distance à la culture pédiatrique de la crèche.

    [2]           Fermés au sens où ils ne cherchent pas à connaître davantage ou à intégrer dans leurs façons de faire les savoir-faire spécifiques aux professionnels des crèches.


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