• Qu’est-ce qui rend l’enfant sociable ?

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    Qu’est-ce qui rend l’enfant sociable ?

    Publié le 9 juin 2014

    Source photo : http://www.seniorweb.ch

    Dès son plus jeune âge, le petit humain est encouragé à devenir sociable, 
une qualité humaine hautement valorisée dans notre société. 
Le passage précoce par la collectivité en est devenu la clef de voûte. À tort ou à raison ?

     

    La course à la socialisation s’amorce dès le berceau. Soucieux du développement de la socialisation précoce de leur enfant, nombre de parents se tournent vers le mode de garde collectif. Dès lors, la crèche collective remporte les suffrages et l’option nounou est dépréciée. Les arguments ? La présence régulière des pairs tend à socialiser l’enfant et à le confronter au groupe, tandis que la vie quotidienne de la crèche lui permet d’intégrer dès son plus jeune âge les règles et les rouages d’une vie en collectivité. Autant d’acquis qui lui assureraient une intégration plus sereine à l’école maternelle, et une vie sociale future plus épanouie.

    Mal-être à la crèche

    Si ces conceptions forgent l’imaginaire collectif, elles ne font pas l’unanimité. Nombre de professionnels et de chercheurs émettent un avis plus mitigé quant aux bienfaits de la collectivité. Patrick Mauvais, psychologue, rappelle ainsi : « pour le très jeune enfant, la collectivité n’est pas un besoin. Elle est liée à un besoin social et économique des parents ». Dans son article « Socialisation précoce et accueil du très jeune enfant en collectivité »[i], il souligne la confusion actuelle entre collectivité et socialisation. Une confusion qui ne manque d’ailleurs pas de culpabiliser les nombreux parents qui ne sont pas en capacité d’offrir à leur enfant cette expérience réputée incontournable pour leur développement social. De plus, sur le terrain, les conditions réelles des crèches sont souvent moins adéquates que celles présagées. Dans une société en crise, où la demande est grandissante, les pouvoirs publics élargissent l’offre d’accueil, à moindre coût. « Dans certains cas, le lieu d’accueil peut s’apparenter à un milieu « anomique »[ii] principalement régi par l’arbitraire des adultes et l’impératif de leur commodité immédiate » et les groupes d’enfants à des « lieux de solitude et de violence »[iii] où chacun est en rivalité constante avec les autres pour obtenir de l’adulte une attention qui se dérobe sans cesse ». Il est fréquent que des signes de mal-être d’un enfant se manifestent au sein du groupe. Selon une étude[iv] menée par Karen Martinaud-Thébaudin, maître de conférences en psychologie à l’université de Brest, c’est la présence de pairs, et non leur nombre, qui favoriserait le développement social des enfants : « Les résultats montrent, au sein des lieux d’accueil, que les enfants accueillis par une assistante maternelle et ceux fréquentant régulièrement leur lieu d’accueil sont plus compétents socialement envers leurs pairs » indique l’auteur. Nathalie Nanzer, pédopsychiatre et médecin adjoint de l’Unité de guidance infantile à Genève rappelle[v] quant à elle que la socialisation ne débute pas à la crèche, mais au moment même où l’enfant commence à faire attention à quelqu’un d’autre qu’à sa mère. Le mode d’accueil ne serait donc pas la condition sine qua non de la sociabilité future du tout-petit.

    Une simple histoire de gènes ?

    Parallèlement à ces études, d’autres travaux viennent mettre en cause l’idée même que l’environnement puisse véritablement conditionner le développement de la sociabilité des enfants. Les gènes exerceraient également leur part d’influence. Jerome Kagan, professeur de psychologie nord-américain et chercheur, en fait même une question d’amygdale : les enfants dont l’amygdale est particulièrement sensible s’agiteraient davantage face à des stimuli inhabituels et développeraient en conséquence une vigilance accrue aux inconnus. Leurs réponses physiologiques seraient en effet plus importantes, : une plus grande sécrétion de cortisol, hormone du stress, et un rythme cardiaque plus rapide. Le cerveau des petits timides serait donc hypersensible. La revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences parvient à une conclusion proche : notre ADN déterminerait même une part de notre attitude avec les autres. Les individus dont les gènes récepteurs de l’ocytocine sont dotés de deux nucléotides G (guanine) développeraient une meilleure estime d’eux-mêmes et seraient plus sociables que les individus ayant d’autres combinaisons. A l’inverse, les personnes plus angoissées et moins à l’aise dans les relations sociales disposeraient au minimum d’un nucléotide A (adénine) sur ces gènes. Toutefois, rien n’est figé ; l’environnement est aussi réputé influencer les récepteurs d’ocytocine. D’autant plus qu’en psychologie, aucune prédisposition physiologique ne suffit à prédire un comportement.

    Les sociétés traditionnelles, plus socialisantes ?

    Le professeur de géographie, biologiste et évolutionniste Jared Diamond confronte l’éducation des Américains à celle des enfants de Nouvelles Guinée[vi]. Les différentes sont saillantes : les enfants de ces sociétés « à petite échelle » sont quasiment toujours portés et non laissés seuls dans un transat, ils sont élevés par la famille élargie et non par leurs seuls parents, tandis que les adultes ne laissent pas pleurer les tout-petits une dizaine de minutes « pour leur apprendre le self-control ». Le résultat de ses observations ? Les bébés de ces sociétés traditionnelles pleureraient moins, seraient davantage sociables, mais aussi plus confiants et créatifs. Toutefois, les modèles éducatifs demeurent tributaires de l’exigence et des m?urs de la société dont ils dépendent. En Occident, les tout-petits se doivent d’être autonomes et séparés précocement de leurs parents entre autres pour permettre à ces derniers d’exercer une activité professionnelle. [vii].Quoi qu’il en soit, ni la timidité ni la sociabilité ne sont en soi des défauts ou des qualités. Elles ne méritent donc ni d’être blâmées, ni d’être glorifiées. L’une et l’autre ne sont appréciables qu’au regard de la culture d’appartenance, comme l’a souligné une étude comparative[viii] publiée en 2004 dans le Journal of Child Psychology and Psychiatry. Au Japon où la discrétion, la modestie et la retenue sont des traits valorisés, près de 90% des Japonais se considèrent timides, et s’en portent bien. Une perspective interculturelle riche d’enseignement.

     Bibliographie supplémentaire : Baumeister, A. E. E., Rindermann, H. & Barnett, W. S. (2014). Crèche attendance and children’s intelligence and behavior development. Learning and Individual Differences, 30, 1-10.

    [i] Article paru dans la revue Devenir, volume 15, 2003

    [ii] CYRULNIK B. : Les vilains petits canards, Odile Jacob, 2001

    [iii] APPELL G. : « Du groupe lieu de solitude et de violence au groupe de communication harmonieuse », Dialogue, recherches cliniques et sociologiques sur le couple et la famille, 1993 ; 120ple et la famille, 1993 ; 120

    [iv] Étude publiée dans la revue Le Sociographe, numéro 14 « Le retour des nounous », mai 2004

    [v] Dans une interview parue sur le site internet de http://www.cooperation-online.ch/

    E. Beaton et al., in Pers. and Ind. Diff., vol. 49, p. 755, 2010`

    [vi]  The word until Yesterday : What can we learn from traditionnal societies ?Edité chez Viking Adult en décembre 2012.

    [vii] The word until Yesterday : What can we learn from traditionnal societies ?Edité chez Viking Adult en décembre 2012.

    [viii] CHEN Xinyin, HE Yunfeng, DE OLIVEIRA Ana Maria, LO COCO Alida, ZAPPULLA Carla, KASPAR Violet, SCHNEIDER Barry, VALDIVIA Ibis Alvarez, TSE Hennis Chi-Hang, DESOUZA, Amanda, « Loneliness and social adaptation in Brazilian, Canadian, Chinese and Italian children: A multi-national comparative study » in Journal of Child Psychology and Psychiatry, n°45, pp.1373-1384, 2004.


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