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  • article issu de : http://edso.revues.org/443

    Introduction

    L’accueil collectif du jeune enfant s’inscrit dans une perspective globale d’éducation qui inclut le soin, l’accompagnement et renvoie au développement, à la socialisation et aux premiers apprentissages des enfants. « Il constitue l’une des valeurs premières de la socialisation » (Neyrand, 2009) et est devenu le mode privilégié des familles (rapport IGAS, 2009, p. 4). Aussi, l’ouverture vers un cadre de socialisation collectif nous invite à montrer, que pour répondre à ces objectifs « l’équipe officielle ne permet pas à elle seule de comprendre les échanges entre les personnes qui travaillent dans une structure. Dans un souci d’efficacité et pour encourager une coéducation créative qui inclut la parentalité, les directrices établissent des relations de coopération avec des personnes qu’elles auront choisies en ouvrant le réseau interne. À ce moment là, on est alors confronté à un éduquer ensemble et des collectifs à géométrie variable vont se créer. Les travaux en ergologie d’Yves Schwartz nous amènent à appréhender l’agir collectif des encadrantes de la petite enfance dans un autre rapport avec les gens qui travaillent en posant que « c’est la personne qui réinvente une certaine manière d’être, de vivre, de survivre avec les autres dans l’usage de soi par soi1 » (Schwartz et Durrive 2009, p. 22). La mise en visibilité de cette créativité nous permettra d’appréhender le processus de déplacement de l’équipe vers des collectifs à géométrie variable, et de comprendre le « travail émotionnel intense » (Ulmann, 2012) fourni par ces professionnelles. Elles en arrivent à faire des choix conscients ou inconscients que Schwartz appelle des « débats de normes ». Aucun protocole, aucune prescription ne pourra évacuer des trous de normes. La créativité de l’agir collectif de ces encadrantes va apparaître à partir du moment où elles vont être en capacité de créer de nouvelles normes. La création de collectifs à géométrie variable est le résultat de ce travail de renormalisation2 qui signifie qu’un lien s’est crée entre des personnes qui mettent en commun des valeurs et des collectifs. Cette démarche va pouvoir rendre compte de la réalité du travail collectif à partir de l’identification de traces formelles et informelles. Il a été choisi d’observer ce processus à travers les activités festives qui constituent des temps forts de la petite enfance et qui favorisent des moments d’ouverture par des relations d’échange, de fusion et de coopération entre individus et tiers. Ces évènements permettent aux directrices de contourner les résistances en s’exprimant sur les difficultés occasionnées par le travail collectif.

    1 Tout travail, parce qu’il est le lieu d’un problème, appelle un usage de soi. Cela veut dire qu’il (...)

    2 Alors que la norme est du côté du prescrit, la re-normalisation se situe du côté de l’activité. Yve (...)

    Les enjeux de l’accueil collectif

     Les institutions de la petite enfance se pensent dans un monde en pleine évolution technologique, économique et politique. Les professionnelles sont en situation délicate parce que ces attendus ne sont pas facilement compatibles » (Ulmann, 2012).

    Des enjeux devenus incontournables

     L’aspect de plus en plus commercial est évoqué par l’ouverture du « marché de la petite enfance » au privé, que nous connaissons bien en France, par une organisation bureaucratique et libérale qui transforme les parents en consommateurs de service. À cette vision, s’oppose celle des auteurs d’« Au-delà de la qualité dans l’accueil et l’éducation de la petite enfance 3 » qui s’éloigne d’un discours scientifique rationnel pour se rapprocher d’une approche post-moderne axée sur la créativité, la prise d’autonomie de chacun, adulte et enfant. Le discours post-moderne en intégrant la complexité, l’incertitude et la diversité, rend nécessaire la mise en visibilité de la pratique auprès des tout petits. L’implication des parents dans ces structures d’accueil est recherchée et devient une question de plus en plus présente du côté des institutions (OCDE, 2006). La participation devient une valeur essentielle et implique un investissement actif de la communauté entière, c’est à dire de tous les jeunes enfants et les adultes (parents, professionnels et autres citoyens). On comprend alors toute l’importance accordée aux micros évènements. Dans ce contexte global, les textes officiels encouragent le travail collectif pour rapprocher les parents et les professionnels.

    3 Dahlberg G., Moss P. et Pence A. Au-delà de la qualité dans l’accueil et l’éducation de la petite e (...)

    Un travail pluridisciplinaire encouragé

     Le passage de la problématique médicale des lieux de garde à une problématique plus globale met en évidence la pluralité des regards et questionne la pédagogie. Une ouverture en termes de métiers et de dynamique de travail au sein des crèches se met en place. Cette complémentarité va-t-elle permettre aux professionnelles de s’organiser, de tisser des liens de coopération ? Ces nouvelles problématiques se sont traduites sur le terrain par l’introduction au sein des équipes de crèche, des professions destinées à compléter la prise en charge sanitaire des enfants par une prise en charge éducative, pédagogique et psychologique. Les équipes s’adjoignent progressivement les services ponctuels de psychologues et au sein même des équipes, une profession prend peu à peu de l’importance depuis les années quatre-vingts : l’éducateur de jeunes enfants. Le décret du 1er août 2000 ouvre enfin, la voie d’une évolution de carrière pour les éducatrices de jeunes enfants. Elles vont pouvoir occuper des fonctions de direction dans des structures possédant un agrément pour 40 enfants. L’ouverture se concrétise avec le décret du 20 février 2007 qui entérine le concours d’une équipe pluridisciplinaire et encourage la mixité des savoirs pédagogiques, éducatifs, culturels et psychologiques. Cette reconnaissance amène à positionner l’accueil de la petite enfance au confluent du sanitaire, du social et de l’éducatif. Aussi, la mise en coopération des acteurs « suppose de décloisonner les disciplines et les faire travailler les unes par les autres sous la contrainte de l’activité » (Schwartz et Durrive 2009, p. 261).

    La pluridisciplinarité difficilement appréhendée

     Sur le terrain, la circulation de ces savoirs semble difficile à se mettre en place. Gérard Neyrand (2009) précise que « le modèle de l’évolution des savoirs n’est pas celui d’une accumulation de connaissances aboutissant à une harmonieuse progression mais plutôt celui d’une tension entre des positions contradictoires ». Sylvie Odena (2009) confirme que cette équipe est vécue comme « une juxtaposition de professions qui produit souvent des tensions, voire des confrontations particulièrement entre puéricultrices et éducatrices de jeunes enfants ». Laurence Rameau et Philippe Duval (2010, p. 159) complètent ces propos en précisant que « l’idée de s’assurer le concours d’une équipe pluridisciplinaire ne provoque au contraire, par effets secondaires et pervers que dispersion et appauvrissement de la qualification des professionnels de l’accueil des jeunes enfants qui ne se reconnaissent pas entre eux et s’opposent ». La difficulté réside dans le fait que ces savoirs ou ces compétences qui se transmettent sont stockés par ce qu’ils se développent de manière linéaire et séquentielle démonstrative argumentative et que les équipes demeurent majoritairement composées de professions de santé : les puéricultrices et les auxiliaires de puériculture (Odena 2009, p. 15 ; Rameau et Duval, 2010, p. 162). C’est bien parce que la réglementation de l’accueil collectif des jeunes enfants reste inscrite dans le Code de la santé publique, que les équipes restent essentiellement sanitaires et que la profession d’éducateur de jeunes enfants a du mal à partager les savoirs puisqu’elle se caractérise par une culture qui lui est propre. Le « travail n’est jamais pure exécution » (Schwartz et Durrive, 2009, p. 16). Les normes n’anticipent pas tout. Il est fréquent de constater que le travail avec les enfants souffre d’une « invisibilité qui caractérise ses conditions de succès » (Molinier, 2006, p. 303), mais également parce que les professionnelles « convaincues de la banalité de leurs actes ne savent pas en parler » (Ulmann, 2006). Cela revient à dire que le travail n’est jamais joué d’avance et que l’on va se retrouver en situation d’épreuve pour suppléer les déficiences de consignes de conseils.

    L’organisation dans les crèches municipales

     L’élément marquant est la complexification des organigrammes et la standardisation de l’organisation (Odena, 2009). La crèche en tant qu’établissement d’accueil du jeune enfant est gérée par le service administratif de la petite enfance dirigé par un manageur dont l’intitulé du poste varie en fonction du positionnement institutionnel. Il peut s’adjoindre des conseils d’une coordinatrice. Au sein de ces structures, toutes les décisions sont conditionnées à l’approbation de la hiérarchie ; qu’il s’agisse d’accès à la formation, de proposition en lien avec le projet de crèche (propositions de sorties, d’activités pour les enfants, projets festifs ou de travail collectif inter-crèches). Les retours des projets ne sont pas forcément organisés par la hiérarchie. Les crèches connaissent la même lourdeur administrative que les autres services d’une collectivité. Outre la mission générale de prévention et d’éducation, la fonction d’encadrante recouvre à la fois les domaines administratif et financier qui l’amènent à être en lien avec cinq « centres de décision » producteurs de règles hétérogènes (Gonzales, 2004). Ces centres représentent la municipalité (élus et administration représentée par le service de la petite enfance) ; le secteur professionnel de la petite enfance (des instances de gestion existent au niveau national, régional, et départemental pour être le garant du « professionnalisme ») ; la structure d’accueil des jeunes enfants avec les différentes catégories de personnel ; les familles à la fois bénéficiaires et « évaluateurs indirects » et les enfants. Le problème principal posé par ces tâches est leur « invisibilité » pour l’employeur qui ne réalise pas l’importance du temps passé à la diversité et à la multiplicité de ces activités, ni les moyens qui seraient nécessaires.

    Options épistémologiques et méthodologiques

     Cette étude a deux objectifs : identifier les conditions de surgissement et de mise en visibilité d’un agir collectif porteur de créativité. Le point de départ qui sous-tend une telle élucidation est que la complexité du milieu de la petite enfance, la mise en œuvre d’une nouveauté nécessite une réinvention locale qui passe par des collectifs qui se dessinent en fonction des activités et qui ne peut être élucidée sans une compréhension de l’ensemble des normes antécédentes (organigramme, fonction).

    Le cadre théorique choisi

     Pour repérer les liens qui peuvent exister dans le travail collectif dans lequel les directrices de crèche sont placées, le cadre théorique de l’ergologie (Schwartz, 2003, 2009) et de la psychodynamique du travail (Dejours, 2000) a été choisi pour éclairer le sujet. Aborder l’intelligibilité de ce processus par la mise en avant de l’écart entre travail prescrit et travail réel, nous permet de considérer le travail de l’intérieur. On ne peut pas imaginer quelque activité de travail ou autre qui ne soit pas toujours « usage de soi par soi » et qui renvoie à cette substance énigmatique, le soi. De cet usage de soi, émerge de la créativité et il n’existe pas de « prêt à agir » (Schwartz, 2009, p. 157). L’usage de soi par soi mobilise la pensée, le corps qui met en tension les normes antécédentes avec celles du vivant. C’est en associant étroitement l’intéressé qu’on construit un savoir sur le vécu au travail. L’énergie que ce dernier met à réaliser les tâches dans un contexte sans cesse changeant l’amène à être créatif, productif, à avoir des choses nouvelles, à dire sur le travail dont il est question. Ces encadrantes de la petite enfance se trouvent dans un contexte de profondes transformations et on sait que la problématique de la visibilité de l’usage de soi dans la tension entre le prescrit et le réel pose question.

    Cet écart entre ce qui est ressenti et ce qui est montré constitue un effort, un travail émotionnel d’autant plus éprouvant que les prescriptions et les modes d’organisation du travail n’en permettent que rarement l’expression. (Ulmann, 2012)

    Christophe Dejours (1993) s’accorde à présenter la coopération comme étant « des liens que construisent entre eux des agents en vue de réaliser, volontairement une œuvre commune ». Ces liens de coopération reposent sur « des sentiments-gratitude, sympathie, fierté ou complicité qui procurent un plaisir recherché en tant que tel » (Alter, 2009, p. 15).

    L’approche méthodologique

     La nécessité de rendre visible cet agir collectif nous amène à repérer ces signes de reconnaissance. Une telle étude ne peut s’engager sans une connaissance préalable du champ de l’institution et sans une familiarité du chercheur-entendue. Quatre communes possédant des structures d’accueil collectif ont été choisies en fonction de la dynamique interrelationnelle qui avait été créée avec les représentants institutionnels. Afin de comprendre comment est perçu cet agir collectif dans un environnement complexe, il a été porté une attention particulière à 38 encadrantes occupant les fonctions de responsable et d’adjointe de structures collectives et familiales d’accueil du jeune enfant répondant au métier de puéricultrice, d’infirmière, d’éducatrice de jeunes enfants et à 8 responsables administratifs d’un service de la petite enfance. 34 directrices et 6 manageurs ont répondu. Pour élaborer une intelligibilité des collectifs à géométrie variable en situation de travail, d’après les déclarations de cette population enquêtée, des éléments structurés dus à l’organisation du travail ont été repérés par un questionnaire « Vivre le travail collectif au sein des collectivités territoriales », complétés par des entretiens pour que les interviewés acceptent de nous livrer en partie leur expérience subjective. Les premiers éléments livrés par les questionnaires confirment que « c’est en identifiant correctement le prescrit qu’on découvrira le réel » (Schwartz et Durrive, 2009, p. 178) et confirment les stratégies collectives de défense mises en place par ce métier pour laisser paraître un monde « enjolivé » (Sadock, 2003). Les activités festives apparues comme étant des activités de forte mobilisation nous ont servie de support à nos entretiens, conçus pour repérer le fonctionnement réel des personnes à travers le recueil de leurs paroles.

    La prise en compte de la réalité du travail collectif : une nécessaire lecture des traces formelles et informelles

     L’analyse des normes organisationnelles de la petite enfance entérine le travail collectif formel. Cependant, les déclarations des encadrantes et des manageurs laissent entrevoir que le travail collectif ne peut être entièrement prescrit et que les valeurs véhiculées par les établissements encouragent la création d’ouvertures momentanées pour faciliter le travail collectif réel. L’identification des normes organisationnelles, hiérarchiques et des formes collectives de travail comprenant leurs objets montre que, c’est en fixant « les statuts, les rôles, les domaines de compétence et d’autorité, les responsabilités de chacun, qu’elle donne un cadre de référence sans lequel aucune coopération ne serait possible » (Dejours, 1993).

    Le positionnement des acteurs

     Les 2/3 des encadrantes (20) et des manageurs (4) (fig. 1 et 2) déclarent que seule l’équipe d’encadrement comprenant direction, responsables de structure en lien avec les élus, serait à l’initiative des actions collectives. Cependant, les procédures techniques de coordination animées par les manageurs et les encadrantes ne permettent pas à elles seules d’assurer de manière effective la coordination des activités. Encore faut-il que les différents acteurs acceptent de coopérer pour leur donner du sens, en faire usage et finalement les rendre efficaces. Une gestion horizontale des objets de collaboration apparaît également pour donner une lecture multifacette de la réalité. Ces initiatives diverses proviennent à la fois des cadres, des agents, des partenaires internes et externes : participation de la psychologue, de la diététicienne, des partenaires du quartier et des services qui gravitent autour de la petite enfance. Certaines encadrantes (questionnaires) à travers leurs formulations, expriment une dynamique coopérative : « tous les acteurs sont acteurs du travail collectif » ; « le besoin de n’importe quel agent peut entraîner un travail de groupe, une réflexion » ; « il devient ainsi l’acteur à l’initiative de ce type de travail ». Ces éléments indiquent la présence de communautés « hiérarchiques » à la fois homogènes et hétérogènes qui ont pour objectif l’intégration de connaissances fonctionnelles et l’existence d’une diversité de collectifs de travail. Une dichotomie est entrain de s’opérer entre la définition d’un « collectif de travail » entendu comme une petite équipe repérable dans l’organigramme et les constats qui vont dans le sens d’une indétermination croissante des contours des collectifs de travail. La dynamique collective existe à plusieurs niveaux. « La coopération ne peut fonctionner sans réel désir des agents du collectif et des signes de reconnaissance » (Dejours, 1993).

    Fig. 1—Vision des encadrantes-acteur à l’initiative d’actions collectives

    Fig. 1—Vision des encadrantes-acteur à l’initiative d’actions collectives
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    Fig. 2—Vision des manageurs-acteur à l’initiative d’actions collectives

    Fig. 2—Vision des manageurs-acteur à l’initiative d’actions collectives
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    Les formes de travail collectif et la diversité des objets de coopération

     Les encadrantes placent la collaboration formelle en priorité en considérant que les réunions de travail (91 %), d’équipe et les groupes de travail (88 %) structurent le travail collectif. Les groupes d’échanges de pratique (76,5 %) et les réunions de réseau viennent dans un quatrième et cinquième temps (59 %). Les manageurs donnent la même importance aux groupes de travail, à des réunions de réseau et aux groupes projet. L’organisation du travail amène à ce que les manageurs et les encadrantes gèrent le travail de collaboration de manière verticale, assurant un contrôle étendu des objets mais aussi des formes et des modalités de concertation. Les périodes de concertation sont planifiées à raison d’une réunion d’équipe hebdomadaire par structure, une réunion par mois de coordination et une réunion tous les trois mois par crèche. Il en ressort que l’agir collectif prend forme dans des conditions structurées et que d’éventuelles collaborations peuvent s’ouvrir avec les groupes projet, les réunions de réseau et les groupes d’analyse de pratique. Les différents modes de collaboration repérés conduisent à mettre en lien les objets de coopération. Lorsque les manageurs et les encadrantes travaillent avec leurs équipes, un éventail d’objets est traité. L’identification des objets traités laisse deviner le positionnement des encadrantes dans la relation de service et dans le travail de care. Il est question d’activités liées à l’organisation du travail (nouveaux horaires, astreinte, fiche de poste…) et des activités éducatives concernant l’enfant au quotidien (atelier conte avec le centre social, fabrication d’objets pour les enfants, photos, panneaux, arbre à valeur…). Trois objets apparaissent faire lien entre les deux. Il s’agit de l’élaboration du projet éducatif, du projet social devenus obligatoires avec le décret du 1er août 2000 ; les temps de régulation de l’équipe (rencontre débat parents-professionnels, rencontres inter structures, observation sur les enfants) et l’organisation d’évènements. Le projet peut être « un lieu de rencontre, un lieu de travail en commun où s’active une espèce de spirale permanente » (Schwartz et Durrive, 2009, p. 261). Toutefois, « l’absence de mobilisation autour d’un projet pose question. Les équipes sont amenées à changer leurs pratiques professionnelles sans qu’il y ait de réflexion globale sur la conduite de ces changements en référence au projet existant » (Odena, 2009, p. 65).

    La valorisation du travail collectif

     Un certain nombre d’éléments amènent les encadrantes à vouloir laisser paraître un travail collectif « enjolivé » (Sadock, 2003). 88 % d’entre elles pensent que ce travail apporte des solutions aux problèmes rencontrés dans leur quotidien pour eux-mêmes et pour leurs agents ; 82 % pour le service ; 79 % pour la direction et 73 % pour la collectivité. Elles déclarent à 67 % que le travail collectif est « plutôt valorisé » au sein de leur institution et qu’elles l’encouragent (97 %) au sein de leur structure et qu’elles y collaborent (87 %). 42 % reconnaissent qu’il puisse y avoir des obstacles et malgré cela, elles ne se sentent pas en capacité de le refuser (seulement 19 % refusent). Ces réponses laissent à penser qu’elles reconnaissent le travail collectif comme un travail d’ajustement réciproque dans la mesure où « la coopération regarde le travail fait par les uns et par les autres » (Schwartz et Durrive, 2003, p. 189). Elles auraient réussi à transformer le « destin de la souffrance créatrice en plaisir et en expériences structurantes » (Molinier, 2008, p. 60). Diverses explications sont données par les encadrantes pour valoriser ce travail collectif :

    la collaboration contribue à la création d’une dynamique d’équipe ; au développement d’un bien-être partagé par une meilleure connaissance des enjeux du travail collectif et des autres ; et contribue à la valorisation de l’image de marque du service.

     Dans la perspective de la coopération, le travail devient création de nouveau, d’inédit et exige la mise en jeu de l’initiative, de l’inventivité, de la créativité et des formes d’intelligence. Aussi par le travail collectif, les encadrantes (97 %) se sentent « dynamisé dans leur pratique », « enrichi dans leur travail (94 %), et reconnu par les agents (67 %). Encadrantes et agents partagent les mêmes finalités.

    L’activité est en quelque sorte une expérience de singularisation. À ce moment-là, les professionnels rencontrent des moments d’échec, de réussite ou d’inventivité heureuse » (Schwartz et Durrive, 2003, p. 86).

    Une logique d’efficacité locale apparaît entre encadrantes et agents (Alter, 2009). Ces chiffres confirment que le travail collectif est nécessaire pour la mise en œuvre de toutes les activités et qu’ « il n’y a pas de travailler individuel » (Schwartz et Durrive, 2009, p. 47). Les encadrantes attendent de la hiérarchie une validation et la reconduction de leur projet. Elles utilisent la voie de la formalisation (procédures, mode écrit et oral) pour valoriser les actions collectives auprès de la hiérarchie. Ces retours ne sont pas travaillés dans l’optique de reconnaître la réalité du travail avec ses plaisirs et ses souffrances. L’efficacité du travail collectif se situe au niveau de l’équipe et au niveau des agents. C’est à ce niveau-là, qu’apparaît l’importance des liens interpersonnels. Cependant, la logique de l’efficacité de la coopération semble se heurter à celle de la coordination dans la mesure où ce travail collectif semble reconnu par la hiérarchie et par les partenaires, à hauteur de 44 %.

    Des stratégies collectives de résistance

     Seules 42 % des encadrantes reconnaissent l’existence d’obstacles au travail collectif alors que les manageurs intègrent que le travail collectif comporte des difficultés. Elles peuvent être repérées lorsque certaines encadrantes et manageurs (33 %) expriment un sentiment plutôt mitigé de l’importance qui est donnée au travail collectif par la collectivité. Malgré la volonté des représentants institutionnels de sortir d’une logique de coordination, les interviewés nous indiquent que « la mise en pratique est différée » ; « le fruit de ce travail n’est pas forcément relayé et appliqué par la suite » ; « les décisions sont prises de façon descendante. Les agents de terrain sont consultés, mais les décisions sont prises par les administratifs loin du terrain et en urgence ». La volonté de « travailler ensemble » ne peut pas être un acte pris uniquement au niveau politique en application des textes officiels. « Ce qui est prescrit n’est jamais suffisant comme seul encadrement pour l’agir collectif » (Schwartz et Durrive, 2009, p. 23). Les personnes qui donnent une connotation très positive au travail collectif mentionnent que « la parole circule facilement ; qu’il n’y a pas de frein ; que les problèmes sont gérés facilement » (entretien infirmière-responsable de structure). Par contre, les encadrantes qui s’autorisent à parler des difficultés expriment leur souffrance, « la gestion des conflits ça fait pleurer ; la souffrance les amène à parler ; c’est très compliqué d’accueillir quelqu’un de l’extérieur ; c’est difficile de dire non » (encadrante éducatrice de jeunes enfants) ; « les difficultés ne sont pas parlées ; il n’y a pas de régulation collective au niveau des responsables de structure » (autre responsable -éducatrice de jeunes enfants).

     Les obstacles au travail collectif sont divers et variés. La plupart du temps, le travail collectif est perçu comme un investissement important qui suppose de beaucoup travailler, de vivre des situations à risque et une remise en question. Plusieurs éléments sont avancés par les encadrantes : le manque de temps (13 réponses) est spécifié comme pouvant être un obstacle majeur. Viennent ensuite, les difficultés d’intercompréhension (9 réponses), l’aspect routinier de l’administration (5 réponses) et les difficultés liées à la gestion des conflits et au manque de personnel (4 réponses). Toutes ces difficultés nous signifient que le « va-et-vient entre la personne et le milieu est en question » (Schwartz et Durrive, 2003, p. 190) et que ces professionnelles n’ont pas été en capacité de montrer leur participation au travail collectif. Au vu de ces difficultés, nous comprenons l’importance du discours post moderne du « faire sens » des auteurs d’au-delà de la qualité de l’accueil et l’éducation de la petite enfance. Il s’agit de co-construire une compréhension de ce que sont « les bonnes pratiques » dans la petite enfance. La création d’espaces de discussion et d’écoute au sein de ces structures demeure pour nous, une condition essentielle. La parole est action dans la mesure où c’est par cette parole que le collectif va pouvoir se construire. Les acteurs interviewés ont conscience de la nécessité de prendre du temps pour exprimer souffrance et créativité. Le travail collectif tout en apportant satisfaction et plaisir lorsque les conditions de coopération sont réunies, peut devenir « pesant » (encadrante-infirmière), s’il n’autorise pas la transformation de la souffrance en plaisir.

    La mise en visibilité de la construction de collectifs à géométrie variable, par les activités festives

     Les activités festives sont des éléments importants de ritualisation dans le domaine de la petite enfance qui mobilisent énormément de personnes au niveau local.

    Un objet particulier de collaboration : les activités festives

     Il a été difficile de les définir au regard des points de vue divergents des manageurs et des encadrantes. Les manageurs qualifient les colloques et le carnaval, d’évènements exceptionnels ; contrairement aux encadrantes qui ne les différencient pas des activités éducatives. Ces premiers résultats laissent penser que les évènements festifs sont des temps forts pour la ville et pour la structure. Ils mobilisent fortement les équipes de manière différente. L’« ingéniosité mobilise infiniment plus de connaissances, de savoir-faire et de savoir-être que ne le présupposent les consignes du travail prescrit » (Alter, 2009, p. 16). Le carnaval et la fête de fin d’année ont été retenus comme évènements pouvant transcender le quotidien au sens de Bakhtine, ouvrant les participants au changement et rendant le groupe capable d’actions collectives inattendues. Ils contribuent à une forte mobilisation des acteurs, à une communion entre les parents, les professionnels et les partenaires. Ces évènements se traduisent souvent par des fêtes, des danses, des jeux et des spectacles qui provoquent une « fusion des êtres » au sens de Durkeim. Ils suscitent la création de collectifs à géométrie variable par des moments d’ouverture avec les parents et avec les professionnels. Les encadrantes reconnaissent que ces évènements « facilitent l’introduction de nouvelles personnes, partenaires et parents » et « facilitent la création d’une dynamique collective ». La fête est reconnue comme ayant une incidence sur le travail collectif et comme étant un vecteur de communication.

    L’évènement permet d’introduire un changement ; de sortir du quotidien ; de sortir de la routine et crée de la nouveauté (entretiens des directrices).

    Pour un partage de valeurs et un comportement d’acteurs

     Ces moments se caractérisent par les densités de communication. « Ils ouvrent et enrichissent les modes de sociabilité pour laisser place à de nouveaux acteurs. Ils donnent un autre sens au monde » (Alter, 2005). Cette notion est une conséquence directe de la notion de débats de normes, qui s’articule autour d’un « débat de valeurs » partagé plus ou moins profondément, plus ou moins explicitement, plus ou moins consciemment, elle-même liée à la notion d’activité définie par Schwartz (2003). Ces collectifs se construisent autour d’un partage de valeurs qui s’effectuent autour du bien vivre et de l’efficacité. Ils vont se déployer au niveau local autour de la fête, du plaisir partagé, de l’éveil de l’enfant et de la participation des parents et des partenaires. Il y a des reconstructions possibles du monde des valeurs qui se font de manière « collective ». Ces cristallisations vont s’opérer dans le fil de l’activité festive à travers les débats de normes. On peut supposer que la question de partager des moments ensemble et de sa détermination a un sens et une signification pour les professionnelles et que cela suscite un certain degré de participation cohérente, dans ces activités festives. Sans négociation, elles savent qu’elles peuvent partager quelque chose ensemble parce qu’elles ont des valeurs communes qui tiennent aux rituels de la petite enfance, à leur rapport à leur institution. En faisant des détours par l’observation de l’activité, les expériences étudiées tendent à montrer que la situation à gérer les activités festives est une globalité, qui nécessite un déplacement de l’équipe vers des collectifs à géométrie variable. Durant ces moments, les acteurs découvrent la réalité de l’autonomie et une réciprocité dans les relations.

     Dans ces espaces apparaît le temps du mouvement caractérisé par un comportement d’acteurs engagés, impliqués et solidaires. Ces acteurs engagés dans la construction de collectifs à géométrie variable ne se définissent pas selon leur grade, leur niveau hiérarchique (directrice) ou leur type de compétence (parent, partenaire), mais par leur engagement (cité 14 fois lors des entretiens), leur implication.

    Il n’y a pas de hiérarchie ce jour-là ; tout le monde est sur le même pied d’égalité (entretien infirmière responsable).

    Une responsable de structure précise qu’elle arrive « à communiquer différemment avec son équipe dans ces moments-là, en mettant dans les propos des choses qu’elle aurait plus de mal à faire passer en temps normal ». Les schémas de relations entretenues entre pairs et hiérarchie se transforment. On assiste à une symétrisation des relations, c’est à dire que la directrice de crèche tout en ayant des responsabilités hiérarchiques va adopter de nouvelles modalités communicationnelles. Elles permettront d’établir des relations de côte à côte. Cette nouvelle posture va faciliter le rétablissement à l’intérieur « d’une espèce » d’égalité et de projet commun entre tous autour d’un objectif commun. La directrice va faire droit et place à toutes les micros créativités, aux valeurs des autres dans le travail. En même temps que s’instituent des procédures ou des processus, cette égalité va passer par des canaux imprévisibles langagiers.

    Des capacités créatives

     De nouvelles manières de faire se créent. Les interviewées ne considèrent pas qu’elles réalisent des évènements exceptionnels, mais qu’elles font « des choses qui sortent de l’ordinaire » ou « des petites choses nouvelles qui facilitent l’ouverture et la transversalité » (entretiens des directrices).La nouveauté ne consiste pas à créer des activités exceptionnelles mais à « produire des actions banales et quotidiennes » (Alter, 2005, p. 83).Autrement dit, les capacités d’adaptation et de changement sont reconnues. Des jugements d’utilité et de beauté sont envoyés à la fois par les parents, les pairs, la hiérarchie voire même l’institution. Les directrices se trouvent dans des situations d’anticiper, de donner du sens, de communiquer et de coopérer. Les compétences liées à la prise de recul ont pris tout leur sens. L’innovation, processus créateur est un processus collectif qui ne se décrète pas mais qui repose sur la croyance des acteurs. Les valeurs sont partagées. Il existe quelque chose de l’ordre des valeurs communes plus ou moins formalisées. L’innovation consiste pour les acteurs à travailler différemment avec les autres dans ces moments-là, à fédérer les équipes autour de nouvelles idées, à apprendre à partager, à se servir des compétences de tout le monde et à faire participer l’ensemble des acteurs .Le sens est retravaillé autour du bien-être de l’enfant et de sa famille. Ces circonstances permettent de « ressentir » les autres et de pratiquer ce « mélange des êtres et des choses » qui produit le sens, à savoir le sentiment d’exister. Elles fonctionnent dans un désordre créatif. Les directrices recherchent le sens de leur activité, ce qui fait sens pour elles, ne peut se réduire à la compréhension de la signification de la politique petite enfance de la ville ou d’une procédure. La dimension subjective du sens se trouve questionnée par ce mouvement (Alter, 2009 ; Uhalde, 2005). Ces nouvelles manières de faire consistent à proposer d’ouvrir de nouveaux chantiers c’est-à-dire à sortir de la structure de la crèche pour développer un partenariat interne et/ou externe avec les personnels de la médiathèque, du musée, du cinéma et à « restaurer des égalités sur des champs de compétences qui ne sont pas formalisés » (Schwartz et Durrive, 2003, p. 216). La construction de nouvelles manières de faire est le résultat du comportement des acteurs qui confient par exemple, l’animation d’ateliers lors des évènements festifs à des personnels dont cette activité ne relève pas de leur fiche de poste ou qui sont extérieurs au service et qui favorisent la rencontre entre des assistantes maternelles de différents statuts. Les enfants participent librement aux ateliers. La finalité de ces collectifs de travail est de réaliser une production commune. « Le tapis de lecture est vraiment une œuvre collective de pleins de gens d’horizons différents. C’est aussi une reconnaissance de toutes ces personnes qui ont œuvré un peu de façon solitaire chez elles ou en groupe » (responsable relais assistantes maternelles). Encadrantes et agents se rassemblent et forment un groupe solidaire dans le but de réaliser cette production. La finalité de ces collectifs de travail est la réalisation d’une production commune et l’importance affichée par les encadrantes (13 expressions) est de participer à une œuvre commune. Il s’agit par exemple de réaliser ensemble (directrice, assistantes maternelles, centre social) un mini char pour le carnaval ; de créer un tapis de lecture ; de réaliser un cd-rom ; de confectionner des nappes décorées par les enfants. La production d’un œuvre commune est le symbole d’un engagement collectif intégrant un sentiment de fierté.

    L’évènement au cœur de la souffrance créatrice

    • 4 Les six encadrantes rencontrées ont employé ce terme à l’occasion de leurs relations avec les paren (...)

     Malgré tout, ces évènements sont au cœur de tensions. Ils sont perçus comme pouvant être générateurs de stress, de chaos et d’angoisse. Ces événements inquiètent, dans la mesure où on ne peut en effet organiser que ce qui est prévisible. « On ne peut jamais programmer la totalité des séquences du traitement de l’incertitude, de l’aléa, et de la désillusion » (Alter, 2005, p. 132). Ces encadrantes sont conscientes que ces évènements tout en apportant des possibilités de créer des nouvelles façons de faire, créent du stress au niveau des équipes. Elles déclarent que travailler avec des partenaires externes demeure quelque chose de difficile à faire. « Amener les parents à rire et à les faire danser » ; et « quand on est ensemble avec les enfants, ça va à peu près ; quand on commence à introduire d’autres personnes, soit les parents, soit des collègues, des gens de l’administration ou autre, c’est bien plus compliqué ». Ces expériences ont permis au « destin de la souffrance créatrice de se transformer en plaisir et en expérience structurante » (Molinier, 2008, p. 60). L’innovation est désormais une « destruction créatrice » (Alter, 2005, p. 1). « C’est un moment que recherche l’équipe et c’est un moment qu’elle appréhende chaque fois, en même temps » (encadrante éducatrice de jeunes enfants). Ces évènements s’inscrivent dans une nécessité de « montrer »4 aux parents « une organisation de vie conforme à leurs attentes pour qu’ils puissent laisser leur enfant sans arrière-pensées de mauvais traitement » (Ulmann, 2012).

    Des signes de reconnaissance

     Ces évènements reposent sur un désir de reconnaissance sociale des acteurs. L’intervention d’autres acteurs dans l’organisation fait évoluer la conception des rapports sociaux inscrits dans les organigrammes. De ces participations, les acteurs attendent des signes de reconnaissance à la fois des parents et de la hiérarchie. L’utilisation de l’expression « montrer à » par les professionnelles signifie que la reconnaissance des parents est recherchée. L’extrait de plusieurs citations illustre ces propos. « Montrer à voir aux parents » signifie qu’il est important de montrer ce qui se fait dans la crèche car « les parents ne savent pas ce qui se fait pendant huit heures par jour pour leurs enfants au sein de la structure » ; « il est important de montrer ce qui se joue au quotidien avec les familles, les enfants et les professionnels » (entretiens des directrices). Lors des évènements festifs, les professionnelles aiment expliquer ce qu’elles font aux parents.

    Les parents sont avec les enfants et chantent. On a un rétroprojecteur, il y a les paroles pour les parents. (…) Il n’y a pas ce stress de donner quelque chose de fini, d’accompli, de parfait. Il y a à voir aux parents, c’est un moment de partage (entretien directrice puéricultrice).

    Au moment où les textes officiels encouragent la coéducation en favorisant l’implication ou la participation parentale, l’enjeu de ces évènements est de rendre visible « le délicat partage de la fonction éducative avec les parents » (Ulmann, 2012). Ces nouvelles relations interpersonnelles de travail procurent aux encadrantes et aux professionnels de terrain une image positive, du plaisir et de la satisfaction à poursuivre ces relations. Parallèlement, elles reçoivent des signes de reconnaissance de la part des pairs et de la hiérarchie. Habituellement, la hiérarchie délivre un jugement d’utilité qui porte en l’occurrence sur l’utilité sociale des contributions collectives des sujets à l’élaboration de l’organisation du travail. Mais ce qui est exceptionnel dans le cadre des activités festives, c’est que la hiérarchie délivre un jugement de beauté qui est rarement mis en valeur. Nous pouvons faire l’hypothèse que la symétrisation des relations qui s’est effectuée au sein de ces collectifs, a été un élément déclencheur qui a permis à l’encadrement opérationnel d’envoyer des signes de reconnaissance qui se traduisent par l’utilisation de ces expressions « c’est magnifique ; c’est un beau boulot » qui confirment la conformité du travail aux règles du métier. À l’issue de l’évènement, des photos sont envoyées par mail en disant à tout le monde « Merci pour cette œuvre ». La reconnaissance institutionnelle peut également exister, lorsque les élus sont présents sur les évènements et que des courriers de remerciement sont également envoyés aux participants. Les canaux de la communication institutionnelle de la ville sont utilisés (article dans le journal de la ville, message au niveau de la radio locale, reportage à la télévision locale) et l’image de marque du service et de la ville en sont valorisées.

     Dans ces collectifs de travail, chacun a pu parler librement de son travail et de celui des autres sans être critiqué et dévalorisé. Chacun se sent mieux respecté et voit en lui-même davantage autrui comme son semblable. Une communauté de valeurs existe de façon spontanée par rapport à la mise en place de ces activités. La reconnaissance des pairs est ce partage de valeurs autour de l’intérêt de l’enfant. Les encadrantes s’expriment de la façon suivante : « Il y a du plaisir, il y a de l’intérêt, il y a un intérêt éducatif, il y a un objectif de partage, de convivialité qui fait que c’est fédérateur de travailler ensemble et de s’ouvrir » ; « ça permet de créer quelque chose de commun puisqu’il a fallu rassembler toutes ces choses pour faire un travail commun en fonction des compétences des gens ». Dans ces collectifs se jouent l’affirmation que tout être humain est « l’égal de l’autre ». Les valeurs sont questionnées.

    Conclusion : de l’équipe vers des collectifs à géométrie variable, un déplacement épistémologique intéressant

     L’étude montre que les exigences portées par les contraintes gestionnaires offrent l’occasion à ces professionnelles de la petite enfance de participer autrement à la marche des établissements en s’articulant davantage avec les parents et avec d’autres professionnels. Le déplacement de l’équipe vers des collectifs à géométrie variable a été vu comme un processus nécessaire pour proposer de nouvelles actions, pour enrichir le métier et recevoir des signes de reconnaissance. La mise en visibilité de la créativité de l’agir collectif à travers les activités festives permet à ces professionnelles de trouver des moyens pour revendiquer leur spécificité, leurs contraintes, limites et apports spécifique sans pouvoir s’appuyer sur leur précédente légitimité assise sur une technicité peu contestable. Il a été montré que la fête est un vecteur permettant de transformer les satisfactions immédiates et consuméristes en pensées créatives et qu’elle façonne les langages des projets décloisonnés. La reconnaissance de ces collectifs à géométrie variable a illustré la nécessité de prendre conscience des temporalités spécifiques entre les dimensions individuelles et la dimension collective. Un collectif de professionnels de la petite enfance — composé d’une pluralité de professionnels qui travaillent ensemble et parfois en même temps — tend lui aussi à être à l’origine de ses normes, autrement dit à les recréer collectivement, in situ, dans l’agir, ici et maintenant. Plusieurs aspects peuvent les identifier : la variabilité du nombre de professionnels, la variabilité du type de professionnels de la petite enfance, la variabilité des moments de fonctionnement de ce collectif, la production d’une œuvre commune, l’instauration de nouveaux modes relationnels. Ces collectifs s’inscrivent dans une histoire complexe de relations nécessaires pour assurer la prise en charge globale de la situation et pour répondre à la complexité de l’environnement. Ils surgissent en partie de l’organisation structurée du travail. La lecture du collectif par la dimension de l’activité opère un déplacement épistémologique de l’équipe vers des collectifs à géométrie variable. L’analyse des situations a permis d’observer qu’il était nécessaire pour comprendre l’agir collectif, de mettre en visibilité et en mots cette expérience qui déplie des habiletés, des synergies efficaces et inapparentes, des lacunes ou inadéquations des normes antécédentes, des souffrances. Ce qui fait sens pour les professionnelles, c’est la mise en visibilité du travail réel, notamment la visibilité de la démarche de coéducation significative par le « montrer à voir aux parents ». Aussi, la véritable capacité à travailler en équipe, c’est de reconnaître et de respecter la diversité des savoirs.

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    Bibliographie

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    Ben Soussan P., Le livre noir de l’accueil de la petite enfance, Toulouse, Érès, 2010.

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    Dejours C., Travail : usure mentale, Paris, Bayard, 2000 (nouvelle édition).

    Dejours C., « La reconnaissance au travail », dans Sciences Humaines, octobre 2002.

    Gautier-Chovelon C., (2009). « L’enfant dans la cité : penser un curriculum en Provence-Alpes-Côte d’Azur », dans Rayna S., Bouve C. et Moisset P. (sous la direction de), Pour un accueil de qualité de la petite enfance : quel curriculum ? Toulouse, Érès, 2009, p. 187-200.

    Gautier-Chovelon C., Une compréhension de l’agir collectif dans les structures municipales de la petite enfance : analyse du discours des encadrantes et des manageurs, Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille 1, 2011. [en ligne : http://www.theses.fr/2011AIX10106]

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    Gonzales R., « L’analyse réflexive de l’activité des cadres de direction dans une relation de service “centrée sur autrui” — un cas de formation-action ergonomique dans le secteur des crèches municipales en France », dans Pistes, vol. 6, novembre 2004.

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    Uhalde M., « Crise de modernisation et dynamique des identités de métier dans les organisations », dans Revue de l’IRES, n° 45 (1), 2005.

    Ulmann A., « Le travail émotionnel des professionnelles de la petite enfance », dans Politiques sociales et familiales, n° 109-Septembre, 2012.

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    Notes

    1 Tout travail, parce qu’il est le lieu d’un problème, appelle un usage de soi. Cela veut dire qu’il y a non pas simple exécution mais usage, convocation de quelqu’un de singulier avec des capacités bien plus larges que celles répertoriées par la tâche (Schwartz et Durrive, 2009, p. 260).

    2 Alors que la norme est du côté du prescrit, la re-normalisation se situe du côté de l’activité. Yves Schwartz affirme que « renormaliser, c’est créer de la norme » (Schwartz et Durrive, 20009, p. 18).

    3 Dahlberg G., Moss P. et Pence A. Au-delà de la qualité dans l’accueil et l’éducation de la petite enfance. Les langages de l’évaluation, Èrès, 2012.

    4 Les six encadrantes rencontrées ont employé ce terme à l’occasion de leurs relations avec les parents et avec les représentants institutionnels.

     

     


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    La place des parents aujourd’hui

    par Florence Thomas

    Florence Thomas, psychologue, formatrice au ceppra.

     

     

    Il semble avant tout que du chemin a été parcouru avant et depuis le décret, qu’on est passé d’une injonction externe, « il faut associer les parents, faire une place aux parents », à une volonté interne.

     

    Dans la plupart des établissements associatifs avec lesquels nous sommes en contact, alors que l’idée de s’associer aux parents était vécue comme une pratique « supplémentaire », se rajoutant à la fonction d’accueil des enfants, elle est désormais envisagée comme une dimension à part entière du travail en structure petite enfance, dont l’intérêt n’a plus à être démontré.

     

    Les professionnels y trouvent du sens, par rapport à la globalité de prise en compte de l’enfant et de sa famille, et la coéducation devient de plus en plus une valeur fondatrice du projet. Néanmoins, la mise en œuvre dans la pratique professionnelle est nettement plus délicate, la façon dont il faut s’y prendre est beaucoup moins du domaine des évidences et le niveau organisationnel fait souvent défaut.

     

    Au quotidien, la rencontre avec les parents, tous différents, peut entraîner l’ébranlement des équipes qui vont éventuellement requestionner le sens, remettre en cause et l’organisation et l’intérêt de cet aspect du travail. La construction de la coéducation fait face à un certain nombre d’obstacles.

     

    La place des parents, la coéducation instituées comme des valeurs en soi

     

    Quand on demande aux équipes si la question de la place des parents est importante pour eux, cela leur semble une question incongrue, tant la réponse (positive) est évidente ; il est intéressant de constater que cette évidence est le signe du chemin parcouru.

     

    Il y a donc eu une évolution de la représentation de leur métier par les professionnels eux-mêmes, intégrant cette nouvelle facette aux différentes dimensions déjà connues et répertoriées de la profession.

     

    La place symbolique

     

    Un aspect de cette évolution est le fait que les parents sont symboliquement présents dans le discours des professionnels. Nombreux sont ceux qui ne se posent plus en détenteurs de l’unique perception de l’enfant et acceptent la perception différente du parent.

     

    On peut citer l’exemple d’une discussion au sein d’une équipe d’un équipement de centre social. Les professionnels parlent d’un enfant dont la maman dit « c’est un terrible » ; pour les professionnelles, c’est un enfant qui s’affirme conformément à son âge, elles disent même : « On rêverait que tous les enfants soient “terribles” comme lui. » Mais tout de suite, elles disent comprendre ce que ressent la maman, car son premier enfant étant excessivement calme, le deuxième est perçu plus turbulent en comparaison. Elles émettent aussi l’idée que l’enfant est certainement différent chez lui. À aucun moment la perception de la mère n’est dévalorisée dans le discours de l’équipe, non plus qu’on ne sent l’équipe dans la position d’affirmer sa vision comme étant la seule valable. Ses deux perceptions cohabitent, s’enrichissent mutuellement pour une meilleure connaissance de l’enfant. On sent une compréhension propice à l’élaboration de relations positives et à la collaboration éducative.

     

    Ceci montre que le parent et la légitimité de sa façon de concevoir son enfant, et donc de l’éduquer, ont leur place dans la tête de ces professionnels et donc un ancrage symbolique.

     

    Cette place symbolique peut permettre de dépasser les obstacles à une place physique des parents : ainsi, dans un établissement où l’espace d’accueil est très restreint, les parents ont exprimé qu’ils se sentaient très à l’aise par la façon dont s’y déroulait l’accueil et qu’ils craignaient qu’un espace plus grand ne rende l’accueil moins chaleureux.

     

    Le niveau organisationnel et la mise en œuvre de la place des parents

     

    Le sens et l’intérêt de la coéducation ont amené les professionnels à une mise en œuvre, une institutionnalisation concrète. Nombreuses sont les suggestions, les propositions et les sollicitations qui se sont développées, et sans prétendre faire une liste exhaustive, on peut citer : les journées portes-ouvertes, la pause-café proposée à l’accueil aux parents, les sorties avec les enfants et les parents, des ateliers ouverts aux enfants et leurs parents, etc.

     

    De nombreuses équipes sont en recherche pour développer constamment des occasions de prendre place pour les parents, sans préjuger de la réussite ou non de ce qui est proposé.

     

    Certaines sont parfois agréablement surprises, comme cette structure dont la proposition à chaque père de venir faire le cadeau de la fête des mères avec son enfant a rencontré un réel succès. Mais il arrive souvent aussi que les équipes se trouvent déçues que leurs sollicitations ne rencontrent pas de succès (les classiques réunions). Il est alors important que les professionnels continuent de rechercher, avec les parents, des formes qui correspondent mieux.

     

    Au niveau éducatif, il y a de nombreux lieux où les parents sont associés, à un moment ou un autre, à la réflexion concernant l’élaboration du projet éducatif et pédagogique.

     

    Ce travail procure un enrichissement réciproque même s’il y a quelquefois des difficultés d’accordages à dépasser entre les parents et les professionnels. Les parents ont un projet implicite, ils savent ce qu’ils veulent pour leur enfant de façon concrète, même s’ils ne l’explicitent pas avec les mêmes termes. Les équipes sont plus familières de l’explicitation des mises en œuvre éducatives, au risque quelquefois d’user d’un jargon faisant obstacle à une bonne communication.

     

    Si ces échanges donnent aux parents la possibilité de découvrir d’autres valeurs que celles de la famille, ils donnent aussi l’occasion d’entrevoir d’autres façons de mettre en œuvre les valeurs sur lesquelles parents et professionnels sont en accord, et lors du projet on s’aperçoit qu’elles sont nombreuses.

     

    Certains parents, tout en ne voulant pas s’immiscer dans le fonctionnement professionnel, disent qu’ils se sentent à l’aise, à leur place dans la structure, témoignent d’une reconnaissance des compétences des professionnelles ; ceux qui souhaitent s’investir font partie du conseil d’administration et/ou du bureau en équipement à gestion associative, ou au conseil de crèche lorsque cela existe.

     

    Le manque de demandes des parents peut aussi témoigner d’une grande confiance et d’une mise en application de la coéducation. Cette confiance, il est important que les professionnels sachent en recueillir le témoignage.

     

    Les nombreuses initiatives témoignent de l’avancée de la place des parents. Ce qui est à noter, au-delà de la participation ponctuelle des parents à ces actions, c’est tout ce qui est induit en termes d’amélioration de la connaissance réciproque, elle-même socle nécessaire à la coéducation. Professionnels et parents témoignent volontiers qu’après avoir passé du temps ensemble, à boire un café ou partager une sortie, les relations entre eux s’en trouvent changées : elles sont plus faciles, plus « fluides », plus approfondies, voire plus authentiques.

     

    Ces actions sont donc réellement intéressantes par les effets qu’elles vont induire et qui s’inscrivent dans la durée, nécessaire à toute construction de relation.

     

    Le quotidien ou les écueils

     

    Si la place des parents progresse de façon certaine, et avec elle la pratique concrète de coéducation, il reste néanmoins des difficultés quant à celle-ci : il est primordial d’en pointer les écueils qui subsistent pour qu’ils puissent continuer à être travaillés.

     

    Le premier semble être la difficile rivalité éducative. Devant l’ouverture et l’écoute des professionnels, poussés par la sollicitation de ceux-ci à transmettre leurs attentes, de nombreux parents expriment franchement des demandes éducatives spécifiques.

     

    Les professionnels sont en général attentifs à les prendre en compte et peuvent le faire dans beaucoup de situations, ce qui crée une intéressante collaboration éducative. Néanmoins, quand ces demandes individuelles sont difficilement compatibles avec la vie en collectivité, ou en marge du projet éducatif de l’équipe, il arrive que les professionnels ne sachent pas comment gérer ces cas de figures. Cette situation peut les mettre dans un véritable conflit interne, conflit alors reporté sur le parent, ce qui induit des relations plus difficiles, car à ce moment c’est le parent qui est vécu comme exerçant une domination sur une professionnelle ou une équipe. C’est encore plus difficile quand les demandes des parents se transforment en exigences.

     

    Marie-Laure Bonabesse note que le public des classes moyennes, se sentant à égalité avec les professionnels, a commencé à exprimer des exigences éducatives ; à l’heure actuelle, on peut constater que ces exigences peuvent venir de tous les milieux.

     

    Le réflexe premier des professionnels face à ses exigences est d’en vouloir au parent de formuler ce type de demandes, comme si celui-ci devait partager leur souci de la collectivité. Cela met certaines équipes en difficulté et les amène à se replier et à remettre en cause la place des parents ou à la durcir, dans un sens de rivalité. Un accompagnement pour y faire face de façon positive leur serait bénéfique.

     

    Pour qu’il y ait coéducation, il est important qu’il n’y ait pas de position dominante des professionnels, mais pas non plus, à l’inverse, de position dominante des parents, dans le sens d’une imposition de leurs pratiques. Cela aboutirait à nier les différences entre pratique professionnelle et pratique parentale qui ne peuvent se confondre, ou c’est forcément au détriment de l’une d’elles.

     

    Dans ces différences de pratiques intervient le critère de rationalité ou d’irrationalité décrit par Nathalie Loutre du Pasquier [1] S. Bosse-Platière et coll., Accueillir la petite enfance :.... Les parents peuvent être dans une éducation apparemment irrationnelle et néanmoins constructive pour l’enfant. Les professionnels sont tenus à une pratique professionnelle rationnelle, et doivent dépasser l’irrationnalité et l’instinctif de leurs comportements ; cela les amène à rejeter l’irrationalité éducative de certains parents et à juger ou stigmatiser leur mode éducatif.

     

    D’où l’importance d’aider les professionnels à ne pas se sentir menacés par cette irrationalité, à la reconnaître comme une spécificité qui a son sens dans la relation parent-enfant, différente de la relation professionnel-enfant.

     

    Reynald Brizais dit que « la relation doit toujours être dans un rapport qui permet de différencier les places ; habituellement, on entend la relation comme située sur un principe d’équivalence, ou l’autre serait un autre soi-même. Si la relation est dominée par la non-différence, elle induit la place impossible de chacun dans sa différence et l’un des deux est de trop : la parité n’est pas l’équivalence [2] R. Brizais, « La famille, une représentation en construction »,... ».

     

    Il est ainsi toujours utile de travailler avec les équipes sur la signification de la coéducation : s’associer pour éduquer, et non pas éduquer exactement pareil.

     

    Enfin, une troisième difficulté dans la coéducation, au-delà de la reconnaissance du savoir de chacun, parent et professionnel, est que le professionnel représente souvent pour le parent le détenteur du savoir sur l’enfant ; d’où la demande de conseil du parent au professionnel « supposé savoir », fréquente et compréhensible de la part du parent qui se pose des questions d’éducation et cherche des réponses.

     

    Mais cette demande de conseil est d’une grande ambiguïté car le parent qui sollicite le savoir du professionnel se trouve dévalorisé si celui-ci répond sur ce registre. La transmission du savoir du professionnel est centrale, par le type de relation qu’elle induit. Les équipes sont donc confrontées à cette difficulté : comment doivent-elles gérer cette transmission ? S’il n’y a pas de réponse donnée, le parent peut penser que le professionnel garde son savoir pour lui et ne veut pas le transmettre. Si ce dernier répond qu’il ne sait pas, il risque d’insécuriser le parent qui lui confie son enfant. Et s’il répond en donnant « la solution », il prend le risque de dévaloriser la compétence parentale.

     

    Il y a donc une position à trouver, où le professionnel donne des éléments de réponse tout en sollicitant le savoir du parent, ce qui rétablit la réciprocité de relation et rééquilibre la relation dans un rapport égalitaire. Cette position professionnelle subtile est toujours à travailler dans l’élaboration de la coéducation.

     

    Les pistes

     

    Comme le dit M.-L. Bonnabesse [3]M.-C. Blanc et M.-L. Bonnabesse, op. cit. (p. 88) : « La collaboration parents-professionnels est un équilibre difficile à trouver, les problématiques actuelles déconcertent souvent les professionnels, ce qui peut créer un déséquilibre dans leur rencontre avec chaque parent ; quand cela n’est pas pensé, réfléchi, analysé, ces transformations rendent parfois difficiles les interactions au quotidien. »

     

    Si les professionnels ont besoin de lieux où la coéducation soit pensée, réfléchie, analysée, on peut se demander quels sont les moyens mis en œuvre pour le permettre, et quels sont les accompagnements mis à disposition pour les professionnels.

     

    Les réunions d’équipe sont dans les équipements un lieu privilégié de travail sur ce sujet, quand elles sont investies par les professionnels comme un réel espace de réflexion et d’analyse, et conduites dans ce sens par le responsable, qui a un rôle déterminant dans l’animation de ces temps. Les formations sur le thème de la place des parents et de la coéducation, à l’intention de l’ensemble de l’équipe, se développent et sont un levier qui permet d’enclencher ou de relancer la dynamique d’une équipe. Avec l’analyse de la pratique, où les ressentis de l’équipe sont abordés et les difficultés travaillées, l’équipe peut d’autant mieux continuer à cheminer sur ce sujet.

     

    Mais ces trois possibilités, opportunes dans leur complémentarité, ne sont pas offertes à toutes les équipes, que ce soit en partie ou en totalité.

     

    Ces divers accompagnements d’équipe permettent de travailler sur les représentations des parents, car « ce qui transforme les rapports parents-professionnels, c’est la prise de conscience par les professionnels de leurs représentations et la mise à distance de celles-ci par un travail collectif » (ibid., p. 149).

     

    En effet, pour beaucoup d’équipes sensibles à la place des parents au sein de leur structure, l’intérêt de ce travail est associé à une image positive, voire idéalisée, des relations parents-professionnels, exemptes de heurts et de conflits. Or, ceux-ci sont incontournables et sains, inhérents à toute relation, et apparaîtront forcément un jour ou l’autre. Pour certaines équipes, cette confrontation à l’épreuve de la réalité entraîne une déception, voire une souffrance ou une autodévalorisation.

     

    Les équipes qui parviennent à une coéducation sont motivées, volontaires, mais aussi sorties de l’idéalisation et donc conscientes du cheminement à parcourir et jamais acquis, de la nécessité de la confrontation, des relations tendues à gérer, de l’insécurité provoquée, des frustrations à supporter, de la nécessaire inscription dans le temps des effets des actions.

     

    Les équipes qui acceptent cet état de fait sont en capacité de développer des compétences différentes et une posture nouvelle. Elles savent s’adapter de façon souple et performante aux situations difficiles qu’elles rencontrent, et sont surtout capables de transformer la difficulté, l’obstacle, en occasion de croissance, voire de dépassement de l’équipe. Alors le parent, qui potentiellement dérange ou met en échec, devient celui qui permet de s’améliorer professionnellement, qui est même nécessaire au constant développement, qui donne sens au travail et motive.

     

    Pour cela, les équipes ont besoin d’être sécurisées, que soient reconnues leurs avancées, afin qu’elles puissent, confortées, continuer à aller de l’avant. Une reconnaissance neutre et objective des avancées des équipes, avec pertinence, précision, bienveillance mais sans complaisance, leur est nécessaire, mais pas toujours offerte.

     

    Compétences de communication à développer

     

    Au quotidien, l’outil de travail relationnel permettant de construire avec les parents est la communication, et les professionnels qui ont travaillé leurs savoir-faire en communication sont souvent plus à l’aise pour développer une posture de coéducation.

     

    La communication n’est qu’un outil mais on sait à quel point les maladresses, les malentendus, les non-dits et plus encore les jugements, sont des freins dans l’élaboration d’une relation de confiance.

     

    Tous les moyens développés dans la communication non violente (M.D. Rosenberg, Les mots sont des fenêtres ou des murs, 1999), par exemple, sont des aides précieuses pour dépasser les jugements de valeur instinctifs et être plus attentifs à communiquer de façon précise (par l’observation), authentique (en exprimant comment on vit les choses) et en faisant des demandes claires et respectueuses de l’autre.

     

    Pour développer des relations égalitaires, on sait l’importance d’une communication assertive, dans la capacité à développer conjointement l’expression sereine de ses positions dans le respect de celle de l’autre.

     

    Enfin, il est intéressant de développer les capacités d’écoute, afin d’entendre les demandes sans se sentir attaqué, de pouvoir différer la réponse et y réfléchir. C’est grâce à l’écoute également qu’on peut saisir ce que le parent, au-delà de la demande, dit de son projet éducatif. Cet échange avec le parent en temps qu’interlocuteur à part entière, mais sur un savoir différent et complémentaire, est vecteur de coéducation.

     

    Prenons l’exemple de cette équipe d’un multi-accueil confrontée à la demande d’un parent qui souhaite qu’on réveille son enfant au bout d’une heure pour qu’il dorme mieux le soir. Dépassant les premières réactions individuelles d’incompréhension, d’énervement ou de colère (selon les différentes personnes), cette équipe, sans répondre à la demande précise, a élaboré progressivement une véritable relation d’échanges puis de complicité autour de leur préoccupation concernant le sommeil de cet enfant. C’est à partir d’une situation conflictuelle que s’est développée une relation de reconnaissance réciproque des positions de chacun, et un véritable plaisir de partager sur ce thème si important de l’éducation.

     

    Besoins des parents

     

    Les nombreux témoignages de parents et retours des professionnels, en effet, semblent s’accorder sur le besoin qu’ont les parents d’échanger sur l’éducation, celle qu’ils donnent à leurs enfants mais aussi celle qu’ils ont eue, qu’ils voudraient donner, qu’ils observent chez les autres parents, qu’on leur conseille, et tous les liens ou écarts entre ces niveaux, les similitudes et les différences. Il suffit de côtoyer les parents pour se rendre compte que, contrairement à ce que laissent entendre certains discours, ils sont très conscients à la fois de l’importance de cette fonction et de la difficulté de leur mission ; mission d’autant plus difficile que, comme le dit Saül Karsz : « On délègue aux familles la tâche, imposante et irréalisable, de porter remède à ce que la société en place n’offre plus [4][4] S. Karsz, Actes du colloque « Être parent aujourd’hui »,.... »

     

    Pour se conforter dans ce climat d’incertitude, d’envie de bien faire et de doute sur le fait d’y arriver, les parents trouvent un appui s’ils se sentent accueillis et reconnus collectivement.

     

    À part dans les structures parentales, cette place collective est peu développée de façon générale, car il lui faut un objet pour se mettre en place. Néanmoins, à partir d’un équipement petite enfance se développent quelquefois des expériences qui permettent cet espace où les parents peuvent penser et réfléchir ensemble l’éducation des enfants.

     

    Beaucoup de groupes de paroles vont dans ce sens, et peuvent déboucher sur une pérennité du groupe de parents, diversifiant ses actions. L’expérience des Universités Populaires de Parents, initiée par l’acepp (www. acepp. asso. fr), va encore plus loin, en permettant à des groupes de parents de construire une véritable démarche de recherche sur un aspect de l’éducation qu’ils définissent.

     

    Ces lieux renforcent la place du parent dans son rôle éducatif, parce qu’ils lui permettent à la fois de prendre du recul et de s’interroger sur l’éducation en confrontation avec d’autres façons de faire ; en outre, ils favorisent son rôle actif puisqu’il s’exprime sur sa vision de l’éducation d’aujourd’hui et de demain.

     

    Conclusion

     



    On peut dire que la place des parents dans les équipements petite enfance a bougé, de manière symbolique et concrète. Il y a une montée en compétence au sein de nombreuses équipes concernant leur inscription dans une pratique de coéducation avec les parents, même sil y a encore du chemin à faire pour garantir l’équité des places, quelle que soit la diversité du public accueilli.

     

    Comme il est dit dans l’ouvrage de M.-C. Blanc et M.-L. Bonnabesse (op. cit.), c’est en étant reconnu et en s’exerçant que la compétence va s’ancrer et se renforcer : il est donc important de valoriser le savoir-faire professionnel qui s’est notoirement développé ces dernières années, et de donner les moyens qui permettent de continuer ce développement. Que les professionnels et les parents soient en alliance, qu’ils construisent ensemble malgré le niveau parfois élevé de désaccords et de frustrations, transmet à l’enfant un modèle des relations d’adultes qui lui donnera l’envie d’être adulte à son tour.

     

    Notes

     

    [1] S. Bosse-Platière et coll., Accueillir la petite enfance : quelle professionnalisation ? Toulouse, érès, cnfpt, 1995.

     

    [2] R. Brizais, « La famille, une représentation en construction », dans M. Vaillant, La vie de famille, Paris, Éditions La Martinière, 2004.

     

    [3] M.-C. Blanc et M.-L. Bonnabesse, op. cit.

     

    [4] S. Karsz, Actes du colloque « Être parent aujourd’hui », ceppra, 2003, p. 34.

     



     


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    article issu de : https://www.cairn.info/revue-spirale-2008-4-page-115.htm#no13

    par Marie-Claude Blanc
    Marie-Claude Blanc, chargée de mission et formatrice au sein du ceppra (Collectifs enfants, parents, professionnels Rhône-Associatifs).
    et Marie-Laure Bonnabesse
    Marie-Laure Bonnabesse, coordinatrice du réseau ceppi (Collectif enfants, parents, professionnels interdépartemental Dauphiné-Savoies) et formatrice à l’Institut de formation en travail social d’Echirolles.

     

    Pour comprendre la place des parents aujourd’hui dans les structures d’accueil de jeunes enfants, un détour rapide par l’histoire paraît utile. Il nous permet de mieux saisir les tribulations des parents dans leurs rapports avec les lieux d’accueil, et de donner sens aux différentes formes de relations entre les parents et les professionnels petite enfance.

     

    La notion de place

     

    La place des parents peut s’entendre de diverses manières. Nous avons coutume de dire que cette place commence « dans la tête des professionnels »... En effet, la vision, la conception et la représentation que les professionnels ont des parents ont une incidence sur la nature des relations développées avec ceux-ci, dès l’accueil et au quotidien. Place des parents et place des professionnels sont liées et destinées – dans l’idéal – à construire une complémentarité et une continuité dans l’éducation des enfants, dans une perspective de coéducation.

     

    De nombreux termes sont utilisés pour évoquer la place des parents : relations avec les parents, travail avec les familles, coopération, collaboration, partenariat parents-professionnels… L’expérience nous montre que la place des parents dépend beaucoup – entre autres – du positionnement des professionnels, de leurs compétences et des moyens qui leur sont donnés pour travailler cette question. Cette place a varié avec l’évolution des lieux d’accueil, elle-même liée à l’évolution de la société. Considérer les parents comme partenaires, associés ou encore acteurs de l’accueil des jeunes enfants est très récent, et encore peu mis en œuvre, hormis dans le cadre des crèches parentales.

     

    Le Littré nous dit qu’une place, c’est « l’espace qu’occupe ou que peut occuper une personne ». Par « espace », nous entendons ici aussi bien l’espace symbolique que réel : quel espace occupe le parent « dans la tête des professionnels », dans le projet ? Quel espace occupe-t-il dans les locaux, dans les échanges, dans le quotidien ? La notion de place est aussi liée au statut social (place occupée dans la société), et enfin, aux fonctions remplies par les personnes. Ces observations nous invitent alors à réfléchir aux nombreuses places que peuvent occuper les parents, tant du point de vue individuel que collectif. Les parents sont de multiples individus, tous différents, que les professionnels doivent accueillir. Tous porteurs d’un projet éducatif (souvent inconsciemment) pour leurs enfants, les parents sont autant de personnes avec lesquelles les professionnels doivent composer, inventer, adapter (et s’adapter), expérimenter, créer, construire, échanger, dialoguer, et surtout… oser !

     

    À leur origine, les premières crèches ont l’objectif de lutter contre la pauvreté en moralisant les parents et en les éduquant. L’arrivée de la puériculture dans les crèches marque le début du mouvement hygiéniste (aux alentours de 1860) : les parents sont exclus car pouvant contaminer ce milieu protégé. Dans les années 1960, à la suite des travaux de Spitz, les psychologues et psychanalystes révèlent l’importance du lien mère-enfant. Ils introduisent involontairement une culpabilisation des parents, et un rapport de domination (ils possèdent les connaissances sur le développement de l’enfant). Cette période est donc marquée par des places différentes attribuées aux parents : parents moralisés, exclus, culpabilisés.

     

     

    Des crèches sauvages aux crèches parentales : parents acteurs

     

    Les parents engagés dans le mouvement des « crèches sauvages » organisent des rencontres pour échanger leurs expériences, s’entraider et rechercher l’appui de partenaires sociaux et financiers. En 1980, ils créent l’Association des collectifs enfants parents (acep) pour fédérer tous les projets et constituer un réseau national. En 1981, une note de service [1] Note de service n° dgsh/3241/S – das/81-32. officialise pour la première fois ces « crèches sauvages » et les reconnaît comme des formes innovantes de modes de garde [2] Leur légalisation a eu pour effet une extension rapide.... Cette note définit les grandes lignes de fonctionnement et impose la présence d’un professionnel qualifié, responsable de l’accueil des enfants, nommé « responsable technique ». Parents et professionnels sont donc partenaires pour assurer en collaboration l’accueil des enfants. L’acep développe une réflexion et des pratiques liées à cette collaboration, et ajoutera (en 1990) un deuxième P (acepp : Association des collectifs enfants parents professionnels) « pour prendre acte et rendre compte de l’importance prise par les professionnels dans la pérennisation des structures parentales. Le partenariat parent-professionnel avec l’affirmation d’une responsabilité partagée prend alors tout son sens et toute sa dimension » (Favre, 1998, p. 1).

     

    Les crèches parentales ont connu des transformations importantes pour s’adapter aux différents contextes (rural comme urbain) et s’ouvrir à tous les publics (projets interculturels, mixité sociale). La diversité des projets, des fonctionnements, des pratiques et des modes de participation des parents rend compte aujourd’hui de ces transformations. Cependant, au-delà de cette diversification, une pratique demeure : le partenariat parents-professionnels au cœur du projet. Les crèches parentales ont, par ailleurs, un impact important en termes de solidarité et de lien social. Aujourd’hui, l’acepp regroupe environ huit cent lieux et services d’accueil de jeunes enfants, répartis sur tout le territoire français [3] Une trentaine d’associations départementales ou régionales.... L’acepp contribue à la politique petite enfance, elle développe et diffuse (en lien avec des partenaires européens) une réflexion et une méthodologie d’accompagnement autour des relations interculturelles, de l’accueil et du respect de la diversité, et du développement local.

     

    L’expérience et l’évolution des crèches parentales ont généré de nombreuses interrogations sur les relations entre parents et professionnels : l’entrée des parents dans les structures petite enfance, en leur conférant une place, a modifié la place occupée jusqu’alors dans les lieux d’accueil « traditionnels » par les professionnels.

     

    Le monde de la petite enfance « bousculé »

     

    Suite aux différents aspects évoqués (évolution des recherches sur le développement de l’enfant, crèches sauvages, demandes des parents diversifiées…), les crèches vont progressivement se transformer, et les pratiques professionnelles s’éloigner des pratiques hygiénistes et médicales (prise en compte de l’enfant comme un être en devenir, réflexion autour des attitudes éducatives et pédagogiques…).

     

    Dans les années 1980, les échanges entre parents et professionnels se développent progressivement autour de l’enfant accueilli, on commence à parler de projet pédagogique, évoquant l’adaptation, les transmissions entre parents et professionnels. Cependant, la culpabilisation des mères qui confient leurs enfants pour travailler ou pratiquer des activités diverses reste très prégnante dans les relations parents-professionnels : les professionnels estiment que les parents laissent leurs enfants de trop longues journées en crèche, ou qu’ils ne devraient pas les confier pendant leurs congés…

     

    En juin 1983 [4] Circulaire n° 83-22 du 30 juin 1983., une circulaire « relative à la participation des parents à la vie quotidienne des crèches » atteste de ces évolutions et indique que « la participation accrue des parents à la vie quotidienne des établissements d’accueil des jeunes enfants, notamment les crèches, a pour objectif d’améliorer la qualité de l’accueil des enfants ». Cette circulaire recommande la mise en place d’un « conseil de crèche » avec la présence de parents élus. À notre connaissance, cette recommandation a été peu suivie d’effet et il faudra attendre les années 2000 pour une réelle réflexion relative aux « conseils d’établissement ».

     

    Malgré une forte évolution dans la prise en compte du secteur petite enfance, l’accueil des enfants est caractérisé par une pénurie de places, régulièrement mise en avant par les acteurs concernés (élus locaux, professionnels petite enfance et parents), et il est souvent difficile pour les parents de concilier vie familiale et vie professionnelle. Toutefois, le développement des crèches s’est accéléré grâce à des mesures prises par les pouvoirs publics pour faire face à cette pénurie [5] « Contrats crèches » (création de 21 000 places supplémentaires....

     

    La place des parents progressivement institutionnalisée

     

    Depuis les années 1990, face aux évolutions de la société, les orientations politiques et les mesures prises en direction de la petite enfance ont renforcé une approche globale de l’accueil des jeunes enfants, en positionnant ce secteur dans le champ social et en instituant la place des parents dans les établissements. Ce mouvement, récent en France, s’inscrit plus largement dans une politique sociale européenne, en mettant l’accent sur les relations entre les parents et les professionnels. C’est ainsi que le secteur petite enfance connaît actuellement des transformations importantes en termes de mission et de fonctionnement, en lien avec le décret du 1er août 2000 [6] Modifié par le décret du 20 février 2007.. Ces transformations résultent de la prise en compte par les politiques des évolutions de la société relatives à la question de la famille et des besoins en matière d’accueil de jeunes enfants.

     

    Parents responsabilisés…

     

    Les orientations et les mesures prises en faveur de la petite enfance s’inscrivent plus largement dans les politiques sociales familiales. Les grandes orientations nationales concernant la petite enfance sont abordées dans le cadre des « Conférences de la famille ». La délégation interministérielle à la famille (créée en 1998) est chargée d’établir un état des lieux des questions relatives à la famille. Le rapport de Dominique Gillot paru en 1998 fonde les orientations des conférences suivantes. Faisant le constat des nombreuses difficultés (socio-économiques, éducatives, relationnelles) auxquelles sont confrontés les parents, un dispositif national, le reaap « Réseau d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents [7] Une charte a été élaborée avec l’ensemble des partenaires... », est mis en place en 1999. Ce dispositif national encourage des actions de proximité destinées à accompagner les parents dans leurs responsabilités éducatives, constituant une évolution sur la place des parents dans la société. Ces actions viennent croiser la réflexion sur le lien entre parents et professionnels dans d’autres secteurs (école, enfance handicapée, loisirs, etc.).

     

    Nous assistons en même temps à un courant d’idées faisant porter aux parents la responsabilité des maux de notre société, les accusant de « démissionner ». Si les politiques familiales ont progressivement intégré l’accueil des jeunes enfants, parallèlement « l’espace familial se transforme en espace d’incompétence ou tout au moins, en lieu de faiblesses réelles ou potentielles auxquelles il appartient à l’État de remédier » (Commaille, 1998, p. 29). Les initiatives prises en direction des parents, si elles apportent des aspects positifs relatifs à « l’accompagnement des parents », viennent renforcer notre interrogation sur la place faite aux parents, sur le positionnement des professionnels et sur le lien sphère privée/sphère publique. Jusqu’où l’État peut-il interférer dans le rôle éducatif des parents ? Faut-il accompagner les parents pour les renforcer dans leurs propres compétences ou pour les conformer à un « modèle » de « bons » parents ? Comment s’assurer que les actions engagées ne soient pas stigmatisantes vis-à-vis des familles dites « en difficulté » ?

     

    Pour renforcer ces orientations, le gouvernement prend des mesures concrètes en faveur de la petite enfance (Conférence de la famille, 2000), soutenues par une évolution de la réglementation des lieux d’accueil.

     

    Le décret d’août 2000 : la place des parents dans tous les établissements

     

    Ce décret [8]Décret modifié le 20 février 2007. relatif aux établissements et services d’accueil reprend en partie les orientations du réseau européen des modes de garde, notamment la nécessité d’être attentif aux familles les plus en difficulté et de favoriser pour les parents l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie familiale [9]Document de 1996, « 40 cibles pour les services d’accueil... : art. R. 180-1. : « Ils (les établissements et les services d’accueil) apportent leur aide aux parents afin que ceux-ci puissent concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale. » Il institue les principes « d’une ouverture à toutes les familles et à tous les enfants, y compris les enfants handicapés […] et une meilleure adaptation des structures aux besoins des familles ». La cnaf indique aussi que « l’obligation d’élaborer un projet social, la participation des parents à la vie et au fonctionnement de la structure, doivent permettre d’adapter le projet et le fonctionnement de la structure au plus près des attentes des familles » (cnaf, 2000, p. 9).

     

    Ainsi, après une très longue période marquée par une substitution aux parents, leur place a progressivement été réhabilitée dans les politiques publiques. Ce décret d’août 2000 en est l’illustration. Il inscrit définitivement les lieux d’accueil dans le champ social, en indiquant clairement leur fonction d’accueil des enfants et des familles, et en leur demandant de fournir un projet d’établissement, comprenant, entre autres, un « projet éducatif et social ».

     

    Le décret définit une mission commune à l’ensemble des établissements et services d’accueil de jeunes enfants [10] Toutes les formes de mode d’accueil sont rassemblées..., et introduit la notion de multi-accueil, combinant plusieurs formes d’accueil dans le but de mieux s’adapter aux besoins des parents. Ce décret était attendu depuis plus de dix ans par tous les lieux d’accueil qui souffraient d’une réglementation inadaptée face à l’évolution de leurs missions relatives au travail avec les familles et avec l’environnement [11] De nombreux lieux d’accueil ont opéré ces changements....

     

    Le décret intègre la place des parents comme un des points de fondement du projet. En effet, une des principales innovations du texte est « de valoriser la place des parents et de favoriser leur participation à la vie de l’établissement. Cette ouverture est un des éléments obligatoires du projet d’établissement à l’élaboration duquel les parents seront associés, ainsi que leur participation au conseil d’établissement » (Conférence de la famille, 2000). La place des parents dans les établissements et services d’accueil de jeunes enfants constitue une avancée essentielle, elle est indiquée de façon explicite : art. R. 180-10. : « Les établissements et services d’accueil élaborent un projet d’établissement ou de service qui comprend les éléments suivants : […] La définition de la place des familles et de leur participation à la vie de l’établissement ou du service. »

     

    Cette place des parents ne fait l’objet d’aucune autre modalité précise [12] Quelques éléments concrets sont indiqués dans le guide.... Nous considérons que c’est à chaque établissement de travailler cette question en lien avec sa spécificité. Dans ce domaine, les crèches parentales bénéficient d’une expérience considérable puisque leurs fondements reposent sur la place des parents, tant dans l’élaboration du projet que dans la mise en œuvre de l’accueil quotidien des enfants. Cet aspect est au cœur des transformations liées au décret et pose de nombreuses questions, précisément sur cette notion de « place » et sur la nature des relations entre parents et professionnels.

     

    Le décret d’août 2000, la Prestation de service unique et la création des commissions départementales permettent une meilleure adaptation des modes d’accueil de jeunes enfants aux conditions de vie et aux attentes des parents. Le mot « crèche » disparaît pour laisser la place à « établissement et services d’accueil des enfants de moins de 6 ans ». Il semble qu’au-delà des mots, une distance soit prise par rapport à l’origine de ces structures. L’obligation d’un projet éducatif et social, intégrant la place des parents et la situation de l’équipement dans son environnement, aura une grande incidence pour les gestionnaires et les professionnels. En effet, la place des parents doit être, de fait, « légalement » prise en compte dès la conception d’un projet petite enfance. En outre, le lien nécessaire avec le contexte devrait entraîner une adéquation plus grande entre les demandes des parents et les établissements et services d’accueil de jeunes enfants. La notion de projet social et éducatif fait référence à une dynamique et non à un modèle rigide, ce qui laisse des possibles pour une innovation concertée entre différents acteurs dont les parents font partie.

     

    Ce décret a généré de nombreuses interrogations et transformations dans les équipements petite enfance. Durant ces dernières années, les gestionnaires et les professionnels se sont centrés sur un travail autour du projet et sur la mise en œuvre du décret.

     

    Les établissements d’accueil de jeunes enfants tendent de plus en plus vers une mixité sociale des familles. Longtemps réservés aux seuls parents qui travaillent, ils permettent désormais à un parent de reprendre une activité sociale ou professionnelle, ou de répondre à des situations personnelles ou familiales plus larges.

     

    L’accompagnement à la parentalité devient une mission à part entière des établissements multi-accueil, et la participation des familles est recherchée sous différentes formes, favorisée au sein des conseils d’établissements, espaces de concertation et d’information regroupant gestionnaires, professionnels et parents élus.

     

    Parents moralisés, éduqués, culpabilisés, contrôlés, responsabilisés…, l’enjeu aujourd’hui est de créer les conditions pour que les parents soient de véritables partenaires, et gagnent une place qui leur confère une position d’égal à égal avec les professionnels. C’est en effet dans un rapport de parité [13] Notion développée dans l’ouvrage cité en introduct... que peut se construire une coéducation, respectant le rôle et la place de chacun. Les formations et les fonctions professionnelles ont elles-mêmes beaucoup évolué depuis les premières crèches. Le travail avec les parents devenant une mission inhérente aux établissements d’accueil de jeunes enfants, les professionnels petite enfance, se trouvant au cœur de cet enjeu, voient se transformer leurs relations avec les parents.

     

    Le positionnement des professionnels dans leur relation aux parents

     

    Qui accueille les jeunes enfants et leurs parents ?

     

    Les personnes intervenant dans les premières crèches n’étaient pas des « professionnels ». Deux catégories de personnel concourent à la mise en œuvre quotidienne : « les berceuses », femmes issues du peuple et vivant dans des situations aussi précaires que les mères des enfants accueillis ; et des « dames » de bonne famille qui assuraient par deux la direction et qui se dévouaient pour « sauver » des enfants [14] Information issue de plusieurs documents historiques.... Ces dames patronnesses avaient l’espoir d’éduquer les mères de familles pauvres afin de diminuer la mortalité infantile et d’éviter certains abandons. Firmin Marbeau (1798-1875), créateur des premières crèches, est issu du catholicisme social, mouvement qui confirme les fondements religieux, mais s’éloigne d’une charité individuelle pour se situer « dans une perspective plus vaste d’action collective » (Bouve, 2001, p. 36). Les pères ne sont en principe jamais accueillis dans ces lieux réservés aux femmes. Les médecins, dans le cadre de leur engagement bénévole dans la « société des crèches », sont pratiquement les seuls hommes à y pénétrer.

     

    Un rapport de supériorité

     

    Si les mères sont largement invitées à entrer dans les premières crèches, un rapport de classe existait entre elles et les dames patronnesses qui géraient ces crèches. « La pauvre mère y trouve de bons exemples et de bons conseils pour l’éducation physique et morale de ses enfants, et pour son ménage ; elle y trouve quelquefois des secours lorsqu’elle est accablée sous le fardeau que la nature lui a imposé. Elle se repose, elle se réchauffe, elle se ravive, quand elle vient allaiter son enfant » (Société des crèches, 1850, p. 2). Ce rapport n’existait pas entre les berceuses et les mères. Mais les berceuses étaient sous les ordres des dames patronnesses et elles devaient veiller à garder une certaine distance avec les mères. Elles devaient cependant, comme les mères qui amenaient leur enfant à garder, être de « bonne moralité » et prouver fréquemment cette bonne moralité par un certificat du maire ou du prêtre de la paroisse.

     

    La création d’un corps ou des corps professionnels qualifiés

     

    Progressivement au cours du xxe siècle, la création d’un corps professionnel qualifié pour ce public voit le jour. Les dames patronnesses vont progressivement se transformer en infirmières visiteuses, puis en assistantes sociales et en puéricultrices (le diplôme de puéricultrice est officialisé en 1946).

     

    Des formations pour les jardinières d’enfants se développent dès 1908. Ces professionnelles interviennent essentiellement dans les jardins d’enfants ou dans les salles d’asile (qui deviendront les écoles maternelles). On ne les voit pratiquement pas dans les crèches. Elles deviendront plus tard des éducatrices (ou éducateurs !) de jeunes enfants (1973), diplôme qui sera réformé en 1993 puis en 2006 pour s’inscrire très nettement dans le champ du travail social.

     

    C’est essentiellement Mai 68 qui va provoquer une transformation dans les équipes petite enfance, et « les berceuses » (qui sont, selon les établissements, appelées de différentes façons) deviennent officiellement des auxiliaires de puériculture en 1971. La création des structures parentales va amener aussi d’autres professionnels dans les structures petite enfance (instituteurs, éducateurs spécialisés, animateurs, psychomotriciens, etc.).

     

    Quelques années plus tard, dans les années 1980, un autre diplôme verra le jour, d’abord dans les écoles maternelles puis dans les crèches, le cap petite enfance.

     

    Un rapport de domination renforcé

     

    La fermeture des structures aux parents dès les années 1860 va entraîner une nette coupure entre les deux mondes, celui des parents et celui des professionnels. La professionnalisation va progressivement amener une dimension d’expertise des professionnels et renforcer le sentiment d’incompétence des familles. Cette expertise est d’abord médicale puis elle va progressivement se déplacer vers l’expertise psychologique sur le développement de l’enfant, puis éducative. Elle reste cependant construite sur le même schéma. Cette expertise engendre très fréquemment tout au long de l’histoire un rapport de domination, au départ essentiellement avec les directrices puis progressivement avec l’ensemble des professionnels. La domination – « le fait d’exercer une influence déterminante [15]Le Robert, 1995. » – fait fréquemment référence aux inégalités sociales. Un rapport de domination implique un rapport inégalitaire entre individus. L’inégalité est une différence que les individus et groupes sociaux jugent selon leurs échelles de valeurs. Ces inégalités sont en constante évolution. Les liens parents-professionnels dans les établissements d’accueil de jeunes enfants prennent place dans ce contexte de transformation des rapports sociaux.

     

    Cette domination se traduit à travers plusieurs aspects. Par le passé, les professionnels étaient les « maîtres des lieux » puisque les parents n’avaient pas le droit d’entrer et étaient tenus à l’écart de ce qui se passait à l’intérieur de la structure. Cet aspect se retrouve encore aujourd’hui dans une partie des structures, et au nom de différentes normes ou respect des enfants, beaucoup de professionnels maintiennent des barrières symboliques pour rester maîtres de l’espace.

     

    Les directrices étaient également les « héritières du pouvoir » et avaient souvent toute liberté pour accepter ou non un enfant. Les critères n’étaient pas toujours très explicites. Cette pratique reste encore en vigueur aujourd’hui dans certains lieux, mais tend à disparaître avec la mise en place du projet d’établissement, en particulier du projet social. L’accueil et le choix des admissions répondent à des critères posés dans le cadre de la politique petite enfance, pensée par des élus et des gestionnaires en lien avec les évolutions législatives.

     

    L’ensemble des professionnels ont pu à différentes périodes exercer ce pouvoir de domination en êtres considérés comme les « détenteurs du savoir ». Très rapidement dans l’histoire des crèches, le pouvoir médical s’impose et fait évoluer les pratiques, mais souvent en disqualifiant le savoir des parents. Le même cheminement est suivi pour le savoir psychologique et pédagogique. Ainsi, l’accueil du jeune enfant ne s’est pas construit sur une complémentarité entre parents et professionnels.

     

    Les premiers établissements ont vu le jour dans un cadre d’assistance réservée aux pauvres. L’assistance implique fréquemment une notion de contrôle et développe un rapport social de domination tutélaire. Celle-ci imprègne encore le corps ou les corps des professionnels petite enfance, et l’on retrouve cette notion de domination tutélaire dans beaucoup d’actions organisées autour de ce qui est fréquemment appelé « le soutien à la parentalité ».

     

    Une transformation des pratiques éducatives

     

    À partir des années 1970, plusieurs facteurs (modification progressive de la société, évolution des pratiques éducatives, développement des crèches sauvages) viennent modifier l’intérieur des établissements et transformer leurs relations avec l’extérieur.

     

    Les idées et mouvements enclenchés en Mai 68 ont donc progressivement donné lieu à des transformations dans les pratiques éducatives, les relations entre les professionnels, et dans les rapports des lieux d’accueil avec leur environnement. Après Mai 68, les crèches s’ouvrent peu à peu, mais ce ne sont pas les parents que l’on fait entrer mais d’autres « spécialistes » : des psychologues et, à la fin des années 1980, des intervenants culturels. Une rupture est également introduite dans les rapports hiérarchiques à l’intérieur des établissements. Dans une majorité de crèches, la notion d’équipe n’existait pas ou peu et la directrice avait un pouvoir important. Petit à petit, réunions d’équipes, temps de supervision, rencontres entre directrices favorisent l’expression des adultes. L’éveil et la socialisation deviennent des mots clés qui fondent des pratiques éducatives privilégiant l’autonomie, la vie de groupe, les jeux, les jouets et les activités. La formation du personnel, y compris les agents de services, va permettre une prise de conscience de la place de l’enfant dans la collectivité. Le personnel est de plus en plus qualifié. Les équipes se diversifient même si le personnel reste exclusivement féminin. Au sein des équipes, une collaboration se met en place. L’entrée de personnes extérieures dans les crèches fait moins peser sur le personnel le poids de l’extrême médicalisation et de l’hygiène, et apporte aussi un souffle nouveau, une ouverture sur l’extérieur, la possibilité de parler, de partager des idées.

     

    Un glissement des missions des professionnels se fait, qui, si elles restent pour l’essentiel centrées sur le travail avec l’enfant, doivent tenir compte des autres éléments précités. « Le mouvement de professionnalisation à partir de 1980 prend un virage qui met en évidence l’importance des liens à créer entre contextes : structure d’accueil et famille ; la compétence de profession se complète d’une compétence de fonction dans un contexte [16] M. Mony, directrice de l’École d’éducateur de jeunes.... »

     

    Entre les années 1960 et 1980, le public des crèches change progressivement, la classe ouvrière et les familles en grande précarité laissent peu à peu leur place aux familles de classe moyenne.

     

    Les rapports de domination font peu à peu la place à des rapports de rivalités. Les parents ont de plus en plus de connaissances et remettent en cause certains positionnements professionnels. La diversité des sources de savoirs, que ce soit sur un plan médical ou psychologique, devient parfois source de conflit.

     

    De nouveaux rapports initiés par les crèches parentales

     

    Parallèlement, les structures parentales impliquent de fait un repositionnement des professionnels et essayent d’instaurer des rapports de parité entre professionnels et parents.

     

    La parité fait généralement référence à la notion d’égalité, c’est-à-dire de même valeur, identique, équivalent. L’égalité, c’est également le fait d’être sur le même rang, d’avoir les mêmes charges et les mêmes droits [17]Référence à J-J. Rousseau et à la Déclaration de l’homme.... La parité se joue sur plusieurs niveaux : la place que chacun peut prendre ou doit prendre, l’occupation et l’appropriation de l’espace, les fonctions, les droits et les responsabilités. Les professionnels et les parents ont dès le départ une « porte d’entrée » différente. Le parent a une porte d’entrée individuelle et le professionnel est, lui, garant du cadre collectif. La porte d’entrée du parent, c’est son enfant ; il vient parce qu’il a besoin d’un service d’accueil. Le professionnel a, lui, une fonction qui lui est attribuée par l’institution pour remplir la mission d’accueil elle-même fixée à l’institution par l’État. Les « objets » de départ ne sont donc pas de même nature, pourtant ils sont a priori de « même qualité ». La parité étant aussi une « comparaison employée pour prouver une chose par une autre semblable », c’est cette reconnaissance mutuelle des parents par les professionnels et des professionnels par les parents qui donne cette notion de parité. Il est toutefois nécessaire que les parents reconnaissent la qualification des professionnels et que les professionnels reconnaissent la légitimité des parents dans l’établissement. Un établissement d’accueil de jeunes enfants à gestion parentale ne peut exister que s’il y a effectivement deux parties distinctes mais égales, une partie occupée et gérée par les professionnels et une partie occupée et gérée par les parents. Mais alors, comment cette reconnaissance mutuelle peut-elle se construire dans les structures municipales, du fait d’un grand décalage entre les différentes places ? Il est important de prendre en compte cette donnée quand une équipe met en place un travail avec les parents.

     

    Quelle place pour les professionnels aujourd’hui ?

     

    La législation (décret du 1er août 2000 et du 20 février 2007) apporte des changements en termes de « qualifications professionnelles des personnels des structures d’accueil des enfants de moins de 6 ans » (cnaf, 2000, p. 9) : d’une part, elle élargit le champ des personnels qualifiés pour travailler en multi-accueil ; d’autre part, elle promeut le concours d’une équipe pluridisciplinaire. Même si l’aspect médical reste très prégnant, en particulier pour les gros établissements (un médecin peut être directeur), il y a une « promotion » de la place de l’éducatif. En effet, les éducateurs de jeunes enfants peuvent désormais prétendre à la direction des établissements, celle-ci étant réservée jusqu’à présent aux puéricultrices.

     

    Un rééquilibre progressif des publics se produit, avec la mise en place de la psu et le décret du 23 décembre 2006, la mixité des publics devient une réalité dans bon nombre de structures.

     

    L’obligation de faire place aux parents vient modifier les missions des lieux d’accueil et entraîne des changements de fonctions et de pratiques pour les professionnels. Le travail avec les parents est une nouvelle compétence à construire pour une majorité de professionnels petite enfance. Cet aspect est largement pris en compte dans la réforme du diplôme d’éducateur de jeunes enfants. Cependant, pour des équipes en place depuis longtemps cette place à faire aux parents est souvent vécue comme une intrusion dans un savoir-faire professionnel et une baisse de qualité de l’accueil des jeunes enfants. Pourtant, beaucoup d’équipes, quand elles sont accompagnées dans cette réflexion et lorsqu’elles arrivent à inscrire le travail avec les parents dans leur projet d’établissement, perçoivent toute la richesse de cette collaboration avec les parents et tout l’intérêt que peuvent en retirer les jeunes enfants.

     

    Pour l’ensemble des professionnels, il y a aujourd’hui nécessité de sortir des rapports de domination et de rivalité dans lesquels l’histoire les a un peu enfermés malgré eux, pour aller vers la création d’alliance fondant une réelle coéducation des jeunes enfants.

     

    Notes

     

    Cet article est écrit à partir d’un ouvrage de M.-C. Blanc et M.-L. Bonnabesse, publié en mai 2008 : Parents et professionnels dans les structures d’accueil de jeunes enfants. Enjeux, intérêts et limites des interactions, Éditions ash professionnels.

     

    [1] Note de service n° dgsh/3241/S – das/81-32.

     

    [2] Leur légalisation a eu pour effet une extension rapide (leur nombre double presque chaque année entre 1981 et 1984) qui se poursuivra jusque dans les années 1990.

     

    [3] Une trentaine d’associations départementales ou régionales assurent l’animation de ce réseau qui concerne « 30 000 familles, 40 000 enfants, 20 000 places d’accueil et 6 400 salariés » (www. acepp. asso. fr).

     

    [4] Circulaire n° 83-22 du 30 juin 1983.

     

    [5] « Contrats crèches » (création de 21 000 places supplémentaires entre 1983 et 1989) et les « contrats enfance » (création de 100 000 places tous lieux d’accueil confondus, entre 1988 et 1995).

     

    [6] Modifié par le décret du 20 février 2007.

     

    [7] Une charte a été élaborée avec l’ensemble des partenaires politiques, institutionnels et associatifs concernés (en référence à la circulaire du 9 mars 1999, modifiée par la circulaire du 20 mars 2001, et complétée par celle d’avril 2002).

     

    [8] Décret modifié le 20 février 2007.

     

    [9] Document de 1996, « 40 cibles pour les services d’accueil pour jeunes enfants » (Recommandation du Conseil de l’Europe pour le développement des services d’accueil pour jeunes enfants). Rappelons que ces orientations ont uniquement un rôle incitatif et sont dépourvues de pouvoir législatif et financier.

     

    [10] Toutes les formes de mode d’accueil sont rassemblées dans le décret. Les crèches parentales, régies pendant vingt ans par une note de service provisoire, font donc partie intégrante de ce texte avec cependant des points de références spécifiques.

     

    [11] De nombreux lieux d’accueil ont opéré ces changements depuis longtemps : ceux situés dans les centres sociaux et d’autres à gestion associative ou parentale s’inscrivent dès leur ouverture dans une mission sociale.

     

    [12] Quelques éléments concrets sont indiqués dans le guide pratique relatif à l’accueil de la petite enfance, édité par le ministère de la Santé et des Solidarités en 2007. Voir : Fiche 10, p. 79, « Comment prendre en compte la place des parents dans le règlement de fonctionnement ? ».

     

    [13] Notion développée dans l’ouvrage cité en introduction.

     

    [14] Information issue de plusieurs documents historiques (1845-1846-1850). F. Marbeau, Escodeca, Bulletin des crèches, 1846.

     

    [15] Le Robert, 1995.

     

    [16] M. Mony, directrice de l’École d’éducateur de jeunes enfants, essse. Intervention intitulée « Petite enfance et cultures en mouvement », Évolution des professions dans le secteur de l’accueil des jeunes enfants, colloque organisé par le ccas de la ville de Grenoble le 18 mai 2000.

     

    [17] Référence à J-J. Rousseau et à la Déclaration de l’homme et du citoyen en 1789, « Les hommes naissent libres et égaux ».

     

    Plan de l'article

     

    1. La notion de place

    2. Des crèches sauvages aux crèches parentales : parents acteurs

    3. Le monde de la petite enfance « bousculé »

    4. La place des parents progressivement institutionnalisée

      1. Parents responsabilisés…

      2. Le décret d’août 2000 : la place des parents dans tous les établissements

    5. Le positionnement des professionnels dans leur relation aux parents

      1. Qui accueille les jeunes enfants et leurs parents ?

      2. Un rapport de supériorité

      3. La création d’un corps ou des corps professionnels qualifiés

      4. Un rapport de domination renforcé

      5. Une transformation des pratiques éducatives

      6. De nouveaux rapports initiés par les crèches parentales

      7. Quelle place pour les professionnels aujourd’hui ?

     

     

     


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  • DOCUMENTATION DE FORMATION verticalité - petite enfance . Geneviève Ponton psychomotricienne - formatrice consultante
    gponton@wanadoo.fr - ATELIERS DU CAMI SALIE 21 rue des palombes 64000 PAU - 05 59 27 15 71


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  • article écrit par : Monique RIBOULET - Psychologue

     

    A PROPOS DE LA PROPRETE 

    • Etre propre n’est pas un apprentissage mais une acquisition. 
    • C’est une période importante du développement de l’enfant. 
    • C’est un processus naturel qui ne s’apprend pas ; qu’il ait été ou non sollicité par l’adulte, l’enfant est capable spontanément de contrôler ses sphincters le moment venu, entre 2 et 3 ans. 
    • C’est une acquisition qui est avant tout le fait de l’enfant et de son désir à devenir grand. 
    • Elle met en jeu différents mécanismes physiologiques et psychologiques.

     

    1- Maturation physiologique

    Le développement neurophysiologique est parvenu à maturité avec la terminaison complète du système nerveux central, de la moelle épinière et des filets nerveux qui vont au périnée et au méat urinaire.

    L’enfant est « candidat » à la propreté quand il possède également la maîtrise de ses muscles volontaires qui lui permet de « monter et descendre seul un escalier et une échelle, poser des objets fragiles, transporter des vases à demi pleins puis pleins, lancer le ballon avec le pied dans une direction donnée, jeter un objet avec précision, ouvrir et fermer une boîte, boutonner et déboutonner, apprendre à découper, éplucher les légumes, visser et dévisser « écrit Françoise Dolto ( Les étapes majeures de l’enfance.).

    Peu à peu, l’enfant réalise ce qui se passe dans son corps, le fait savoir par des mots ou des gestes, peut se retenir et anticiper pour enlever sa couche et aller aux toilettes.

    2- Maturation affective

    Entre 2 et 3 ans, l’enfant intègre la différence des sexes (garçon-fille) et entre dans une période d’opposition ; il souhaite se conformer aux désirs de l’adulte et, en même temps, il a besoin de s’opposer pour affirmer son identité, son moi et l’étape de la propreté est propice à des conflits entre le désir de l’adulte et celui de l’enfant.

    Les selles et les urines représentent pour l’enfant une partie de son corps ; en devenant propre, il accepte de s’en séparer et une relation affective positive avec l’entourage est nécessaire.

    Son désir d’être propre lui appartient en tant que sujet actif de son corps ; son corps est à lui et il n’a pas à s’en servir pour « faire plaisir », ce n’est pas un objet de commerce affectif, ni de chantage.

    Tous les enfants ne sont pas prêts au même âge à renoncer aux plaisirs d’être changés de couche, pommadés, câlinés….ils peuvent penser qu’ils n’auront plus ces soins de maternage s’ils sont propres. L’enfant peut ressentir une angoisse de perte de son intégrité corporelle : « ce qui sort de moi est-il un morceau de moi ? » et des peurs au bruit de la chasse d’eau et à la disparition de ses matières fécales.

     

    3- Rôle de l’adulte

    Ne pas enlever les couches « pour essayer », « pour voir », mais lui permettre de garder la couche aussi longtemps qu’il le désire, c’est une enveloppe rassurante qui le prévient de tout accident et qui ne l’empêche pas de devenir propre.

    Quand un enfant mouille sa culotte, il y a des témoins à son échec, l’adulte intervient pour changer sa tenue et sa confiance en lui est ébranlée.

    Quand un enfant mouille sa couche, il n’y a pas de témoin, c’est son affaire, personne ne l’a vu et, cela, ça change tout.

    Dans les 2 cas, l’enfant n’est pas propre, mais le port de la couche le préserve du sentiment de « n’avoir pas pu se retenir » aux yeux des autres. La vessie se remplit à peu près toutes les 2 heures, il est donc inutile de mettre sans arrêt l’enfant sur le pot, il se soulagera très peu à chaque fois et n’aura jamais la sensation de la vessie pleine qui lui signifie le besoin de miction.

    Laisser le temps à l’enfant……l’acquisition de la propreté peut être comparée à celle de la marche : l’enfant marche quand il a l’équilibre, le maintien et la force musculaire suffisants pour le faire. L’adulte n’apprend pas à l’enfant à marcher, l’enfant marche quand toutes les conditions du développement psychomoteur sont arrivées à maturité.

    C’est pareil pour la propreté, l’enfant en est capable quand toutes les conditions du développement neuromusculaire sont réunies.

    Accompagner l’enfant en le rassurant : « tu es arrivé trop tard sur le pot, ce n’est pas grave, bientôt tu pourras sentir plus vite l’envie de faire pipi et tu viendras à temps sur le pot ».

    Observer certains signes pertinents : quand l’enfant verbalise ce qui se passe dans son corps (« pipi, caca »), quand la couche est sèche entre deux changes depuis assez longtemps.

    Utiliser un langage approprié : « je vais changer ta couche » au lieu de « je vais te changer ».

    Eviter les paroles blessantes : « ça pue ! tu as encore fait caca ! ».

    Ne pas se fâcher, l’adulte est là pour aider l’enfant à grandir, c’est une démarche éducative qui demande patience et respect.

    Ne pas hésiter à re-proposer la couche si l’enfant a des difficultés à rester propre après une période de propreté ; c’est juste une petite régression qu’il faut permettre à l’enfant pour qu’il accède de nouveau au désir de grandir.

    Plus l’adulte sera tendu et stressé par la propreté, plus l’enfant sentira la pression de la demande et le poids de sa responsabilité qui pourrait bien se convertir en culpabilité de ne pas pouvoir satisfaire le désir de ses parents, ce qui serait bien dommage !

     

    « POUR ALLER A L’ECOLE, IL FAUT QU’IL SOIT PROPRE ! »

    L’entrée à l’école ne justifie pas une démarche trop précoce de l’acquisition de la pro-preté.

    L’inquiétude des parents est légitime, mais d’une part, il n’est pas pertinent de relier Ecole et Propreté, ce qui voudrait dire que le lieu du savoir n’est accessible à l’enfant que si il est propre, et d’autre part, l’enfant devient propre très vite pendant les vacances avant la rentrée des classes. De plus, un apprentissage imposé à tort trop tôt est néfaste à un bon investissement scolaire.

     

    COMMENT AIDER L’ENFANT ?

    Lui mettre des vêtements confortables et faciles à retirer pour faciliter son autonomie : pas de salopette, pas de bretelles, pas de ceinture, pas de body mais des slips et des maillots de corps avec le dessin de leurs personnages préférés par exemple !

    Le pot reste dans les toilettes ou la salle de bains, et ne se promène pas dans toutes les pièces de la maison.

    Ne pas encourager l’enfant à rester sur le pot en lui proposant livres et jouets, il a envie ou pas envie, ce n’est pas un moment-jeu, ni une activité, c’est juste un moment nécessaire à la satisfaction des besoins. Verbaliser autour de l’acquisition de la propreté à l’aide de livres tels que :

    • « Le petit pot d’Alfred » V.Miller.Nathan • « Je veux mon petit pot » T.Ross.Seuil Jeunesse • « Cacaprout » C.Dolto-Tolich. Gallimard Jeunesse

    • « Petit ours brun et le pot ». D.Bour. Bayard Jeunesse

    • « Mon pot » D.Levy et F.Turnier. Nathan

     

    En conclusion, tout forcing ou éducation trop précoce à la propreté est souvent responsable plus tard de troubles fonctionnels (énurésie, encoprésie, diarrhée, colite, constipation) et de troubles de comportement (obsession, manie, angoisse, problème de concentration).

    Il faut faire confiance à l’enfant et à ses capacités, observer ce qu’il vous montre pour savoir où il en est et pouvoir ainsi l’accompagner dans son autonomie.

    L’acquisition de la propreté est trop importante pour devenir un enjeu relationnel.

    Monique RIBOULET - Psychologue

     

    Pour les professionnels… A propos de la propreté

    C’est aux parents de commencer la propreté à la maison quand l’enfant montre des signes de maturité.

    Le dialogue avec les parents est important, il faut rester dans l’échange, entendre leurs demandes et les rassurer.

    Si vous êtes en difficulté avec les parents, justifier votre position professionnelle en partageant vos connaissances sur le sujet en vous situant toujours du côté du bien-être de l’enfant et de l’observation de son développement. L’attitude de leur enfant peut être différente chez eux et chez vous.

    Laisser à disposition pot et toilettes, accompagner l’enfant et proposer votre aide pour se déshabiller et s’asseoir.

    L’enfant est le premier intéressé et le premier acteur de cette période, il doit toujours être associé à la relation parent/professionnel. Par ex : « ta maman me dit que tu n’as plus de couche à la maison ? Veux- tu venir demain sans couche aussi ? » Ou « ton papa me dit que tu vas sur le pot maintenant à la maison après le repas et la sieste, veux tu faire pareil ici ? ». L’enfant a besoin d’une cohérence éducative entre les deux lieux et suivre la démarche parentale est un gage de stabilité pour l’enfant.

    Proposer des activités de manipulation comme l’eau, le sable, la pâte à sel, la pâte à modeler qui sont des substituts symboliques des matières corporelles et qui permettent à l’enfant de jouer à l’extérieur de son corps ce qui se joue et se vit à l’intérieur : vider, remplir, retenir, faire couler, lâcher, faire déborder…etc…

    Monique RIBOULET - Psychologue


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  • article extrait de : http://www.infirmiers.com/etudiants-en-ifsi/cours/cours-le-developpement-psychosocial-de-lenfant.html

     

    Développement : c’est l’ensemble des transformations qui affectent les organismes vivants ou les institutions sociales. Cela nous renvoit à l’ensemble des étapes qui conduisent un organisme vivant à une organisation sociale d’un état primitif à un état plus élaboré.

    Cela nous renvoit aussi aux mécanismes qui permettent le passage d’une étape à une autre.L’enfant n’est pas un adulte en miniature mais un sujet qui acquiert des connaissances, des pensées.

    I- L’embriogénèse

    L’embryogénèse est la première étape de la vie qui conduit de la fécondation au bébé humain.

    1.1 la vie de l’embryon

    • La première étape : l’étape préembrionnaire :
      L’œuf fécondé(zygote) est constitué par la fusion de deux cellules sexuelles (les gamètes) fourni par le père (spermatozoïde) et l’autre par la mère (l’ovule). Cette fusion constitue une cellule œuf qui va subir une série de divisions cellulaires ( mitose) : un e cellule C est composée de 46 chromosomes et se divise en 2 cellules C1 et C2 Composées de 46 chromosomes etc…
    • La deuxième étape : l’étape embryonnaire :
      L’œuf a beaucoup grandi, on parle alors de l’embryon. C’est le stade de neurulation, c’est-à-dire, la construction de l’axe cérébro-spinal qui est le siège du système nerveux central. Il y a accélération du développement morphologique qui conduit vers 8 semaines environs à un embryon de 3 cm. La tête est distincte du corps, les yeux, le nez et la bouche sont identifiables, les doigt et les orteils sont séparés
    • La 3 ème étape : l’étape fœtale
      On retrouve deux aspects essentiels : la poursuite de la croissance et de la différenciation du système nerveux central et l’émergence de comportement qu’établissent les premières interactions avec l’environnement (le fœtus commence à être en relation avec son environnement). Les comportements constituent le début du développement sensoriel et moteur et de l’apprentissage.

    1.2 la naissance et les réflexes du nouveau né

    La dimension de la tête est proportionnellement, beaucoup plus grande que la taille du corps.
    Le tonus musculaire du bébé : il y a  hypertonicité des muscles fléchisseurs avec l’absence d’inhibition de la contraction musculaire ( exemple : le réflexe de la marche).

    Une hypotonie, un manque de tonus, axiale qui rend impossible le maintien de la verticalité de la posture : il ne peut pas se tenir assis. Le bébé possède dès sa naissance un riche héritage fœtal qui structure son fonctionnement. On retrouve l’ensemble des réflexes archaïques, certains d’entre eux ont une fonction adaptative essentielle comme la succion et la déglutition.

    II- L’enfant de 0 à 3 ans

    2.1 le développement moteur et intellectuel

    Selon Piaget (théorie développementaliste), la croissance se poursuit de manière régulière.
    Sa conception de l’évolution peut être subdivisées en 4 niveaux ou périodes majeures, eux-mêmes répartis en sous-période, appelées stades :

    • Période sensori-motrice
    • Période pensée pré-opérationnelle
    • Période opérations concrètes
    • Période opérations formelles

    Niveau 1 : La période sensori-motrice (de la naissance à 2 ans) :

    • 1er stade (0-1 mois)
      Réflexes innés. Exemple : d’instinct il suce, pleure, tousse, urine, défèque, gigote...
    • 2e stade (1-4 mois)
      Acquisitions d’actions adaptatives résultant de son expérience. Il adapte ses actions en fonction de son environnement. On dit qu’il "accommode ses schèmes". Exemple : il suce son pouce, non plus par hasard, mais par coordination entre la main et la bouche, donc par "accommodation acquise" A ce stade, il aime à répéter inlassablement les mêmes actions (réactions circulaires primaires). Exemple : prendre et faire tomber un objet.
    • 3e stade (4-8 mois)
      Actions intentionnelles. L’enfant se perçoit distinct du monde extérieur.
      L’enfant répète un acte accompli au départ par hasard et qui lui a apporté une certaine satisfaction. Ce sont des réactions circulaires secondaires, c’est-à-dire avec prise de conscience de l’environnement extérieur. L’enfant vise à reproduire des faits qui viennent de se passer par hasard. Exemple : il touche un hochet mobile, ce qui prouve qu’il est capable de dissocier sa main du hochet et d’autres objets; ce n’est plus par hasard qu’il le touche, mais volontairement.
    • 4e stade (8-12 mois)
      Vrais actes d’intelligence. Il y a prise de conscience de la présence de personnes et d’objets : c’est le concept de permanence de l’objet.
      Dès que l’objet a quitté le champ de vision de l’enfant, il le cherche. L’enfant comprend aussi la relation de cause à effet, il sait prévoir une situation et adapter ses actes. Son comportement est dit intentionnel. C’est le début de l’intelligence pratique qui signifie fixer des objectifs et utiliser les schèmes disponibles comme moyens pour les réaliser.
    • 5e stade (12-18 mois)
      Réactions circulaires tertiaires(1). L’enfant recherche par une expérimentation en quoi l’objet ou l’événement est nouveau. Il va non seulement subir mais provoquer les résultats au lieu de se contenter de les reproduire une fois qu’ils se seront manifestés par hasard.

    Avant ce 5e stade les actes d’intelligence consistaient essentiellement en une application des schèmes existants à de nouvelles situations, c’est-à-dire l’assimilation à des schèmes déjà acquis de nouveaux événements desquels on ne retenait que les caractéristiques des objets et événements similaires aux schèmes préexistants. A présent, l’enfant accorde d’avantage d’attention à la manière dont les nouveaux objets et événements diffèrent de ses constructions mentales actuelles et il utilise le processus d’accommodation pour remodeler ses schèmes et en construire d’autres plus appropriés. En d’autres mots, l’enfant applique ses moyens connus aux situations nouvelles. Exemple : l’enfant assis sur le plancher cherche à atteindre un objet hors de portée. Dans ses tentatives pour atteindre le jouet, il tire au hasard l’extrémité du tapis sur lequel le jouet est posé, un acte qui est, soit accidentel, soit un stratagème pour atteindre son but. Quand il se rend compte que ce geste a rapproché le jouet de lui, il tire à nouveau, intentionnellement cette fois, ce tapis, s’en servant comme d’un instrument pour parvenir à ses fins.

    2.2 l’acquisition du langage

    Les enfants "comprennent" le langage verbal avant de pouvoir s’en servir eux-mêmes.
    Avant que l’enfant ne prononce ses premiers mots réels, il émet une série de cris et de sons. C’est d’ailleurs en criant que l’enfant fait son entrée dans le monde. Après le 1er mois, les cris se différencient en fonction de leurs causes. Les parents proches de leur enfant peuvent commencer à différencier les pleurs, cris : la faim, les coliques, le sommeil, l’angoisse...
    De 0 à 1 ans c’est le stade prélinguistique :
    Vers 6 semaines : l’enfant émet ce que l’on appelle des roucoulements (gargouillements, cris aigus,...) véritable expression orale de ses besoins et de ses émotions.

    Vers 3-4 mois des gazouillis, babillages se font entendre, il "parle" (émissions vocales nombreuses). Il commence à avoir des sons préférés et il lui arrive de les répéter (la-la-la...ma-ma-ma...bi-bi-bi...) On appelle ce phénomène la "lallation".
    Entre 9-10 mois, l’enfant semble imiter les sons produits par les autres même s’il ne les comprend pas. "L’écholalie" est donc une sorte de dialogue entre l’enfant et les parents.

    A partir d’un an c’est le stade linguistique : L’enfant commence à faire des mots-phrase, il prononce un mot qui pour lui est l’équivalent d’une phrase. Exemple : mia = donne-moi ça; da = fais ça à nouveau; ah = c’est beau... Au mot phrase, succède la préphrase (vers 18 mois) à savoir 2 ou plusieurs mots rangés selon l’importance affective que donne l’enfant (sorte de langage télégraphique). Exemple : Apu bonbon (il n’y a plus de bonbon); Moi pa-ti (Je veux partir)...

    A la période de la préphrase, l’enfant entre dans le premier âge questionneur où la question du type "ça c’est quoi ?" correspond à son besoin d’extension de son vocabulaire.

    L’accès au langage se poursuit à partir de 2 ans 1/2- 3 ans. Cette évolution s’observe notamment dans l’intérêt croissant que l’enfant porte à la parole de l’adulte, son goût pour les histoires qu’on lui raconte, la découverte du dialogue avec l’adulte, l’utilisation pertinente de questions "où ? quand ? comment ? pourquoi ?" exprimant son intense désir de connaître. Le pourquoi ? exprime à l’origine (vers 2 ans 1/2-3ans) une protestation à une contrainte (Exemple : mange ta soupe!-Pourquoi ?).

    A 3 ans époque du deuxième âge questionneur (1er vers 18 mois), le pourquoi signifie "à quoi cela sert-il ?". C’est donc entre deux et trois ans que l’enrichissement du vocabulaire est le plus important (en moyenne le nombre de mots passe de 100-200 à 2 ans à 1000-1200 mots à 3 ans). L’enfant entend le langage parlé par les personnes de son entourage de manière globale. Il en résulte parfois de nombreuses déformations (date pour regarde/ yateau pour rateau/ apapé pour attrapé...) Ces déformations disparaissent tout naturellement entre 4-7ans pour autant que les adultes ne se mettent pas à "parler bébé".

     2.3 le développement affectif

    A 1 mois, le bébé réagit positivement au confort et à la satisfaction de ses besoins, négativement à l’inconfort et aux frustrations. Il fixe le visage humain. Petit à petit les pleurs se différencient et s’érigent en moyen de communication pour exprimer divers types d’inconfort.

    Le nourrisson a une vie mentale et somatique très proche du pulsionnel, c’est à dire commandée presque exclusivement par les besoins archaïques. Du monde qui l’entoure et le domine n’existe que ce dont il a besoin. Tout ce qu’il croit et ressent existe, car il ne fait pas la part du réel et de l’imaginaire.

    Définition du « ça » : c’est le pôle pulsionnel de la personnalité, la partie la plus chaotique et la plus obscure. C’est entièrement le domaine de l’instinctif, du biologique qui ne connaît ni règle de temps ou d’espace, ni interdit. De ce fait les choses les plus contradictoires peuvent y exister. Le « ça » est régi par le seul principe de plaisir. Deux aspects se distinguent : l’héréditaire (sexualité et agressivité propres à l’espèce) et l’acquis (formes que prendront cette agressivité et cette sexualité).

    Ce monde qui baigne le nourrisson s’exprimera à travers le lait, formant ainsi un complexe Mère-Sein-Nourriture. Ce liquide, d’abord extérieur à l’enfant, passe à l’intérieur de son corps. Par cette incorporation le lait acquiert une grande valeur émotive, et l’enfant s’attire ainsi toutes les merveilleuses qualités qu’il lui attribue, autant physiques que mentales. C’est une source de jouissance. Il se sent investi des qualités de ce lait. Le lait est une entité aussi vivante que lui, bienfaisante. Mais le lait a aussi des qualités destructrices : il se fait attendre quand l’enfant a faim, il provoque des vomissements…Le bébé incorpore aussi malgré lui ce lait destructeur, qui contient en lui un danger inconnu, menaçant. Un système de défense se met alors en place. C’est le Clivage de l’Objet. Il y a un lait gratifiant et aussi un lait mauvais, persécutant. La tendance naturelle est de s’approprier le « bon » et de rejeter ce qu’on n’aime pas. La personnalité se forme à travers les mécanismes d’introjection et de projection. L’adulte retiendra de ceci la cohabitation de 2 mères : La mère idéale et, en discordance, la mère réelle.

    Définition de l’Imago : Personnage interne que l’on a fabriqué. Prototype inconscient d’un personnage qui va orienter toutes nos relations par la suite. Ce qu’on pense, ce qu’on ressent d’un individu n’a rien à voir avec la réalité. Ainsi l’Imago de la bonne mère s’exprime dans le personnage de la fée, tandis que l’Imago de la mauvaise mère sera représenté par la sorcière.

    Vers 2 mois, premières réactions en présence de l’adulte. Le nourrisson fixe les yeux de la mère pendant la tétée. A travers le regard de sa mère, il se voit lui-même s’y reflétant. Il découvre les sentiments et se les approprie. Le sourire est une réponse (fonction de miroir). Le rythme des tétées va amorcer la notion du temps. Il commence à découvrir son corps, s’oriente d’après la voix humaine.

    A 4 mois, il ne se limite plus à fixer le visage, mais il lui sourit. Il reconnaît sa mère, anticipe les événements. Il commence à être plus actif, commence à jouer. Son besoin de sociabilité augmente. Il aime qu’on s’occupe de lui.

    Vers 6 mois, les sourires sont volontaires. La constitution de l’Autre s’est faite à travers le système Présence-Absence. C’est de l’expérience de la frustration, due à l’attente, que naît l’Objet extérieur. Cette absence force l’enfant à recréer mentalement un univers de représentations mentales. Cet univers psychique l’aide à patienter jusqu’au retour effectif de la mère. Ainsi, il perçoit l’existence de l’Autre sur un fond d’absence. Ce mécanisme est la fonction symbolique. Un cas pathologique se présente si par malheur l’enfant de 6 à 12 mois perd trop souvent sa mère. On observera premièrement chez lui une demande excessive suivie un ou deux mois plus tard d’un repli puis d’un début de dépression. Son évolution psychique se bloque alors.

    De 6 à 8 mois, le visage de la mère est reconnu et privilégié. L’Objet est total, dans toute sa complexité de personne. L’enfant fait la différenciation entre les diverses personnes qui gravitent autour de lui. Tous les visages familiers déclenchent le sourire, les autres font naître méfiance et évitement. Souvent d’ailleurs, l’enfant déçu de ne pas reconnaître la mère dans le visage étranger, se mettra à crier.
    Huitième mois (et l’angoisse du -)

    La relation affective que l'enfant entretient avec les autres, de symbiotique (relatif à un soutien mutuel) devient anaclitique (conscience de ce soutien). Désormais l'enfant sait qu'il a besoin de la mère. Le "Moi" se forme en même temps que se forme l'Objet extérieur, l'un n'existant que par rapport à l'autre. C'est une période très importante de distinction, que ce soit extérieur/intérieur ou Moi/Autre.
    Création du jouet.   C'est un objet transitionnel, qui sera le plus souvent doux, mou, chaud... Cet objet représente la mère, dans son absence comme dans sa présence. C'est à la fois la frustration et la gratification. L'adulte n'abandonne cet objet qu'à la condition d'avoir réussi à diffuser sa fonction dans l'espace qui l'environne, que ce soit à travers les cigarettes, le langage, etc...

    L'amour maternel.    Le nourrisson tend souvent à faire régresser ses parents. Ces deux mots: "amour maternel", viennent de Rousseau. Avant, et jusqu'au 12e siècle, les parents avaient droit de vie et de mort sur leurs enfants. Du 13e au 18e, l'enfant n'a aucun statut dans la famille. Les manifestations de cajolerie et de tendresse étaient considérées comme faiblesse et pêché, l'allaitement était ridicule, rendant l'enfant vicieux Þ Recours aux nourrisses chez qui ils restaient 5 ou 6 ans, avant de se trouver placés chez les Sœurs ou les Frères. La médecine infantile était inexistante : On ne peut soigner un client qui ne dit pas de quoi il souffre ! Dans la fratrie, l’aîné des garçons avait tous les droits. Les cadets devaient choisir carrière dans l’armée ou la religion.

    Avec Rousseau, les choses changent. Vers 1715 on a réglementé la profession de nourrisse. L’état s’est aperçu que l’enfant était une richesse potentielle. Les statuts de la mère et de l’enfant changent (Matriarcat mental). Les familles nombreuses sont exemptes d’impôts. Les mariages se font de plus en plus par amour. La mère est devenue génitrice et éducatrice.

    La fonction maternelle. Les mères actuelles ont des compétences naturelles pour communiquer avec le nourrisson. Le bébé est un être social ayant une vie mentale, forçant les parents à communiquer avec lui, à régresser à un mode d’interactions archaïques. Les comportements parentaux sont plus intenses, plus répétés que pour une communication entre adultes, utilisant ici l’expression faciale, la voix, le contact physique…Tout ceci forme des séquences répétitives qui facilitent l’apprentissage du nourrisson : Il devient bientôt capable d’anticiper sur la séquence, contrôlant ainsi une petite mais certaine maîtrise sur l’Autre. Le bébé est actif et possède un répertoire de capacités mentales et motrices. Il distingue d’abord le mouvement, s’intéresse à la complexité visuelle ou sonore. A trois mois il sait rompre l’interaction Þ coordination occulo-céphalique. Quand l’enfant est tout seul, il se met en état d’inactivité alerte. Toutes les stimulations qui pourront alors survenir seront source de plaisir.

    A 10 mois, sa discrimination sociale (fait des différences entre les personnes) est plus grande et il commence à imiter.
    A 1 an il aime avoir un public, mais il traverse une période de timidité vis-à-vis des étrangers.
    A 15 mois, il affirme son indépendance par rapport à l’alimentation, mais il est encore maladroit. les contacts de personne à personne s’affinent.
    A 18 mois, il aime participer à son habillage et déshabillage. Il vit dans l’ici et maintenant. le sens de la propriété apparaît. il prend plaisir à participer aux tâches domestiques. C’est un âge plutôt turbulent.
    A 2 ans, il dit souvent, triomphant : "ça y est!". Tout aussi fréquente à cet âge là, l’expression "c’est à moi" qui révèle son incapacité à partager.
    A 2 ans 1/2, incapable de choisir entre 2 alternatives. Il est indécis et commence donc à craindre les choses qui lui paraissent trop nouvelles. Besoins de rites autour du bain, de la mise au lit, ...Il commence à s’opposer et se montre très autoritaire. A cet âge paradoxal, il peut se montrer timide, agressif, reculer, avancer...Le sentiment du Moi et de ses besoins est très aigu.

     2.4 la relation objectale (relation à l’objet) (selon Spitz)

    L’enfant se différencie peu à peu de sa mère et la relation objectale s’établit vers la fin de la première année. Son développement comporte trois stades :

    Stade non objectal : le nouveau-né ne différencie pas le moi du non-moi. Entre 2 et 3 mois, le nourrisson suit des yeux les mouvements d’un visage et fixe le visage de sa mère durant la tétée. La peau du bébé est en contact avec celle de la mère, il est sensible aux changements de position.

    Le sourire du 3e mois (stade du précurseur de l’objet) : entre 2 et 6 mois l’enfant sourit à n’importe quel visage mobile représenté de face, de façon qu’il puisse voir les deux yeux. L’enfant répond à une image, pas à une personne privilégiée. L’apparition de la réponse par le sourire marque le début des relations sociales chez l’homme. Elle constitue le prototype et la base de toutes relations sociales ultérieures. A 3 mois, l’enfant devient une entité psychologique distincte, il différencie le Je (ce qu’on sent à l’intérieur) et le non-Je (ce qu’on voit à l’extérieur).

    L’angoisse du 8e mois (stade de l’objet libidinal) : Après 6 mois, l’enfant ne sourit plus à n’importe quel visage, tout inconnu l’effraie. Il distingue donc bien ses parents, puis les personnes amies, des personnes étrangères.

    2.5 le développement de l’attachement (selon Bowlby)

    Bowlby étudie le lien qui unit l’enfant et la mère : il l’appelle l’attachement. Il s’agit pour lui d’un comportement instinctif présent chez l’individu par empreinte : "phénomène par lequel, dans les premiers moments de l’existence, le jeune animal fixe d’une manière irréversible l’aspect du premier objet en mouvement qu’il rencontre (en général un des parents ou un congénère) et qu’il suivra désormais" (Thines et L'empereur)

    L’attachement consiste en une interaction - une communication- qui vise à rapprocher la mère et l’enfant.
    Elle comporte :

    • des signaux pour attirer et retenir l’attention de la mère : crier, appeler, sourire, bailler, tendre les bras...
    • des comportements d’approche : chercher, suivre, se cramponner, sucer.

    Le développement de l’attachement comporte 4 phases :

    • Les signaux existent mais ne s’adressent pas à une personne en particulier (12 semaines)
    • Les signaux sont dirigés vers une (ou plusieurs) figures discriminées (6 mois)
    • L’enfant reste à proximité d’une figure discriminée par la locomotion comme par les signaux(6-7 mois à 2-3 ans). L’enfant explore son environnement à partir de sa mère et pour se rassurer retourne fréquemment vers elle.
    • A 8 mois, il a peur des étrangers, mais à 2-3 ans il peut s’attacher à une figure secondaire, s’il s’agit de quelqu'un de familier qu’il a connu, s’il n’est pas malade et s’il est sûr de revoir sa mère et s’il sait où elle est. Formation d’une relation objective où la mère devient un objet indépendant, permanent dans le temps et dans l’espace.

     2.6 les différents stades (selon Freud)

    Freud est le père de la théorie psychanalytique. Même ceux qui rejettent cette théorie utilisent toujours son concept de stades du développement.
    Il a nommé ces étapes des phases psychosexuelle car selon lui, le développement de la personnalité était influencé par la manière dont l’enfant apprennait à libérer son énergie sexuelle.
     Selon Freud, les expériences pendant l’enfance et l’adolescence sont associés à la libido. Cette libido est en relation avec les différentes parties du corps sur lesquelles l’attention des enfants va se fixer. Les zones érogènes sont dans l’ordre la bouche, l’anus et les organes génitaux.
    Les stades de l’évolution psycho-sexuelle de l’enfant sont :

    • stade oral (0-1 an)
    • stade anal (1-3 ans)
    • stade phallique (3-6 ans)
    • période de latence (6-12 ans)
    • stade génital ( à partir de la puberté)

    Pour les enfants de 0-3 ans c’est donc le stade oral et anal.
    Le stade oral c’est lorsque la zone érogène, c’est-à-dire liée à la sensation de plaisir, est la bouche.
    Le stade anal c’est lorsque l’enfant a atteint le contrôle de ses sphincters. Freud pense alors que l’enfant retire un plaisir à retenir ses matières fécales (désir de maîtrise et de puissance).

    Le stade oral

    C'est une phase d'organisation libidinale qui s'étend de la naissance au sevrage et qui se trouve sous la primauté de la zone buccale. La bouche est le lieu de sensations motrice, tactile et gustative. Le plaisir oral prend appuie sur le besoin alimentaire puis s'en détache. C'est ainsi que la bouche devient une zone érogène (plaisir)
    A ce stade, la mère représente le premier objet d'amour. C'est sur le modèle de cette relation que l'attitude vis à vis du monde se conformera. Peu à peu l'enfant s'identifiera à sa mère selon ce premier mode de relation.

    Le stade sadique-oral: mordre

    Ce stade est marqué par l'apparition des dents et de la morsure Si on attend ce moment pour commencer le sevrage, celui-ci sera considéré comme une punition.

    Si le sevrage est brutal, il prive l'enfant du sein maternel, sans qu'il ai eu le temps de déplacer son investissement libidinal sur d'autres objets ( exemple: doudou), il risque de rester fixé à ce stade.

    Il ne faut pas limiter ce stade au lait ou au sein, d'autres éléments interviennent:

    • le bercement
    • le regard
    • le soutien des mains
    • la parole, le chant

    Plaisir au stade oral (réceptivité et appel, faim de stimulations). L’enfant oscille dans des états diversifiés de symbiose, de retrait sur soi, de dépression et d’échange. Il lui faut tous ces états, et de manière équitable. Le stade oral prend fin lorsque le nourrisson est prêt à manger du solide (sevrage), époque décidée, car sentie, par la mère.

    De quels systèmes de régulation dispose l’enfant ?
    • Régulation externe : rôle tenu par la mère. Elle stimule les zones érogènes de l’enfant : Rôle d’excitation. Elle a aussi un rôle de protection, de pare-excitation : rôle de contenant (Quand il pleure et que la mère console, ou quand la fessée est nécessaire pour calmer l’enfant).
    • Régulation interne : forces somatiques et psychiques faisant tendre l’organisme vers un but qui sera d’éliminer la tension.
    • Définir la pulsion : Elle se manifeste par le fantasme.On distingue :
                  o Sa source : organique et somatique
                  o Son but : éliminer la tension
                  o L’objet : interne ou externe, partiel ou total
    La relation d’objet au stade oral :

    Symbiotique jusqu'au 8 ème mois puis anaclitique
    Communication et inter-communication durant la première année :
    L’enfant n’est pas passif. Il retient, au moyen du regard, des mouvements, l’attention de la mère.
    Nature de la vie fantasmatique de l’enfant : Elle est avant tout de nature orale, avec le mécanisme d’incorporation, s’appropriant les qualités du lait et ses défauts. Le bébé interprète ainsi la relation cause-effet. Fantasmes de bien-être après le plaisir du bain, le repas…

    Le stade anal

    Durant cette période, l'attention de l'enfant et de ses parents se concentre sur le contrôle des sphincters. L'enfant doit parvenir à contrôler ses intestins et sa vessie, il doit donc s'opposer au désir d'éliminer au moment où il en éprouve le besoin. L'enfant découvre ainsi la notion de son pouvoir, de sa propriété privée. Il commence à devenir un être à part entière : en décidant de donner ou non ses selles. C'est un pouvoir sur son transit intestinal et un pouvoir affectif sur sa mère qu'il peut récompenser ou non.

    L'attitude plus ou moins sévère des parents favorisera ou entravera l'épanouissement de l'enfant. C'est à cette période que l'enfant est actif, bruyant, agressif sur les objets. Cette étape introduit l'ambivalence : aimer ou détester. Les objets qui s'opposent à lui sont "méchants". Il les bat, les déchire.

    Deux conditions d’émergence

    1. Loi céphalo-caudale : Elle permet la maturation de la tête à la queue, c’est à dire entre autre le redressement de la tête, l’assise, la marche. Cette loi permettra l’éducation sphinctérienne une fois la marche acquise ® développement d’abord moteur, puis organique.
    2. Aspect éducatif : L’exigence de propreté vient de la mère. Elle déplace l’intérêt de l’enfant de la bouche vers le rectum. Il est nécessaire que ces deux aspects (loi céphalo-caudale/éducation) interviennent dans cet ordre pour qu’émerge chez l’enfant le stade anal. La mère déplace chez lui le champ de gratification, amenant l’enfant à s’intéresser à l’anus comme zone érogène.

    Définition de la saleté : La saleté dépend d’un système codé suivant (et relativement à) l’individu, le lieu…etc. Elle est ainsi le sous-produit d’un ordre, d’un triage, plus culturel qu’autre chose. L’enfant ne connaît pas cette sélection. C’est la mère qui lui transmettra l’attitude à adopter vis-à-vis des saletés, et qui lui indiquera où elles sont.
    Primauté de la zone anale : C’est une zone de passage, de communication entre l’intérieur (le corps de l’enfant) et l’extérieur (un individu de la réalité). La source pulsionnelle sera l’anus et, par extension, tout l’intérieur du corps (tandis que l’oralité valorisait l’extérieur en tant que surface). L’objet de plaisir de l’enfant sera le boudin fécal.

    Le boudin fécal :

    • C’est un excitant de la zone érogène
    • C’est une partie du corps, vivante et valorisée.
    • C’est enfin une monnaie d’échange.

    Désormais l’enfant maîtrise son corps : L’aspect volontaire est très important. L’enfant se rend compte qu’il y a quelque chose qui veut sortir. Il se rend compte qu’il est possible d’empêcher cette sortie ® Plaisir de rétention.
    Puis il se rend compte qu’il devient agréable de laisser sortir ® plaisir d’expulsion.

    Liée à ce plaisir, il y a l’impression de perdre chaque fois une partie de son corps. Cela lui donne l’angoisse de perdre quelque chose d’important, qui touche à l’intégrité de son corps (c’est à cette période que l’enfant démonte, et regarde à l’intérieur des jouets). L’enfant n’a aucune répugnance pour son produit : il l’explore activement, le montre…etc. C’est la mère qui transmettra sa répugnance.

    Relation d’Objet au stade anal :

    Relation ambivalente (agressivité/don). L’objet fécal prendra une signification selon l’objet maternel. L’enfant est aimé de l’intérieur. Son corps contient quelque chose de bon, un trésor qu’il pourra échanger contre l’amour de la mère. C’est une récompense que de faire ses excréments quand et où la mère le veut : Expérience où le Moi de l’enfant s’affirme. Il aura besoin de tester de temps en temps sa toute-puissance en désobéissant à la mère. Elle demande, il dit « non ! »

    La mère considère les matières fécales en objet de dégoût. L’enfant doit refouler ses possibilités de plaisir : L’anal devient symbole du défendu, de l’interdit. L’enfant sent quelque chose de mauvais à l’intérieur de son corps d'où Angoisse de sa part. Il a l’impression de détenir un poison. S’il se retient exagérément, il joue avec le danger, et le plaisir qu’il peut éprouver augmentera avec la peur. La rétention est vécue comme une opposition à la mère et l’expulsion comme une projection d’agressivité vis à vis d’elle. Les matières fécales, trop bonnes pour être données, seront gardées longtemps. Ces attitudes se retrouveront par le suite dans la vie de l’adulte, à travers les comportements d’avarice, de don, ou de prodigalité. L’enfant s’identifie à son boudin fécal. Investissement d’amour et/ou d’agressivité.  

    Clivage : 2 sentiments opposés vis à vis d’un même objet, et apparaissant alternativement.

    Ambivalence : Coexistence de 2 sentiments opposés vis à vis d’un même objet, apparaissant entremêlés à la conscience.
    L’enfant, en passant du clivage à l’ambivalence, marque son passage à une affection plus mature. Cette ambivalence va s’étendre à toutes les autres relations, comme : activité/passivité ; pouvoir/subir ; obéir/désobéir ; posséder/être vidé ; sadisme/masochisme.
    Notons à ce niveau un stade bi-sexuel : actif dans l’expulsion et passif dans la rétention.  

    Autonomie du Moi :

    Moi : Partie de la personnalité en contact avec la réalité extérieure (issue du Ca, confronté à la réalité) construite grâce aux gratifications successives.
    Désormais l’enfant décide, dispense son bon-vouloir, dirige son corps. L’estime de soi dépend de l’estime des autres pour soi : Si la mère insiste trop sur la socialisation, l’enfant aura l’impression de subir, de ne pas décider pour (et par) lui-même, d’avoir un Moi dévalorisé. Si la mère insiste surtout sur le plaisir, l’enfant aura l’impression qu’avant de faire quelque chose pour quelqu’un d’autre, il le fait pour lui. Il décide de sa vie, de son plaisir, affirme son Moi. Son autonomie n’est pas diminuée si de son propre chef il décide de faire plaisir à la personne qu’il aime.

    Autonomie corporelle : maîtrise des sphincters.
    Autonomie relationnelle : choisir de faire plaisir.

    Naissance de la notion d’échange (monnaie d’échange).(Et naissance de la notion de représentant.)
    La monnaie d’échange est ici représentée par le boudin fécal qui va médiatiser la relation entre l’enfant et son entourage. Il échange son bon-vouloir contre l’approbation de la mère. Ce sera l’approche d’une autre façon de vivre. Par ce biais, l’enfant manipulera le mot. Émergence du « non » qui lui sert à s’affirmer. Il met ainsi la mère à distance. D’aggressé, il devient agresseur. Il inaugure la communication sémantique, évitant les passages à l’acte. Besoin de jouer.

    Le jeu : Il est mis au service de son affectivité. L’enfant jouera toutes les situations où il est dominé. Avec l’eau, le sable, la pâte à modeler, il retrouvera son vécu du stade anal : remplissage et vidage de flacons…etc. C’est aussi l’époque des animaux martyrs : Jeux de sadisme à l’encontre des plus petits, des insectes…La fonction du jeu est très importante au niveau de l’apprentissage. Le plaisir qui lui est lié est un plaisir de maîtrise.

    2.7 le développement social

    A partir de 6 mois, chaque bébé fait connaissance avec ses voisins immédiats : placés ensemble sur un tapis ou un parc, les enfants se recherchent, ils s’étreignent, s’accrochent, sans paraître d’abord s’en rendre compte.

    Vers 8-9 mois, la découverte de l’autre se développe avec la locomotion : les enfants commencent à s’observer, se toucher, se sourire, s’imiter, se tendre des objets, se livrer à toutes sortes de manoeuvres d’approche. Les jeux à 2 à cet âge consistent en manifestations affectueuses ou agressives : se caresser, s’embrasser, se mordre, se tirer les cheveux..

    Vers 9 mois, apparaît la jalousie : l’enfant crie, pleure quand une grande personne s’occupe d’un autre enfant. Les premiers conflits au sujet d’objets naissent aussi bientôt.

    A 18 mois, l’enfant ne pleure plus avec l’autre, mais essaie de le consoler : il éprouve de la compassion, le désir d’aider et de soulage. La sympathie devient possible, l’enfant faisant la différence entre soi et autrui.

    Mère et Père influencent le profil de comportement de l’enfant et les premières années de la vie se révèlent capitales pour son élaboration. Le développement social comme le développement affectif, se constitue donc en grande partie entre 0-3 ans et à partir de la relation aux parents.

    • Réactions circulaires primaires = actes répétitifs;
    • Réactions circulaires secondaires = répétitions intentionnelles d'actes gratifiants;
    • Réactions circulaires tertiaires = répétition de faits originaux sous une forme modifiée.

    III. l’enfant de 3-6 ans

    3.1 le développement moteur et intellectuel

    Il est certain que l’enfant n’a pas encore la maîtrise motrice de l’adulte, mais il a déjà acquis la tonicité musculaire, des automatismes, la locomotion et la préhension, l’aptitude à imiter et à créer des mouvements.

    L’enfant à cet âge oriente spontanément toutes ses activités vers le jeu.
    Il jette par exemple les blocs dans toute les directions plutôt que les utiliser pour construire une tour. Quand il joue dans le sable il ne construit pas un château, mais il touche, il lance le sable, il exerce ses fonctions sensori-motrice et en retire une certaine satisfaction. Ces jeux sont fonctionnels (3-4 mois à 3-4 ans).

    Quand l’enfant joue au facteur, à l’épicier,....il imite des actes en effectuant des mouvements ayant une signification sociale. Ce sont les jeux de fiction (2-5 ans).

    Si l’enfant écoute une histoire qu’on lui raconte, s’il regarde des images dans un livre ou à la télévision, il s’agit alors de jeux de réception (2-5 ans).

    Dans les jeux de construction (3-7 ans), l’enfant éprouve le maximum de plaisir dans ce qu’il construit plutôt que dans ce qu’il fait présentement. Quelle joie en effet que celle de l’enfant qui a terminé son puzzle, accompli son dessin...

    Remarque : à 3 ans, les enfants interrompent fréquemment leurs jeux pour diverses raisons : parler, changer d’activité... Cette instabilité disparaît pratiquement à l’âge de 6 ans, époque où l’action est essentiellement stimulée par le but à atteindre.

    3.1.1 quelques caractéristiques du développement moteur entre 3-6 ans

    Automatisation progressive des mouvements : Pour la marche, ajustements constants des mouvements, de leur vitesse, de leur rythme. Les gestes alors peuvent remplir une fonction de réalisation : gestes utilitaires, mais aussi spécialisés tels que l’écriture...
    L’enfant a horreur de l’immobilité imposée. Exemple : la station assise à table (à la maison, à l’école...). Il a besoin de mouvement, il éprouve du plaisir à se dépenser physiquement, à agir et vivre.

     Néanmoins, il devient de plus en plus persévérant, il commence à expérimenter la continuité, d’où les situations où il peut protester si un adulte l’interrompt dans son activité sous prétexte d’aller à table ou d’aller se laver.

    Les mouvements deviennent de plus en plus coordonnés (imitation, manipulation, préhension...). Les psychologues ont d’ailleurs appelé cette période "age de la grâce" en raison de l’aisance, de la liberté des mouvements et de l’harmonie de certains d’entre eux.

    C’est aussi la période de la latéralisation (dominance latérale) ou un côté du corps est plus habile et utilisé de préférence à l’autre. (gaucher ou droitier)

    3.1.2 le développement de la perception (syncrétisme perceptif)

    Beaucoup d’enfants de 4 ans (bien avant l’âge de la lecture) sont capables de reconnaître des livres qu’ils apprécient, même les pages où sont indiquées leurs histoires préférées. Un auteur, Claparède, a appelé cela syncrétisme : première vue générale compréhensive, mais malheureusement obscure et incorrecte où tout est entassé sans distinction.

    • Le globalisme (l’enfant centre sa perception sur le tout)
      On présente à l’enfant des dessins constitués de 2 ou plusieurs objets dont les lignes sont enchevêtrées et on leur demande de contourner à l’aide de couleurs différentes les différents objets qu’ils voient. Les réussites varient avec l’âge.
      On peut aussi leur présenter des dessins d’animaux composites (composés de parties d’animaux différents) et leur demander de dénommer le croquis.
    • La juxtaposition (l’enfant est attentif aux parties)
      Les enfants de 4 à 6-7 ans dessinent des détails, mais simplement juxtaposés, sans forcément de liens. Ex : une maison (la maison ne tient pas debout, mais l’enfant y a représenté toutes les tuiles, les volets, les rideaux...).

    3.1.3 le développement intellectuel

    C’est la période pré-opératoire
    Apparition de la représentation symbolique qui consiste à élaborer "en pensée" des images à partir des objets ou des mouvements du monde réel. Elle s’achève par la pensée intuitive qui se caractérise par la concentration de l’enfant sur l’apparence des choses et par l’absence de raisonnement logique. Exemple : un enfant, qui à cette époque, entend pour la première fois le bruit du tonnerre peut penser que quelqu'un a fermé bruyamment une porte dans la chambre voisine. Il assimile alors cette nouvelle expérience et réajuste ses idées sur les bruits et leur origine
    La représentation symbolique : l’enfant peut penser à la voix de sa mère, par ex, sans l’avoir entendue ou il s’imagine sa tétine sans voir le biberon. Le petit garçon de 3 ans qui a vu son père se raser le matin peut reproduire le geste l’après-midi dans un jeu à l’école. La pensée de l’enfant dépasse l’ici et maintenant, elle peut évoquer un objet absent.

    La pensée intuitive : (selon Piaget) : on présente à l’enfant une boule de plasticine et on lui demande d’en faire une autre de même grandeur. On laisse sur la table la boule confectionnée par l’enfant à titre de témoin. On transforme, sous les yeux de l’enfant, la boule en galette, puis en boudin. Quand on lui demande s’il y a encore dans les boules transformées "la même chose" (la même quantité) l’enfant répond qu’il y a moins dans la galette car elle est plus fine que la boule et plus dans le boudin car il est plus long. L’enfant est plus centré sur l’apparence des choses et n’a pas de raisonnement logique.

    Autre exemple : avec les jetons (2 rangées de 8 jetons mais si la deuxième rangée on l’espace plus l’enfant dit qu’il y en a plus).

    3.2 Le développement du langage

    Jusqu’à l’âge de 12-13 ans (au moins) l’enfant continue à développer son langage par un processus long et graduel qui occupe une partie importante de ses activités

    L’enfant doit progressivement s’approprier les données linguistiques de l’entourage familial et scolaire : il doit abandonner les formulations simplistes pour accéder aux énoncés plus élaborés et mieux articulés.

    Les corrections, approbations, désapprobations, commentaires des parents sont adaptés aux possibilités de l’enfant (selon l’âge). Les parents ont donc un rôle important dans la construction du langage chez leur enfant. On pense à la prononciation, mais aussi à la reconnaissance correcte des syllabes et l’assimilation des règles grammaticales...

    3.3 Le développement affectif

    3.3.1 Le stade phallique

    Le stade phallique (vers 4 ans)
    Jusque là le père était vécu comme une mère auxiliaire. L’enfant va découvrir que le père a en fait une fonction bien particulière. Il apparaît menaçant, car inconnu, représentant une menace potentielle. L’enfant se rapproche de la mère. Il vient de se rendre compte que le père intéresse beaucoup la mère, et quelque fois malgré ses revendications d’enfant on retrouve une Attitude de colère et d’admiration pour ce personnage qui accapare la mère. L’enfant vient de juxtaposer la fonction parentale du père vis à vis de lui, avec la fonction d’amant vis à vis de la mère. C’est un partage difficile que celui qui lui est demandé. L’enfant se trouve plongé dans sa première solitude d’humain. Il se replie vers lui-même.

    Découverte du corps : L’enfant se focalise sur un point très important de son corps : ses organes génitaux. Déplacement entre érotisme anal et érotisme urétral. L’enfant découvre que certaines personnes ont un pénis et d’autres n’en ont pas. Il y a donc ainsi ceux qui en ont, et ceux qui n’en ont pas. Toutes les grandes personnes doivent avoir un pénis. Il pose beaucoup de questions sur la procréation, la sexualité, la grossesse, les relations entre les parents… Faute de comprendre les réponses, il répondra à sa manière. Il ne peut pas admettre ce qui ne correspond pas à sa croyance fondamentale. La fécondation est reliée pour lui à ce qu’il connaît déjà, comme l’ingestion d’aliments, le baiser…Pour certains il suffit d’exhiber ses organes génitaux pour avoir un bébé. La naissance est anale, ou par l’ombilic. Ils élaborent aussi le phantasme de la « scène primitive ». L’enfant peut avoir été témoin d’un coït des parents, ou seulement imaginer ce qu’il peut se passer quand il est exclus (arrivé à l’age adulte on retrouve ce ressenti quand, à entendre chuchoter 2 personnes connues, on s’imagine être exclus et persécuté)
         
    Les 4 fantasmes originaires 

    • Fantasme de la scène primitive.
    • Fantasme de séduction.
    • Fantasme de castration.
    • Fantasme d’abandon.   

    Souvent, dans le fantasme de la scène primitive, l’enfant s’identifie à l’un des partenaires. Soit le « passif », soit l’ « actif ». Il l’interprète souvent comme une scène agressive de laquelle résulte pour lui un fantasme d’abandon énorme. Période de cauchemars, de besoin d’affection de la part de la mère… C’est à cette période qu’il demande à dormir dans le lit parental. Naissance du voyeurisme, visuel et auditif. Il recherche les différences anatomiques, il aime montrer son corps et se promener tout nu. Besoin de savoir, il cherche un objet précieux, inaccessible. Ce sont les prémices de la curiosité intellectuelle. L’enfant reste dans un registre très narcissique. Il investit le pénis de plusieurs qualités, entre autres celle de toute puissance. Avec l’importance qu’il accorde au pénis, survient la peur de le perdre, l’angoisse de castration. (de même qu’il a eu peur de perdre la mère, puis les excréments, à ce stade il craint la perte de son pénis). Il n’y a aucune possibilité d’égalité entre les adultes et l’enfant. Il ne peut y avoir qu’un renversement de rôle, et appropriation des attributs supposés spécifiques à l’adulte (par ex : Il met les chaussures de papa, le collier de maman …). Quand l’enfant aura grandi, les parents seront devenus petits à leur tour. Pour l’enfant, la castration est un manque imaginaire, une angoisse d’incomplétude. Cela concerne aussi bien le garçon que la petite fille. L’enfant se demande si l’adulte peut manquer aussi de quelque chose, s’il est vraiment aussi complet que l’enfant l’imagine.

    L’angoisse de castration se focalise sur le père, celui-là même qui le rivalise auprès de la mère, celui qui « force » la mère à le délaisser (Quand le père réel est inexistant, le rôle paternel est tenu par tout ce qui sépare la mère de l’enfant, que ce soit le travail dans la journée, ou un membre de la famille…). La figure paternelle va récupérer à son compte toutes les anciennes frustrations vécues par l’enfant.

    On nomme « angoisse de castration » le phénomène transitoire, bénéfique et structurant.
    Le « complexe de castration » est la fixation inconsciente de cette angoisse, future source de souffrances et d’auto punitions.

    Le garçon
    Il se sait détenteur du pénis. Cela lui permet de se valoriser, en l'exhibant pour se réassurer. Il s'identifie à son pénis et a très peur de la castration paternelle. Pour lutter contre cette castration, il pourra d'abord refuser psychiquement la réalité: "C'est pas vrai que les filles n'en ont pas; On ne le voit pas mais c'est à l'intérieur". Il pourra aussi penser que le pénis poussera chez les personnes qui n'en ont pas : "Il n'y a pas de différences entre les petites filles et les petits garçons". Il pourra enfin voir le manque de pénis comme une punition : "c'est ceux qui le méritent bien qui n'en ont pas".
    Le petit garçon résorbera le conflit par l'identification au père.

    La fille
    Elle sait qu'elle n'en a pas. Mais elle pourra aussi se persuader qu'il suffit d'attendre et qu'il poussera. Revendications phalliques : "Je veux faire comme les garçons, je veux grimper aux arbres..."Elle commence ensuite à accepter son manque, mais contre un avantage : Possibilité d'avoir des enfants. Elle demandera cet enfant au père (ce dernier est considéré comme séducteur). L'enfant est l'équivalent du pénis, celui-là même qui ressortira dans la tête de la future mère, comme enfant imaginaire qu'elle demande à son propre père : Il faut que le deuil ait eu lieu à la naissance pour qu'elle reconnaisse le vrai père (son mari) comme père de l'enfant.
    La zone érogène du stade phallique est la zone génitale dont les premières excitations et satisfactions sont en rapport avec la miction (le fait d’uriner).

    L’enfant entre 3-6 ans a des comportements typiques : exhibitionnisme, voyeurisme...Il s’intéresse à l’origine des enfants et élabore ses théories par rapport à la conception.

    En résumé : le pénis du garçon et le clitoris de la fillette deviennent des objets clés du plaisir érotique. L'enfant découvre la masturbation. Il associe ensuite ce plaisir à un objet d'amour avec lequel il voudrait avoir une sorte de "relation sexuelle".
    Le garçon considère sa mère comme l'objet désiré mais il a un rival, le père.
    La fillette désigne elle son père et sa rivale est sa mère.
    Le conflit qui en résulte est le conflit oedipien.

    3.3.2 Le complexe d’Oedipe

    Remarque : la fille change d’objet libidinal (investissement affectif) (d’abord la mère puis le père). Le garçon transforme sa relation à l’objet initial.
    Le complexe d’Oedipe simplifié : la fille est amoureuse de son papa, le garçon de sa mère.
    La résolution du complexe d’Oedipe réside dans la renonciation des désirs libidinaux et hostiles ("on ne veut plus tuer l’autre parent pour épouser l’autre") et dans l’identification au parent de même sexe : la petite fille devient comme sa mère et le petit garçon comme son père. Sorte d’intériorisation des images parentales.

    Histoire d'Oedipe

    Laïos est roi de Thèbes. Marié à Jocaste, il a un enfant : Oedipe. Les oracles annoncent que cet enfant, quand il aura grandi, tuera son père et épousera sa mère. Evidemment, Laïos n'est pas d'accord et décide de tuer l'enfant. Il confie cela à un guerrier qui, au lieu de le tuer, va le perdre dans la forêt. Un couple de bergers le recueille et l'élève. A la puberté, il va à la ville de Thèbes, sans savoir qui il est. Il rencontre un vieillard qui, pour ne lui avoir pas laissé le passage, le combat. Oedipe le tue. A l'entrée de la ville, il rencontre le sphinx femelle défenseur de la cité, la terrorisant même complètement : Elle a l'habitude de poser des énigmes aux habitants qui ne doivent la vie sauve qu'à une bonne réponse. Jusque là personne n'a pu répondre à ses énigmes. Le sphinx pose la devinette suivante à Oedipe : "Quel est l'animal qui marche à 4 pattes le matin, à 2 pattes à midi et à 3 pattes le soir ?" Oedipe trouve la réponse (l'homme) et rentre en héros à Thèbes. La ville lui propose de monter sur le trône, puisque la place est libre. Il épouse Jocaste, en a des enfants et durant 15 ans vit le bonheur. Puis la peste ravage la ville qui demande pourquoi à l'oracle : "La peste est la punition des Dieux vis à vis d'un parricide et d'un inceste". Oedipe découvre qu'il s'agit de lui. Il se crève les yeux de désespoir, Jocaste se pend. Antigone sa fille l'accompagne hors de la ville qui l'a chassé.

    Oedipe du garçon. (3 à 5 ans)

    Il reste attaché à son premier objet d'amour, la mère, mais cet attachement n'est pas entier. Il est ambivalent. Il veut la séduire.
    Hostilité envers la mère qui lui a demandé beaucoup (aux divers stades) contre peu en échange estime t'il.
    Rivalité envers le père, jalousie de sa puissance, de ses droits. Il y mêle l'amour, l'attachement : Cette affection plus la crainte de la castration fait qu'il devient un "Oedipe inversé" où, paradoxalement, il a des phases durant lesquelles il séduit le père et rejette la mère. L'enfant s'identifie aussi à la mère et au père. (Impression de "complicité" entre hommes). Position homosexuelle. Etre en bons termes avec le père atténue indéniablement la peur de castration. C'est l'identification au père qui va permettre au garçon de sortir de l'Oedipe. (Donc d'abord désir Oedipien, tempéré par la menace fantasmatique de castration, l'angoisse surmontée grâce à l'identification et fin de l'Oedipe)

    Oedipe de la fille.

    Au contraire chez elle c'est l'angoisse de castration qui la fait entrer dans l'Oedipe. Il y a changement d'objet d'amour. L'ambivalence de la fille vis à vis de la mère est plus accentuée que celle du garçon vis à vis du père. (Plus tard, les rapports entre femmes seront toujours plus compliqués, tandis que ceux entre hommes seront plus simples). L'agressivité de la fille vis à vis de la mère s'est élaborée au cours des expériences de sevrage, permettant plus facilement l'Oedipe inversé. Phénomènes plus compliqués, plus forts. Sentiments très mitigés vis à vis de la mère, présence de culpabilité. L'Oedipe traîne plus longtemps car il n'y a aucune menace extérieure pour l'obliger à arrêter la séduction vers le père. Elle renoncera par identification à la mère, lui permettant enfin d'habiter sa personnalité féminine. L'enfant Oedipien (enfant imaginaire) est un fantasme qui restera très longtemps chez la femme.
          
    Nota : On appelle angoisse de castration tout ce qui est de l'ordre du manque.

    La fonction symbolique de l'Oedipe

    Le désir : Se différencie du besoin en ce qu'il n'est jamais véritablement assouvi. On ne sait d'ailleurs jamais comment y répondre. L'enfant désire être tout pour sa mère : Il cherchera quel peut être le manque de la mère pour le combler. Son désir est d'être le désir de la mère. Ce manque fondamental est, au niveau symbolique, le phallus. Désir originaire : Fusionner avec la mère.
    Cas pathologique : Si la mère répond entièrement à cette demande, il devient objet de la mère. Il ne sera jamais sujet. C'est l'entrée dans la psychose.

    La Loi du Père : Le Père sera ici le médiateur. Il interviendra comme privateur, séparant l'Enfant de la Mère. Il interdit à l'Enfant de fusionner avec la Mère ("Tu ne coucheras pas avec ta mère!" C'est l'interdit de l'inceste) et retient la Mère de s'approprier son Enfant. Cet interdit s'appelle : La Loi du Père. Pour que ceci s'effectue, il faut que la fonction du Père soit reconnue par la Mère, puis par l'Enfant. La place de séparateur doit donc exister déjà dans l'esprit de la Mère. Le Père pourra être tyrannique, soumis, volage ou fidèle, il faudra néanmoins que la Mère le reconnaisse comme séparateur (et non comme géniteur). Cette fonction Paternelle doit exister dans l'esprit de la Mère dés le début. L'Enfant lui, ne la découvrira qu'au moment de l'œdipe.
    L'enfant passe du statut de celui-qui-est le Phallus de la Mère à celui-qui-veut-l'avoir. Il renonce ainsi à son désir : processus de sublimation
    Par l'interdit, l'enfant entre dans la culture. Il devient sociétaire. Il s'insère dans une structure familiale. Il ne peut y avoir coïncidence entre les liens d'alliance et de parenté. Cette loi de limitation préserve la famille, assure les générations contre la compétition continuelle et oblige l'individu à aller chercher ailleurs ses relations : Loi de communication et d'ouverture du clan. L'enfant vit, au moment de l'œdipe, une puberté psychologique fondamentale pour la conservation de l'ordre culturel. Il passe d'une histoire individuelle à une histoire collective, car il connaît sa juste position dans la société, ses droits et ses limites.

     RéelImaginaire  Symbolique
    Papa géniteur Père autorité
    (Toute puissance)
    Fonction séparatrice
    Pénis Phallus imaginaire
    (Attribut de toute puissance)
    Phallus symbolique
    Castration
    (Ablation des gonades)
    Fantasmes d'absence ou de mutilation de l'organe sexuel Sacrifice, renoncement
    Besoin Demande affective Désir
    Privation Frustration Manque

    Les fonctions du conflit Oedipien

    1. L'enfant passe d'une relation d'objet duelle à une relation d'objet triangulaire. C'est la relation adulte génitale par excellence.
    2. Par l'interdit du parricide et l'interdit de l'inceste, l'enfant passe de la nature à la culture. Il est soumis à la loi commune sociale, loi d'échange et d'interdiction.
    3. Il accède à la différence des sexes grâce à l'identification au Parent du même sexe que lui. L'identification se fait sur les plans morphologique et psychique. Il reconnaît par la  même occasion l'Autre comme différent.  
    4. Une partie de la personnalité de l'enfant va assumer cet interdit et cette identification. C'est le Surmoi, héritier de l'Oedipe. C'est l'intériorisation des interdits et exigences parentales et sociales, censeur du futur adulte. Une fois formé, le Surmoi va remplacer les parents dans la vie sociale. Il rentrera continuellement en conflit avec les pulsions, et entraînera la culpabilité.
    5. Émergence de l'idéal du Moi : c'est un modèle idéalisé auquel le sujet cherche à se conformer, résultat de l'identification aux parents idéalisés. C'est une instance très narcissique, substitut de la toute puissance de l'enfant (de "je peux tout" à "je voudrais tout pouvoir"). Le Moi se compare à un idéal, nous permettant de nous dépasser.

    La résolution du conflit oedipien a lieu quand l'enfant rejette les sentiments sexuels éprouvés pour l'objet tabou, tout en s'identifiant au parent du même sexe : ce n'est plus un rival mais un modèle.

    3.3.3 La relation fraternelle

    La situation de rivalité fraternelle constitue le complexe de Caïn. La manière dont un enfant résoud ce conflit avec ses frères et soeurs tend à se répéter dans ses relations avec ses camarades d’école ou de jeu et plus tard dans ses rapports sociaux.
    La naissance d’un frère ou d’une soeur constitue pour l’enfant une expérience de frustration de la mère : dans le complexe de Caïn comme dans celui d’Oedipe, l’enfant désire posséder seul sa mère.
    La réaction de l’enfant dépend de :

    • l’attitude de la mère (une mère captative accentue la rivalité fraternelle)
    • sa position dans la fratrie : l’aîné se sent détrôné, l’enfant du milieu ballotté, et le cadet déshérité.
    • son âge : le sevrage et l’oedipe sont deux moments délicats
    • la différence d’âge : la plus critique se situe de 18 à 36 mois
    • L’enfant réagit à la frustration de différente manière :
      • agression sur le bébé et anxiété
      •  régression (énurésie, anorexie)
      •  formation réactionnelle (enfant trop sage tout d’un coup n’exprimant aucune agressivité)
      •  arrêt du développement ....

    L’affectivité imprègne toute la personnalité de l’enfant de 3-6 ans. Sur le plan intellectuel, la représentation qu’il se fait du monde, le prouve clairement. A cet âge l’enfant exprime surtout sa vie affective au travers de sa motricité (c’est pourquoi en thérapie on utilise surtout le dessin (un bonhomme) et le jeu (avec des personnages représentant les membres de la famille)

    3.4 Le développement social

    Présocialisation : Tendance à aller vers l’autre se développe de 2-3 ans à 7-8 ans. L’enfant désire être avec les autres. Jusqu’à 4 ans les échanges restent très limités et les rares actions communes sont commandées par le matériel. Il y a plus souvent juxtaposition de sujets indépendants les uns des autres (les enfants jouent à la même chose, mais chacun pour soi). A partir de 4 ans, les interactions se multiplient. Les enfants commencent à agir ensemble et à poursuivre des fins constructives. Séquence de collaboration plus fréquente et plus durable.

    Développement du jugement moral : (selon Piaget) Dans ses jugements d’une maladresse ou d’un vol, l’enfant tient compte du résultat matériel (celui qui a plus cassé est plus coupable). Le réalisme moral de l’enfant de moins de 6 ans est aussi la conséquence de la contrainte de l’adulte et du respect unilatéral (avec ses pairs, camarades, frères...) Il croit à une justice immanente. La sanction juste est la sanction expiatoire. Elle est même nécessaire et d’autant plus efficace qu’elle est sévère. La nécessité de la sanction conduit l’enfant à une attitude de responsabilité.

      Cécile REYNAUD, Psychologue    Mr Giffard Dominique

     


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