article écrit par : Isabelle Motel-Picard, psychomotricienne, mars 2009
Nos pieds ne sont pas si bêtes !
Les pieds ne nous servent pas que de support !
Les pieds sont très innervés et permettent ainsi d’envoyer des informations au cerveau qui réajuste sans cesse les postures et les mouvements afin de nous maintenir en équilibre.
Autrement dit, la marche est adaptée selon le sol : si celui-ci est lisse, rugueux, en pente … A chaque instant se coordonnent ensemble les chevilles, les genoux, les hanches et enfin le crâne afin de maintenir la posture.
Afin d’acquérir la marche il est important que le bébé puisse conserver le plus d’informations possibles pour s’y adapter.
Alors pourquoi nous pouvons marcher avec des hauts talons ou des chaussures de ski ?
Une fois que l’organisation neuromotrice (on appelle cela « le schème de la marche ») est comprise et répétée, nous marchons avec plus d’automatisme, nous n’avons ni besoin de réfléchir ni de sentir le sol constamment, c’est ce qui nous permet de marcher avec des talons ou autres chaussures qui nous éloignent considérablement des sensations du sol .
Pourquoi est-on si pressé de voir les enfants marcher ?
Accélérer la mise debout et la marche est une attitude courante, pourquoi ?
Se rassurer
La plupart des parents ont besoin d’être rassurés sur le fait que leur enfant n’a pas de souci, de handicap, que « tout va bien ». L’acquisition de la marche semble être le signe qui nous permet de mettre de côté un certain nombre d’inquiétudes. Cela nous rassure sur les compétences neuromotrices des enfants. C’est comme si on faisait un lien direct entre cet âge de la marche, que l’on souhaite le plus tôt possible, et l’intelligence, la réussite, l’épanouissement. On est très fier des marcheurs précoces !
Comparer
La pression sur les enfants et leurs parents est importante. Dans les sociétés où l’on peut choisir quand est-ce que l’on a des enfants, le devoir de « réussite » de ceux-ci augmente. Chacun compare les enfants, les voisins, la famille, à la crèche et on voudrait que son enfant ne soit pas en retard, qu’il soit le premier, le plus beau, le meilleur ! Nous sommes sensibles à la réussite ou aux difficultés de nos enfants : on se sent mieux, valorisé quand on nous complimente sur nos enfants et si celui-ci est « à la traine », c’est comme si on avait quelque chose en moins, même si on n’en est pas forcément pour responsable ! Alors pour se rassurer ou rivaliser on compare le développement des enfants……
Le petit qui devient homme
Dans les représentations inconscientes et collectives que nous avons, un bébé qui marche à 4 pattes nous ramène à l’histoire de l’être humain qui était d’abord un animal, un grand singe et qui est devenu progressivement un humain notamment en se mettant à marcher debout. Nous sommes les seuls mammifères à marcher ainsi.
Voir notre enfant se mettre debout c’est le voir devenir humain en s’éloignant des images de petit animal que nous pouvons avoir la première année et avec lesquelles nous ne sommes pas toujours très à l’aise.
L’illusion d’autonomie
Nous passons beaucoup de temps et d‘énergie à porter les enfants, dans les bras, sur la hanche, à les mettre dans la poussette, ou dans des sacs ou des écharpes de portage, nous nous penchons, nous accroupissons… Ce qui nous fait vite mal au dos !
Nous entendons souvent les parents rêver du moment où leur enfant marchera et sera autonome… Mais savoir marcher et aller se promener ou acheter le pain en tenant la main de Papa sont deux choses bien éloignées dans le temps.
La période de l’acquisition de la marche est au contraire beaucoup plus fatigante car l’enfant sait explorer ce qui l’entoure mais se fatigue vite et ne connait pas le danger. Il sait à la fois sortir très vite de notre champ de vision et aller vider le placard sans inquiétude !
Ce que cela peut entrainer :
Plus le bébé peut expérimenter toutes les postures, s’asseoir, ramper, se mettre à 4 pattes, plus il peut passer d’une position à l’autre, essayer, changer ses appuis, recommencer, plus il va développer son adaptation dans les mouvements, plus il pourra passer partout, et trouver de la souplesse et de l’assurance.
S’il n’expérimente pas cela, il va réduire, fragiliser et appauvrir ses capacités d’adaptation posturale, entre l’appui de ses pieds, son squelette, ses muscles et ses articulations.
Ce qui pourra amener ce que l’on connait : Les déformations de la colonne vertébrale (scoliose, cyphose…), des hanches, des genoux ou des troubles de la latéralité, des vertiges, un manque de souplesse…
Habillons tout ça : Les Chaussures !
Habituellement, on voit au pied des enfants, des chaussures rigides pour les premiers pas qui tiennent la cheville. C’est la théorie de « former le pied ». Il y a peu encore on conseillait même de les mettre dès les premiers mois pour corriger la forme arrondie du pied des bébés et éviter l’apparition des pieds plats. (Les pieds des bébés sont naturellement plats, ils prennent leur forme dans la marche, les peuples qui vivent sans chaussures n’ont pas plus les pieds déformés qu’ailleurs voir … moins !)
Quand l’enfant a acquis une marche aisée, on lui met alors (et aussi en fonction de l’investissement financier de chacun) des chaussures de plus en plus souples et fines, parfois choisies plus pour des raisons esthétiques qu’orthopédiques et c’est parfois à ce moment-là que l’enfant aurait besoin de chaussures qui lui tiennent bien le pied afin de l’accompagner dans ses explorations dehors, dans la cour d’école, pour sauter, courir, escalader…
Les chaussures rigides :
Pourquoi sont elles souvent recommandées ?
Historiquement quand les orthopédistes et les podologues ont mis en place les chaussures de rééducation et les semelles, on a pensé que cela pourrait former le pied du bébé. Les pieds du nouveau-né sont tout ronds, plats, avec les chaussures rigides c’est comme si on les « moulait » pour qu’ils prennent leur forme définitive.
Quels en sont les inconvénients ?
Certains enfants se mettent à tenir debout avec car c’est comme porter une prothèse ou une chaussure de ski qui vous « obligent » à tenir droit.
Mais l’enfant perd toutes les informations sensorielles, a du mal à passer d’une position à une autre, perd la souplesse de la cheville. Il perd l’exploration et l’adaptation de ses postures. En grandissant peuvent apparaitre toutes les déformations de la colonne vertébrale et les problèmes posturaux. La génération « Babybotte » qui portait des chaussures rigides dès les premiers mois est aussi celle de la maladie du siècle, le mal de dos…
Enfin, elles coutent souvent chères (les marques réputées avoisinent vite les 70€) et doivent être changées à chaque pointure.
Quand les recommander ?
Quand l’enfant sait marcher et commence à courir et sauter. Il a moins besoin des informations sensorielles de ses pieds car il a acquis les schèmes moteurs de la marche mais ses explorations et ses escalades nécessitent de protéger ses pieds et ses chevilles.
Les chaussures à semelle souple :
Pourquoi sont elles souvent recommandées ?
Et elles le sont de plus en plus !
C’est parce qu’elles permettent à l’enfant de conserver les informations des pieds et des chevilles et d’acquérir l’adaptation nécessaire aux postures.
Quels en sont les inconvénients ?
Elles sont encore difficiles à trouver, il faut souvent passer par internet. (En cherchant « chaussures à semelles souples »), cependant elles sont souvent moins chères (une quarantaine d’euros voir moins) et durent plus longtemps car leur souplesse permet de laisser grandir le pied plus longtemps.
Les chaussons se trouvent de plus en plus facilement en boutique, coutent entre 10 et 30 euros, et durent plusieurs mois (pas de pointure : on parle de taille 0/6 mois, 6/12 mois etc.), le cuir s’assouplissant au fur et à mesure.
Quand les recommander ?
Dès les premiers pas, quand on doit protéger les pieds du froid, des petits cailloux… mais elles ne servent qu’à cela, on peut laisser l’enfant pied-nus, en chaussettes antidérapantes ou en chaussons à semelle souple tant qu’on le souhaite.
« Mauvaises chaussures »:
Plus le relief intérieur est trop important, plus la tige est haute et bloque la cheville, plus les orteils sont serrés, plus on contraint le pied et la souplesse du bébé.
En résumé, quelles chaussures ?
Tant que l’on ne marche pas, on n’a pas besoin de chaussures
Le plus possible rester pieds nus
Protéger les pieds avec chaussettes antidérapantes, chaussons à semelle souple.
Quand on commence à marcher, on a juste besoin d’avoir le pied protégé du froid, des cailloux…
Chaussures à semelle souple, pas trop serrées, sans de gros relief à l’intérieur, avec une tige qui laisse la cheville libre.
Chaussures rigides quand on commence à sauter/courir pour protéger des chocs et des chutes.
Avec des semelles adaptées à nos environnements : crantées quand on crapahute dans la boue, babies ouvertes quand il fait chaud…
Pas de marche= pas de chaussures
Premiers pas= chaussures souples
Sauter/courir= chaussures plus rigides
Isabelle Motel-Picard, psychomotricienne, mars 2009.