• soin de l'enfant

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    Il est bien connu que, dans la vie du nourrisson, les stimuli tactiles jouent un rôle extrêmement important dans les contacts corporels entre l’enfant et l’adulte. Or, la littérature spécialisée étudie peu ou pas du tout la question de savoir quels sont les gestes de l’adulte qui sont agréables pour les tout-petits, et quels sont ceux qui, sans intentionnalité de l’adulte, suscitent néanmoins en eux des sensations désagréables.

    Par l’analyse de quelques exemples observés dans la pratique, je voudrais démontrer que, dans le processus des soins, le contact corporel est souvent, pour l’enfant, source de gêne dans son corps, d’offense pour sa personne et qu’il peut provoquer des sentiments de frustration ; et je parlerai de ce que nous pouvons faire, afin que ce contact remplisse son rôle véritable.

    Le nourrisson, dès son plus jeune âge, exprime par tout son comportement ce qu’il ressent, lorsque l’adulte s’occupant de lui touche certaines parties ou l’ensemble de son corps, lorsqu’il le déplace et le prend dans ses bras.

    Lorsque ce contact corporel lui est agréable, déjà le nouveau-né se détend entre des mains douces qui le prennent ou le tiennent. Si ces gestes se répètent au cours des soins qui lui sont donnés, si l’enfant est à son aise pendant la toilette, le bain, l’habillage et le déshabillage, il se détend de plus en plus. On pourrait dire que le nourrisson se prépare à ce que l’adulte le prenne et, au cours de l’habillage ou du bain, il relaxe son corps, bien avant que l’adulte ne le touche. Il continue presque automatiquement les mouvements commencés par l’adulte.

    Les expériences agréables acquises pendant le temps passé ensemble enrichissent et diversifient les relations de l’enfant et de l’adulte. De plus, elles rendent ces rapports plus étroits, alors que les expériences désagréables troublent le nourrisson, créent de l’anxiété et le rendent méfiant à l’égard de l’adulte.

    Par exemple, un geste brusque ou inattendu peut être désagréable pour le bébé. Ainsi, le nouveau-né tressaille si la main de l’adulte le touche sans qu’il s’y attende. Tenter d’accéder aux différentes parties de son corps par des gestes brusques et trop forts est également, pour le nourrisson, source de sensations désagréables. Si, pour tourner sa tête, lever ses bras et ses jambes, à partir de sa position spontanée, on n’attend pas avec patience la détente de ses muscles, les mouvements de l’adulte devront vaincre sa résistance. Et cela exige souvent des efforts considérables, de la part de l’adulte. C’est ainsi que les gestes soignants peuvent devenir, pour l’enfant, brusques et désagréables.

    Souvent, le malaise du bébé provient d’un changement d’équilibre. Pendant les premiers mois de sa vie, par exemple, si la tête du nourrisson n’est pas suffisamment soutenue, il fait des efforts crispés pour empêcher sa tête de remuer, de tomber en arrière. Mais ses efforts ne sont pas toujours efficaces. Si ces sensations de désagrément – liées aux gestes de la main de l’adulte – se répètent, l’enfant attendra soit avec un énervement passif, soit avec une résistance crispée, la fin du déshabillage, de la toilette ou de l’habillage.

    Les moments passés avec l’adulte – qui se répètent plusieurs fois par jour – ne sont alors pas vécus ni anticipés comme une source de plaisir, mais plutôt comme une expérience désagréable que l’enfant supporte mal.

    Le bien-être du nourrisson dépend avant tout et dans une large mesure de l’adulte, c’est-à-dire de la façon dont il le touche. Sur cette question de « la main de la nurse », les expériences des enfants élevés en pouponnières ne sont pas toujours rassurantes. Une des sources de leurs expériences désagréables peut être les mouvements routiniers, mal appris des nurses [1]  Par cet anglicisme, on entend la soignante directe... [1] .

    En institution, en effet, une nurse prend chaque jour dans ses bras plusieurs nourrissons, les change, les baigne, elle leur donne à manger, puis les remet dans leur lit ou dans l’espace de jeu. La répétition des diverses situations et opérations de soin exerce inévitablement une influence sur les gestes de la nurse.

    Les mouvements qui, au cours de son travail, se répètent souvent, deviennent généralement, justement par leur caractère répétitif, plus brefs, plus rapides, plus efficaces aussi et, dans une certaine mesure, automatiques. La dactylo, la laborantine ou l’ouvrière fileuse expérimentées exécutent une grande partie de leur travail très rapidement, presque automatiquement, ne faisant plus attention aux détails.

    Le travail de la nurse est facilité, il est vrai, si une partie de ses mouvements deviennent rapides et mécaniques : si elle est capable, par exemple, de préparer très vite les divers linges et objets nécessaires pour changer le nourrisson ou pour l’habiller ; si elle attache habilement la couche, si elle prépare rapidement la nourriture à portée de sa main, en un mot, si elle ne consacre pas toute son attention aux « procédés techniques » des différentes opérations.

    Mais le fait même que les mouvements directement attachés à l’enfant deviennent plus brefs, plus rapides et mécaniques présente un grand danger.

    Cette sorte de mouvements ne permet pas, voire exclut, que l’enfant puisse se préparer convenablement au geste en question, ou qu’il prenne part, d’une manière active, à l’opération se rattachant à sa personne elle-même. Certains gestes routiniers sont justement destinés, afin que le travail soit plus rapide, à empêcher l’enfant de déployer son activité. Ces gestes contiennent généralement certains éléments brusques, et c’est en cela qu’ils deviennent durs et, par conséquent, désagréables. Ils ne permettent pas au nourrisson ou à l’enfant en bas âge de se sentir à son aise pendant les soins.

    Au cours de ces mouvements exécutés à la hâte, d’autres formes de relation entre l’enfant et l’adulte, comme l’échange de regards, sont alors très appauvries.

    La façon dont l’auxiliaire soigne l’enfant contient, pour le nourrisson, de nombreuses informations. Les mouvements tendres et délicats expriment l’attention et l’intérêt, tandis que les gestes brusques et rapides sont signes d’inattention, d’indifférence ou d’impatience.

    Si, par exemple, l’auxiliaire appelle par son nom le nourrisson couché sur le dos, dans le parc, si elle cherche son regard et attend que celui-ci l’aperçoive, si l’enfant est ainsi préparé à ce que l’adulte le prenne dans ses bras avec des gestes calmes et lents, tenant bien sa tête et son tronc, elle peut de la sorte non seulement éviter que l’enfant tressaille par suite d’un mouvement rapide et inattendu, mais aussi lui faire comprendre qu’elle attend, qu’elle guette sa participation et sa coopération dans tout ce qui va suivre. Mais si, par contre, la nurse prend le nourrisson dans ses bras de façon brusque et imprévisible, en le soulevant par le tronc ou le tirant par les bras, ce n’est pas pour l’enfant simplement un sentiment ou une expérience désagréable, cela signifie pour lui que la nurse ne compte pas sur sa coopération, et qu’elle ne lui laisse pas le temps nécessaire à la préparation de tel ou tel geste : dans ce cas-là, l’enfant est traité comme un objet peu apprécié et sans valeur, qui n’a besoin d’être traité ni avec précaution ni avec douceur.

    Les tout-petits élevés dans nos instituts doivent souvent en faire l’expérience, même de nos jours ; de nombreux mouvements routiniers, rapidement exécutés n’assurent pas même un sentiment de confort minimum et, finalement, gênent la construction d’une relation affective entre l’enfant et l’adulte.

    Lorsque, comme on peut encore le voir dans des hôpitaux ou des maternités, la nurse tient le nourrisson sous le robinet d’eau comme s’il était un manteau jeté sur son bras, l’enfant ne peut plus bouger. Ce soin peut être exécuté très rapidement, mais l’enfant ne sait pas d’avance ce qui va lui arriver, il ne sait pas quand la main de la nurse ou le jet d’eau touchera ses jambes, quand elle commencera à le savonner ou à le rincer. L’enfant n’a aucune possibilité de participer à l’opération, ni d’exprimer ses sentiments de satisfaction ou de mécontentement, par exemple, si la température de l’eau lui est agréable ou non. La nurse ne voit même pas son visage… Il ressort que ce qui arrive à l’enfant devient, à ses yeux, dénué d’intérêt et d’importance. En tout cas, c’est probablement ce que le bébé ressent.

    Lors des repas, lorsque l’un des bras de l’enfant, assis sur les genoux de la nurse, est coincé entre l’adulte et son propre corps et que l’autre bras est immobilisé par celui de l’auxiliaire qui tient l’assiette, le bébé est non seulement incapable de toute sorte de participation, mais aussi de toute forme de protestation. Cela signifie encore, pour l’enfant, qu’il ne pourra exercer aucune influence sur le déroulement du repas, qu’il apprécie ou non sa nourriture, que le rythme de la cuillère lui convienne ou non, ou encore que la quantité de nourriture le satisfasse ou pas. Ainsi, l’expérience du repas qui devrait être source de plaisir et de satisfaction se transforme vite en quelque chose de pénible et d’extrêmement désagréable pour l’enfant.

    Il arrive que l’enfant, assis sur la table de change, soit allongé par l’auxiliaire par un mouvement de traction sur ses jambes ou que, pendant l’habillage, elle le tire par les bras pour le remettre assis ou debout, alors que l’enfant, informé de l’attente de l’adulte, pourrait s’asseoir, se lever ou s’allonger tout seul. Dans ces conditions, il n’est pas non plus possible à l’enfant de profiter de la présence de la nurse pour partager une activité commune, ni même éventuellement des cajoleries ou des jeux.

    Lorsque l’auxiliaire change, aussi avec des mouvements rapides, un enfant un peu plus grand, qu’elle met debout face à elle, la tête de l’enfant contre ses jambes, tout échange de regards ou de paroles est également impossible. L’auxiliaire ne voit que le derrière de l’enfant, elle ne s’occupe que de la toilette, sans consacrer son attention à l’enfant lui-même qui se sent « négligé » au cours de ces soins.

    De même, lorsque la nurse fait avancer l’enfant en prenant son poignet ou son avant-bras, quand elle le tire derrière elle, ou qu’elle le pousse en touchant soit sa tête soit son dos, ces mouvements aussi contiennent des éléments de brusquerie. Ces manières de diriger l’enfant montrent que l’adulte n’a pas confiance en lui, qu’il ne croit pas qu’il puisse comprendre ce que veut l’adulte, ou bien ces manières peuvent montrer que l’adulte n’est pas content du rythme selon lequel l’enfant avance.

    Les manifestations de ces pratiques, de ces habitudes si rapides à surgir dans le quotidien et la répétition des soins sont-elles inévitables dans le travail des nurses ?

    Nos expériences, datant déjà de plusieurs dizaines d’années, montrent qu’il est possible d’empêcher le développement de ces habitudes de travail, et même que la nurse est capable de se débarrasser de gestes trop rapides, mécaniques et mal appris… Mais nous savons également que ce n’est pas si facile de mener à bien ce processus de changement.

    Pour se débarrasser de certaines habitudes, la nurse doit changer tout d’abord d’état d’esprit. Un intérêt sincère, sa détermination pour obtenir une vraie coopération de la part de l’enfant lui rendront, en général, les mains sensibles, délicates et tendres.

    Mais cela ne s’accomplit pas spontanément : il s’agit d’acquérir une véritable « culture » de la main pour en offrir la tendresse, des gestes plus rassurants et plus agréables pour les tout-petits, ceux qui leur permettent de coopérer avec l’adulte.

    Nous apprenons [2]  La description détaillée et minutieuse de ces mouvements... [2] à nos nurses comment elles peuvent soulever, porter ou prendre dans leurs bras le nourrisson, de telle sorte qu’il ne perde pas, pendant tout ce temps, son sentiment de sécurité physique ; nos nurses prennent dans leurs bras des nourrissons encore incapables de tenir leur tête ou leur tronc, de telle sorte que leur corps et leur tête soient bien calés. L’enfant qu’on tient dans les bras doit être continuellement à son aise. Elles apprennent à tenir les nourrissons sur les genoux sans empêcher leurs mouvements : l’enfant peut alors toucher la main et le visage de l’adulte, il peut se montrer actif dans tout ce qui lui arrive.

    Nos nurses apprennent non seulement à mener à bonne fin les différentes opérations qui font partie de leur travail, mais aussi, pour ainsi dire, à « percevoir » avec les mains. En guettant et en prenant en compte les réactions de l’enfant, elles arrivent à trouver des gestes agréables, délicats, qui ne gênent pas l’enfant. Elles apprennent à s’occuper des nourrissons et des tout-petits dans un rythme qui leur convient, un rythme leur offrant le temps et la possibilité de se préparer à l’approche de l’adulte ou aux différents gestes du soin.

    Ainsi, la nurse appelle toujours l’enfant vers lequel elle se tourne. Elle attend que le nourrisson, d’un signe, manifeste qu’il a perçu son appel. En général, à ce moment, leurs regards se rencontrent, la nurse ne prend l’enfant que lorsqu’elle « sent », par son contact tactile avec le nourrisson, que celui-ci attend son geste.

    Apporter sa coopération, participer aux différentes opérations des soins veut dire, au fond, que l’enfant répond par ses propres mouvements à la demande ou aux gestes déjà commencés par la nurse. Mais, pour cela, il a besoin de temps. Les petits enfants ne peuvent pas se préparer aux mouvements qui se succèdent à un rythme rapide, et ils sont encore moins capables d’y répondre.

    Nos nurses apprennent à ralentir un peu les mouvements pour lesquels elles attendent une réponse et comptent sur la participation de l’enfant. Car, si au cours de l’habillage elles saisissaient le bras du nourrisson en lui enfilant immédiatement la manche de sa chemise, ou si, au cours du repas, elles présentaient la nourriture de sorte que le verre touche déjà la bouche de l’enfant, elles ne donneraient pas au nourrisson la possibilité de tendre sa main vers la chemise ou le verre. Si elles exécutent toute l’opération avec rapidité, le geste de l’enfant devient tout à fait superflu.

    Mais si la nurse exécute ces gestes en prenant en considération les mouvements-réponses de l’enfant, si elle modifie ses gestes conformément à ceux du nourrisson, celui-ci peut alors de plus en plus participer aux diverses opérations des soins.

    Au fond, nos nurses apprennent des mouvements interrompus : quand on appelle un enfant, quand on lui tend un objet, ou encore lorsqu’on lui demande de donner quelque chose, la nurse commence à faire un geste, mais ne le termine pas immédiatement et demeure quelques instants immobile en attendant sa réponse. Ces gestes expriment l’attente et offrent à l’enfant une possibilité de choix : celui d’agir de façon indépendante.

    Le geste de la demande joue un rôle particulièrement important dans la relation nurse-enfant. Comme les gestes d’appel et d’offre, celui de la demande est le symbole d’un rapprochement pacifique, d’une vraie demande dans laquelle l’autre existe, sans que sa réalisation passe par la force. Ce geste exprime que l’adulte, au lieu d’agir tout seul, par lui-même, attend l’action du nourrisson : il attend, par exemple, que l’enfant mette dans sa main ce morceau de pomme qu’il ne veut plus manger ou ses chaussons qu’il vient d’enlever.

    L’attitude de l’adulte qui lui demande et attend offre la possibilité au nourrisson de décider lui-même face à l’attente, au désir de l’adulte. Cette attitude constitue, en même temps, un « modèle », un exemple pour l’enfant dans ses relations avec les autres : on ne peut pas attendre d’un enfant qu’au lieu de prendre par la force un objet convoité, il le demande à un autre enfant, si l’adulte a le même comportement envers lui, c’est-à-dire s’il prend l’objet au lieu de le lui demander. La main de l’adulte est donc pour l’enfant une importante source d’expériences…

    Dans une pouponnière, il est plus facile d’obtenir que les nurses aient un visage souriant ou parlent aux enfants que d’avoir des mouvements tendres et délicats. Citons à ce sujet Vercors : « J’appris ce jour-là qu’une main peut, pour qui sait l’observer, refléter les émotions aussi bien qu’un visage, aussi bien et mieux qu’un visage, car elle échappe davantage au contrôle de la volonté. »

    De nos jours, on sait bien qu’une nurse ne peut s’occuper correctement des enfants qu’en faisant preuve d’un réel intérêt, en étant attentive à toutes les réactions du nourrisson et en étant prête à lui répondre. Et cette attention n’est complète que si elle emploie non seulement ses yeux et ses oreilles, si elle répond non seulement avec des mots et des sourires, mais aussi si elle touche l’enfant avec des mains tendres, des mains qui attendent la réponse et qui sont toujours prêtes à la réponse.

    Nos expériences, outre l’intérêt manifesté envers l’enfant et la création de conditions de soins véritablement attentifs, montrent que la « culture » de la main et les gestes réfléchis permettent de s’occuper des nourrissons ou des tout-petits de telle sorte qu’ils soient réellement à leur aise ; ainsi, leur détente, leur gaieté et leur participation active influencent à leur tour, de manière favorable, le comportement de la nurse.

    Notes

    Ce texte fait partie d’une liste de plus de 80 articles écrits par des membres de l’équipe de l’Institut Pikler à Budapest (Lóczy) et présentant différents aspects de leur approche clinique et institutionnelle de l’accueil du bébé en institution. Cette liste est consultable sur le site de l’Association Pikler de France : www. pikler. fr

    [1] Par cet anglicisme, on entend la soignante directe de l’enfant, celle qui a « le bébé dans les bras » (ndr).

    [2] La description détaillée et minutieuse de ces mouvements figure dans le manuel de formation des nurses, rédigé par le docteur Emmi Pikler.

     

    Tardos Anna, « La main de la nurse. », Spirale 4/2008 (n° 48) , p. 177-182

     


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