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Pikler, Loczy : Le prendre soin
article issu de : http://pikler.fr
Le prendre soin
Dans un article de la revue « Le Furet » n° 33 : « La pouponnière Lóczy : une organisation institutionnelle pour une clinique du prendre soin », Miriam
Rasse, Directrice de l’Association Pikler Lóczy-France détaille l’accompagnement au quotidien à Loczy et comment il soutient tous les domaines
de développement.
…Lorsqu’on lui a confié la création de cet Institut, E. Pikler avait pour projet d’offrir à ces enfants des conditions de vie qui ressemblent le plus possible
à ce qu’ils auraient trouvé d’essentiel dans une famille pour assurer les bases de leur personnalité. Mais, d’emblée, elle eut aussi le souci de ne pas
leur donner l’illusion que les personnes qui s’occupaient d’eux pourraient être leurs parents, car ces enfants étaient amenés soit à retourner dans leur
famille, soit, pour la plupart à être adoptés.
Elle conçoit pour ces tout-petits un environnement stable, fiable et prévisible comme assise indispensable à la sérénité physique et psychique dont un
bébé a besoin pour déployer ses forces pour grandir : les enfants vivent au sein d’un même petit groupe composé de huit enfants, dans une grande pièce
qui – comme dans une maison – est composée d’un espace de jeux, d’un espace de sommeil, d’un lieu de repas et d’une salle de bain. Un nombre
restreint d’adultes stables interviennent auprès de ce même groupe d’enfants puisque ce sont quatre "nurses" – dont une privilégiée – qui prennent
en charge les enfants d’un même groupe, assurant successivement les différents services du matin, d’après-midi, de nuit, ou de week-end.
La régularité du déroulement des journées scandées par un certain nombre d’événements prévisibles permet à chacun de s’orienter dans le temps,
de pouvoir anticiper ce qui va se passer pour lui et d’être sûr de pouvoir compter sur l’adulte présent pour lui assurer la satisfaction de ses besoins
corporels et être attentif à ses intérêts, à ses plaisirs, à ses désirs.
Cette stabilité est source, bien sûr, d’une grande sécurité, elle assure la place de l’enfant dans le groupe, mais elle favorise aussi sa prise de conscience
de l’environnement et lui permet de se situer dans cet espace-temps.
La création d’une relation intime et personnelle
Au sein de ce cadre précis, les temps de soins (repas, change, toilette, coucher…) sont privilégiés comme moments individualisés de rencontres entre
enfant et adulte sur lesquels s’étaie la création d’une relation intime et personnelle. Avec des gestes délicats et enveloppants – mais très codifiés afin de
veiller à assurer son bien-être et sa détente corporelle et aussi d’assurer une continuité entre les quatre nurses, les adultes prennent soin de ce tout-petit,
qui bénéficie là d’une expérience corporelle agréable et narcissisante.
Ce soin est aussi une véritable rencontre au cours de laquelle non seulement la professionnelle est ouverte à ce qui vient du bébé, à ce qu’il exprime, à
ce qui lui fait plaisir ou au contraire provoque chez lui un désagrément ou une tension, mais aussi, elle cherche et attend sa coopération. Elle invite l’enfant
à être un partenaire dans ce soin qui concerne son corps, elle sait déjà ce qu’il aime et essaie de le lui offrir, elle est attentive à ses nouveaux intérêts,
elle donne un espace à ses initiatives, elle sollicite sa participation, attend et respecte sa capacité et son plaisir à faire par lui-même.
Au sein de cette chorégraphie bien connue des deux, se déroule alors toute une "spirale interactive" au cours de laquelle l’enfant fait l’expérience de
sa compétence et prend conscience de lui-même.
À travers ces temps de soins, enfant et adulte vont apprendre à se connaître, à s’écouter et à s’apprécier mutuellement. Il va se construire entre eux
une relation affective qui assure au bébé qu’il peut compter sur l’attention et la disponibilité psychique d’un adulte qui veille sur lui, qui lui porte un
intérêt personnel, prêt à accueillir ses demandes, ses émotions, sa vie pulsionnelle, et qui consolide par là-même le sentiment de sa propre valeur.
C’est principalement au cours de ces temps de relations individuelles que vont se développer les échanges langagiers avec l’adulte. La nurse veille à
informer et prévenir le bébé, dès tout petit, de ce qu’elle fait avec lui. Elle s’efforce de se faire comprendre et aussi de le comprendre, en parlant au bébé,
en mettant en mot ce qu’elle fait et ce qu’elle perçoit des manifestations du bébé, à travers sa communication "gestuelle".
C’est à travers cette communication que peu à peu l’enfant va apprendre et découvrir un certain nombre de règles sociales et culturelles, comprendre ce
qui lui arrive et ce qu’il fait, quelle est sa situation et ce qu’il va devenir, que ce soit d’abord dans son présent immédiat puis dans son avenir proche et
plus lointain. L’enfant est ainsi accompagné, par des adultes importants pour lui, dans ce difficile travail de se situer dans son histoire personnelle
et familiale.
Extrait de "Prendre soin d’un jeune enfant", Érès
À propos de la relation nurse-enfant, Myriam David
On reproche à cette relation tantôt de ne pas être suffisamment "maternelle", d’être artificielle, contrôlée, pas naturelle, dépourvue de chaleur, de spontanéité et d’élan ; tantôt, la qualité des soins et l’harmonie régnante apparente, la dévotion à l’enfant donnent une impression de perfection que les uns trouvent inquiétante et dont les autres voudraient voir les mères davantage pourvues. Pour ma part, je pense essentiel de comprendre que relation maternelle et relation soignante sont de nature fondamentalement différente et ne répondent pas au même objectif :
- La relation maternelle est une relation continue qui se poursuit toute la vie et au-delà. C’est une relation passionnelle, "amoureuse", toujours complexe, à l’intérieur de laquelle le bébé comme la mère vivent des élans de tendresse, des colères et des frustrations, des inquiétudes, des joies, etc… de son bébé, et des "élans projectifs" qu’il suscite en elle et qui façonnent ses attentes et ses demandes à l’égard de son enfant. Il en résulte, dans la grande majorité des cas, des soins "suffisamment bons". (…) Il est évident que la relation maternelle est unique et irremplaçable. Les interactions auxquelles elle donne lieu n’ont d’autres objectifs que de vivre cette relation (…) qui résulte des forces d’empathie qui guident la mère pour s’accommoder aux demandes
- La soignante à qui est confié un bébé privé de ses parents a pour objectif premier de lui prodiguer les soins nécessaires à sa survie, au maintien de sa santé, à la poursuite de son développement. C’est bien exclusivement dans ce but qu’elle entre en relation avec ce bébé. Ces soins, donnés par une "inconnue", pour être acceptables par le bébé en état "d’angoisse de perte" et "d’inquiétude face à l’étrange" doivent être prodigués de façon à restaurer la sécurité, créer un sentiment de bien-être et de plaisir. C’est dire que la soignante doit impérativement tenir compte de la sensibilité du bébé, de ses craintes telles qu’il les exprime à travers ses réactions motrices et toniques ; il lui faut ajuster ses gestes et ses manipulations aux manifestations du bébé qu’elle doit être capable de percevoir et de respecter. La science et l’art du soin sont alors bien nécessaires (…) pour lesquels l’expérience de l’Institut E. Pikler ouvre une voie qui permet à la soignante de s’appuyer sur d’autres piliers que sa maternité latente.
Il semble bien, alors, que cette relation particulière, ni meilleure ni moins bonne, mais différente d’une relation maternelle, soit suffisante pour alimenter le processus de développement du bébé pendant le temps où il est privé de mère, lui permettant de vivre la séparation comme une distanciation, non comme une perte, et maintient sa capacité à la retrouver, ou à faire connaissance avec une famille d’accueil."
Exercer son activité spontanée
L’organisation de ces temps de rencontre à l’occasion des soins, planifiés de façon précise, assure à la nurse ce temps possible avec chacun des enfants
du groupe et donne à l’enfant une certitude telle qu’il n’a pas besoin de s’en préoccuper ni de guetter ou d’attendre. Il peut alors en toute tranquillité
exercer son activité spontanée, être présent et sensible à lui-même et à son environnement pour partir à la découverte du monde extérieur, se livrer
à des expériences et à tout un travail d’élaboration…
L’observation et le travail d’équipe
Les nurses sont dans une attitude permanente d’observation à l’égard des enfants dont elles ont la responsabilité. Il ne s’agit pas d’une attitude
extérieure mais d’une observation "empathique" qui alimente la relation avec l’enfant, vise à accueillir la diversité de ses manifestations et émotions
et d’y répondre sur un mode qui favorise son bien-être, l’ouvre vers l’extérieur, le sécurise et favorise son épanouissement.
De plus, un certain nombre de leurs observations sont consignées dans des cahiers, de façon quantitative (le poids, les selles, l’alimentation, le sommeil…)
, et qualitative (comment l’enfant mange ou joue, ses progrès moteurs ou de langage, ses habitudes, son comportement pendant les soins ou avec les
autres enfants…). Ces différentes notations soutiennent l’attention individuelle à chacun des enfants mais ont surtout pour fonction d’assurer
des transmissions entre les nurses et donc une continuité dans la prise en charge de chaque enfant, ainsi que des transmissions avec les différents
membres de l’équipe (le médecin, la pédagogue, la directrice). Elles servent également de support à la synthèse mensuelle faite pour chaque
enfant, préparée par la nurse "référente" de l’enfant et retranscrite dans un cahier que l’enfant emportera avec lui à son départ de l’institution.
Cette "référente" , par son attention, ses observations et leurs transcriptions, est garante de la continuité externe et interne des enfants qui lui sont
plus particulièrement confiés par l’institution.
Un travail d’équipe est indispensable pour assurer et préserver une cohérence et une continuité entre les interventions des différentes personnes qui ont
la responsabilité d’un même groupe d’enfants (les quatre nurses, les infirmières, la pédagogie de groupe, les médecins, la directrice, l’éducatrice du
jardin d’enfant, la personne qui assure les promenades…). C’est pourquoi, un certain nombre de moyens sont mis en place pour permettre à chacun
de comprendre le sens des interventions qui lui sont demandées, de partager avec d’autres la connaissance de chaque enfant, de trouver aide et soutien
face aux problèmes rencontrés et de progresser dans sa compétence professionnelle.
Tags : pikler, loczy, vae, eje
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