• L’enjeu de la bientraitance dans les crèches

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    L’enjeu de la bientraitance dans les crèches

     

    Lundi 30 novembre 2015 avait lieu le colloque «comment agir avec bientraitance au quotidien  ? » organisé par Zoeki et destiné aux professionnels de l’enfance. Comme les annulations ont été nombreuses en raison des difficultés de transports et de l’angoisse post-attentats, voici un compte-rendu, non exhaustif mais assez complet des échanges de la journée.

    Danièle Rapoport, psychologue, présidente de l’association «  Bien-traitance, formation et recherche  »  a ouvert le bal. C’était assez normal dans la mesure où elle connaît par cœur la genèse du terme «  bien-traitance  » qu’elle tient à écrire en deux mots. Voici de longs extraits de son intervention.

    «  Le titre du colloque pose beaucoup de questions très intéressantes. Quelles origines pour la bien-traitance  ? Comment agir avec bien-traitance au quotidien? C’est un néologisme. En épigénétique  on sait que le rôle de l’environnement (qui fait fonctionner autrement les gênes dès la vie intra utérine) est important. Il est donc important de connaître l’environnement de la naissance de ce néologisme «bien-traitance  ».

    Ce serait le contraire de la maltraitance. Ce n’est pas suffisant, pas encore complètement défini. C’est une aventure qui rappelle l’oxymore «  douces violences  » ou celui de Boris Cyrulnik «  un merveilleux malheur  ». Le terme de résilience est contemporain de celui de la bien-traitance. Mais la résilience existait déjà dans dictionnaire. Pas la bien-traitance.»

    La bien-traitance, être plutôt qu’agir

    «C’est un terme extraordinaire. On peut faire une empreinte du bon, du bien-traitant. Toute sa vie ce petit enfant ne se souviendra pas de vous, et pourtant votre place va être fondamentale dans le sens de fondatrice, des années fondations. D’où la nécessaire valorisation de votre profession. Michel Lemay (ndlr psychologue canadien) dit quand il parle de votre profession qu’il s’agit de «  la noblesse et la science thérapeutique de l’anodin et du quotidien  ». La question c’est comment être et non comment agir.

    Qui n’a pas dit à un enfant «  dépêche toi  »  ? Disons lui plutôt «  oui, tu as le temps, tu peux enfiler ta petite chaussette  ». Le laisser marcher tout doucement vers une fontaine. Si vous arrosez dans votre jardin, par capillarité ça va pousser deux mètres plus loin.

    Les professionnels ne doivent pas être bousculants ni eux mêmes bousculés. Les professionnels doivent être eux mêmes bien traités. Arrêtons d’agir. Soyons en relation, tranquilles. Pourquoi parler de la confiance  ? Parce qu’on vous confie les enfants. Dans bien-traitant il y a la confiance. Vous faites confiance aux parents pour qu’ils ne démolissent pas tout ce que vous êtes en train de faire.

    Le trait d’union est avant tout un rempart contre le manque à penser. On ne pense plus. Vous devez réfléchir, penser, donner du sens.  »

    Après cette introduction, Danielle Rapoport commence son récit historique.

    «  A partir des années 60-70  on a assisté à quatre décennies qui ont révolutionné le regard posé sur la petite enfance. Premier exemple  : le concept de continuité de Winnicott est fondateur. Les bébés confiés sont en train de construire leur identité. Chacun a un sentiment continu d’exister qui ne peut pas être superposé. Il y avait à l’époque beaucoup de références à la psychanalyse (remarque sur le fait qu’aujourd’hui nous sommes dans des gadgets, la langue des signes ici, l’organisation de l’espace là, le programme, la section). L’empathie n’est pas la bientraitance.

    Ce bébé a déjà une longue histoire. On respect son altérité. On ne peut pas se substituer à l’autre. On apporte plus que la compassion, la bienveillance, l’empathie. Ce trait d’union (bien-traitance) est un nouveau concept qui inclut tous les autres. C’est un respect qui change les manières de faire et de dire.  »

    Danielle Rapoport fait ensuite une digression sur le placenta  :

    «  Le père fait que la mère accepte la greffe de l’embryon. Dans les incompatibilités foeto maternelles… qu’est-ce qui fait que cette femme accepte la greffe du corps étranger qu’est le bébé  ? C’est le père qui déclenche les hormones. Le père construit l’autre tiers, le placenta. Le placenta sépare la mère du bébé. Il ne peut se développer que grâce au génome paternel. Il est à l’intérieur de vous quand vous portez un bébé.  » A noter que le placenta fascine depuis longtemps les psychanalystes (Danielle Rapoport n’est pas psychanalyste mais quasiment toutes ses références le sont) et qu’ils ont élaboré plusieurs théories biologiques à son sujet, théories qui sont la plupart du temps invalidées par la science.

    Ces enfants qu’on «  adultise  »

    Danielle Rapoport évoque ensuite le langage.

    «  Les bébés commencent à parler avec vous à un âge qu’ils vont totalement oublier. Le bébé met trois ans pour passer de la syllabe à la phrase. Arrêtons de l’adultiser. Essayons de nous souvenir de ce premier mot. C’est sans arrêt qu’on décode l’autre. Soyons d’abord dans l’être en relation. Parlons bébé à un bébé. C’est fou cette histoire. On se met à oublier qu’il y a de l’infantile avant l’enfant. Les parents ne peuvent donner aux enfants que 2 choses, des racines et des ailes.Vous êtes détenteurs de cette bientraitance du langage bébé.  »

    La psychologue rappelle qu’elle s’est occupée des bébés Leboyer (naissance sans violence) puis elle revient à son analyse historique  :

    «  Avec mai 68, les crèches se sont transformées. On a accepté les parents. Les crèches  étaient des univers si blancs, si médicalisés. Il y a eu le printemps des crèches en mai 68. Les parents sont entrés dans crèches et n’en sont pas sortis. Après 68 on a pu parler de l’éveil du tout petit, du plaisir partagé.  (…)  Le mot accueil a été inventé par Jeanine Levy pour les enfants porteurs de handicaps. C’est elle également qui invente le mot intégration. Il est injuste que Jeanine Levy ne soit pas plus nommée. C’est très important de savoir d’où les choses viennent. Comme on ne vous enseigne pas suffisamment la psychanalyse, vous apprenez beaucoup de choses passionnantes mais le sens très profond par rapport à votre histoire, à ce qui vous entoure, est effacé.  »

    Puis petit coup de griffe  : «  On en a eu assez de dire comment il faut faire. On se fait tellement d’argent sur la formation. Vous ne partirez pas avec des recettes. Vous venez chercher du sens, une manière d’être, de se poser, de se reposer.  »

    Nouveau regard critique sur l’époque  :

    «  Les crèches sont devenus les lieux de socialisation primaire. La meilleure socialisation pour un bébé c’est sa famille, ses voisins, le petit chat.  On n’a plus le droit à la petite enfance en ce moment. Elle est oubliée. On adultise les enfants. On les saoûle au nom de Dolto. Alors qu’elle même s’offusquait  : «  je n’ai jamais dit qu’il faut parler aux enfants  !». Avec Françoise Dolto et René Clément, nous préparions un colloque sur la parole magique. «  Ce n’est pas une parole magique de parler à un enfant comme ça pour le saoûler  » disait Françoise Dolto. Elle m’a dit  :  «  Enlevez «  on les soûle en mon nom  », dites que «  parler ne veut pas dire  »  ». J’essaie de rétablir ces trois premières années oubliées (les 0-3 ans), par Morano, Tabarot, Hollande, par notre culture actuelle. J’essaie de rétablir le droit d’être un enfant.  »

    Au départ, l’opération pouponnière

    Puis Danielle Rapoport enchaîne sur la maltraitance institutionnelle  avec l’exemple de la Roumanie et, pour la France  du «  dépôt de l’aide sociale à l’enfance  ».

    «  En 79 on a vu le film «  enfants en pouponnière demandent assistance  » qui est une horreur. Après ça ce fut le lancement de l’opération pouponnière. Simone Veil monte au créneau  :«  Je ferme toutes les pouponnières si elles ne se transforment pas  ». On a assisté à l’humanisation de la pédiatrie, à la transformation des crèches. A l’époque on enseignait Piaget et Brazelton.

    Il faut comprendre tout ce que ces grands maîtres nous ont dit.

    L’opération pouponnière s’est terminée. Tous ces concepts nous construisent. Mais ensuite ces concepts se heurtent à quelque chose d’incroyable. On avait oublié les parents. On avait créé une structure de protection de l’enfance à Trousseau avec Anne Roubergue (voir le livre «  La croissance empêchée, une maltraitance méconnue  »). Il faut avoir une approche bien-traitante des parents maltraitants.

    Même quand le juge interdit aux parents de rendre visite aux enfants, on invente les visites accompagnées. De cette façon les parents vont continuer à voir leur bébé et leur enfant. C’est très compliqué. On a repris l’opération pouponnière en intégrant les parents. Phase très dure. Comment réussir à casser la corrélation  ? A permettre la résilience  ? Comment aider les parents à guérir de la maltraitance sur leur enfant  ?

    Après tout ça on en a eu marre de ce mot «  maltraitance  ». Alors on commence à appeler ça bien- traitance. C’est Marie Jeanne Reichen, à l’époque rattachée au bureau Enfance et famille du ministère des Affaires sociales qui a eu l’idée. On a mis un trait d’union sinon ça allait devenir un slogan, des chartes, des programmes, l’axe du jugement entre le bien et le mal faire.

    Réfléchissons au trait d’union entre conscient, inconscient, psychanalyse, épigénétique, neurosciences.  »

    Danielle Rapoport revient sur ce qui semble être décidément son cheval de bataille  :

    «  Pourquoi on adultise les enfants  aujourd’hui  ? Voici un courrier reçu, au sujet d’un bébé de 4 mois. «  Il est capricieux, il pleure, il le fait exprès  ». C’est effrayant. Je sais qu’on a tellement fait pour les compétences, que les jeux sont tellement sophistiqués. La TV avant trois ans est une catastrophe.

    Les psychanalystes ont compris ce qu’est la petite enfance.

    Maisons ouvertes, multi accueil, crèches, assistantes maternelles… vous êtes les remparts de la spécificité. Ne les perdez pas, ne mettez pas des programmes.  »

    Un regard pluriel sur les pratiques

    Christine Schuhl, éducatrice de jeunes enfants, diplômée en sciences de l’éducation, formatrice et conseillère pédagogique a succédé à Danielle Rapoport à la tribune. Voici également le contenu, non intégral, de son intervention.

    «  On ne peut pas avoir une lecture unilatérale des terrains. La lecture à plusieurs regards est passionnante. Mettre nos connaissances sur des regards croisés. J’ai un regard pédagogiques. On ne peut pas avoir une seule lecture. La lecture psychologique n’est pas la seule possible. Il faut voir du côté de la sociologie, de la pédagogie, de la philosophie. Je suis EJE de formation montessorienne. Cette pédagogie m’a aidée à décortiquer. Je fais du debriefing tout de suite après l’observation. Je ne suis pas là pour voir que ce qui dysfonctionne.

    Par exemple  : j’observe un repas. Les enfants ne posent pas les pieds au sol et ils déjeunent deux par deux. J’interroge  : Y a t-il moyen de faire autrement  ? Enfant est-il bien installé  ? Etes-vous bien installée  ?  » On décortique tous les éléments qui composent la scène.

    Nous ne sommes pas théoriciens dans l’âme. Il faut connaître les théories, lire, se former. Mais sur le terrain, le bon sens compte aussi, et le bon sens collectif. Il y a un saut à faire entre la théorie et le quotidien, ce n’est pas évident. Faire appel à la cohérence de l’équipe. Je ne dis pas aux équipes «  aujourd’hui on travaille dans une démarche de bien traitance  ». Je suis plus tournée vers la bienveillance. Les enjeux de la collectivité  sont énormes. Le sens de la collectivité pour l’enfant n’existe pas avant 18 mois. Il va y avoir un moment périlleux avant. Ce n’est pas évident pour lui.

    J’accompagne 3 établissements  : du multi accueil pour des assistantes maternelles et 2 crèches hospitalières (180 lits), qui font du 6h15-21h30, 7jours sur 7. Toutes les problématiques vous les avez ici, concentrées. »

    Avant toute chose, poser le cadre

    « Parmi les enfants accueillis il y a un noyau avec des horaires classiques mais tout le reste bouge. Si vous avez une équipe d’encadrement qui tient la route, si elle est au clair, si c’est concret, si le cadre posé au départ par rapport à des postures existe, ça va. Comme «  j’ai un enfant, je me mets à sa hauteur  ». Ou prendre le temps de regarder ce qu’il fait, adapter le rythme de l’adulte au rythme de l’enfant. On signifie ce qu’on fait à l’enfant mais on ne rentre pas dans de gros développements. Au début les bébés comprennent la tonalité plus que le sens des mots.

    Les équipes d’encadrement posent des valeurs et des cadres et sont là pour entendre les difficultés. Il est fatigant et endurant de travailler avec des tout-petits.

    La semaine dernière, je préparais une journée pédagogique installée dans une salle d’une crèche. Dans la pièce d’à côté, séparée par une vitre, on a vu une professionnelle arriver avec un groupe de 6 enfants de 2 ans. Pas un bruit à part le cloc cloc de la cuillère. On a regardé. 35 minutes sans un bruit d’enfant ou d’adulte. Puis  : «  Maintenant on sort, je ne veux pas vous entendre  ». Ce n’est pas adéquat. Elle ne laissait pas le choix. Elle était debout, comme une chape au-dessus des enfants.

    Il faut être dans la capacité de dire à sa collègue «  ça ce n’est pas adéquat  » sans que la collègue fonde en larmes et dise «  tu ne m’aimes plus  ». Il faut travailler sur le vrai besoin de l’enfant. On a été sur une ère où tout était à hauteur d’adulte et on est passé à l’inverse  : on fait tout par terre. On a oublié la place de l’adulte. La bienveillance se construit dans la posture, par rapport à l’environnement dans lequel on travaille. Aujourd’hui dans une salle de vie dans une crèche, rien n’est pensé pour l’adulte. On dit aux professionnelles  : «  il faut être au tapis  ». Oui mais pas complètement affalée sur le tapis.

    Les neurosciences m’ont rassurée  : l’enfant n’est pas dans la préméditation. L’enfant sent très bien quand on n’est pas ici et maintenant. Aujourd’hui on fait des formations de pleine conscience pour retrouver ce sentiment de la petite enfance. L’enfant a un esprit scientifique  : répétition, imitation, observation, expérimentation. L’enfant qui par obstination continue quelque chose qui ne nous convient pas il ne le fait pas pour nous embêter mais pour vérifier. Ce n’est pas un caprice. Un enfant ne pense pas comme un adulte.  L’ado est dans la préméditation, l’enfant de 7 à 8 ans aussi.  »

    Donner la priorité à la sécurité affective de l’enfant

    «  Le doudou dans le lit, c’est une histoire intemporelle. Ere où tout le monde en a un. Au départ, c’est bien l’adulte qui donne le doudou. L’enfant se l’approprie ou pas. Il y a l’approche sensorielle  : l’odeur qui offre une bulle. Le doudou sécurise. Si le doudou est en hauteur, c’est adulte qui décide. Laisser le doudou à disposition permet d’avoir un baromètre émotionnel de l’enfant. Spontanément l’enfant porte le bon doudou à celui qui en a besoin. Quand ils n’auront plus de doudou ils auront… un téléphone portable. Ca doit être notre obsession  : l’enfant a besoin de sécurité affective. Il faut l’évaluer. Privilégier les petits groupes.  

    Qu’est-ce qui se dit en présence des enfants, au-dessus de leur tête  ? Quand il y a eu Charlie, les professionnelles ont dit «  tout le monde en a parlé, en présence des enfants  ». Là, elles ne l’ont pas fait car tout le monde était tellement sidéré, impossible d’en parler. Il faut surprotéger les enfants. Surtout dans une collectivité. Il est compliqué de vivre avec la frustration de ne pas pouvoir être dans les bras, de voir les adultes qui vont et viennent, les interactions qui cessent brutalement.

    Il faut se remettre en question, avoir des temps de parole et d’échange. Le jour où on cherche on est dans une démarche professionnelle, plus que le jour où on a trouvé.  Tout a de l’importance dans la relation à l’enfant  : vos postures, regards, cadences, gestes, manière de parler, intention, capacité à être là, toute la communication non verbale. Il est important de prendre du temps, de discuter tout ça en équipe, de réadapter en permanence.

    L’EJE est la garantie du choix pédagogique. Ce choix doit être porté, questionné. Si chacun part sur ses inspirations, il est difficile d’être dans collectivité. Il y a des zones d’influence. On a impression d’être plus efficace quand on est dans la douce violence parce qu’en face, ça va vite, ça ne bronche pas. »

    Retrouver le goût de l’émerveillement…pour une pédagogie du bonheur

    Dans la salle, intervention de Carole Vanhoutte, orthophoniste  :

    «  L’enfant doit vérifier tout l’environnement physique avant de pouvoir faire de la mise en mots. Donc les professionnels doivent permettre les expérimentations. Nous voyons des enfants qui ont 21 mois qui ne sont pas dans la communication. Qu’est-ce qui se passe  ? Pourquoi sont-ils aussi vides  ? Votre mission c’est de garantir que vous pouvez assurer cette sécurité là aussi. La société va très vite, on demande beaucoup de choses aux parents. Ils ont besoin de temps pour expérimenter. On est confronté à ces difficultés d’adultes qui ne s’émerveillent pas de ce que fait l’enfant.» (Carole Vanhoutte est intervenue plus tard en tant que conférencière dans un autre colloque Zoeki dont vous trouverez également le compte-rendu sur GYNGER)

    Christine Schuhl  :

    «  On a fait entrer parents à l’intérieur des crèches et on s’est dit  : comment va être interprété notre travail  ? Il faut qu’on se justifie. Donc il faut faire un maximum d’activités. Logiquement, vous êtes des professionnels, quand on vous a recrutés, on vous a reconnus dans vos compétences. Pas besoin de vous justifier. Si vous dites il y aura cours d’anglais, de piano, vous créez le besoin. L’activisme est une vraie menace. La notion d’émerveillement est très importante. Il faut imaginer des choses qui n’existent pas. Sur tous les jeux on voit écrit «  éducatif  ». On ne peut pas avoir «  émerveillement  »  ? Que le jeu soit là juste pour le plaisir de jouer  ? J’en discutais avec une collègue. Je n’aime pas les enfants d’un amour filial mais ils m’émerveillent. Sur ce qu’ils sont capables de comprendre, de partager, de transmettre. Arrêtez de bouger. On est tout le temps dans le mouvement.  »

    Intervention d’une cadre coordinatrice de crèche en hospitalière  : «  Tout ce que avez décrit, je le vis. On est dans la maltraitance.  »

    Une assistante maternelle indépendante  : «  Beaucoup d’assistantes maternelles n’ont jamais pensé à l’espace de travail. Ce n’est pas du tout réfléchi. Or c’est primordial.  »

    Une question est posée dans la salle sur le fait d’installer un enfant à table sur chaise.

    Une spécialiste des neurosciences, elle aussi dans la salle, répond: «  L’enfant est en construction. S’asseoir sur une chaise, c’est ce qui est le moins naturel pour lui. C’est une recherche d’équilibre permanente. Les petits qu’on installe devant une table avec des accoudoirs, on les voit se lever pour se reposer. Les trois premières années, il est plus stable par terre. La chaise est très contraignante.  »

    Christine Schuhl  : «  A minima, il faut avoir un reposoir pour les pieds.  »

    Elle conclut  : «  On se doit d’avoir une pédagogie du bonheur. D’ici qu’ils grandissent on aura peut-être résolu les maux de notre société. On a un devoir de bonheur.  »

    Bien traiter les professionnels pour leur permettre d’être bien-traitants

    Troisième intervention de la journée  : Licka Sarr, infirmière puéricultrice, formatrice petite-enfance, sur le thème «  la bien-traitance des professionnels essentielle dans la petite enfance  ».

    «  Comment prouver qu’on est capable d’être bienveillant  ? Il y a l’absentéisme, on me dit «  c’est facile à dire, pas facile à faire  ». La personne qu’on recrute  c’est une professionnelle censée pouvoir apporter une fraîcheur. Parfois on veut accueillir un clone de la personne partie. La professionnelle peut se sentir frustrée de ne pas pouvoir apporter ce qu’elle a fait avant. On dit souvent «  tu vas observer pendant une semaine ou dix jours  ». Mais ça veut dire quoi observer  ? Elle peut avoir l’impression d’être une plante verte. Ce n’est pas forcément la meilleure façon d’entrer en contact avec un groupe d’enfants ou avec ses collègues. Il faut faire entendre à la collègue qu’elle est attendue. Pour l’enfant qu’on accueille on s’attache à ses habitudes de vie pour proposer une continuité. Pour l’accueil des professionnels on attend juste qu’elle fasse comme on fait nous, et du coup il n’y a plus de continuité.

    Ce qui compte beaucoup quand on s’adresse à l’enfant c’est la tonalité. C’est pareil pour des adultes. Certains messages sont difficiles à passer auprès des équipes car les choses ne sont pas forcément dites au bon moment.

    J’ai eu l’occasion d’ouvrir une dizaine de crèches. Il est important d’instituer dès le départ des réunions. Il faut poser le cadre. Les directeurs sont le garde-fou. Les professionnels doivent se sentir soutenus et valorisés. Elles doutent de ce qu’elles ont mis en place. Si elles se sont posées la question de ce qui est bien ou pas, du coup, forcément, on fait bien. »

    Melinda, étudiante EJE en 3ème année  :

    «  On nous a conseillé de demander aux collègues qui nous accueillent quelles sont leurs représentations de notre métier. Et de partir de leurs représentations».

    Licka  Sarr répond: «  oui mais il ne s’agit pas de vous fondre totalement dans les représentations. Accordez vous de pouvoir dire ce que vous pouvez apporter. Une touche de fraîcheur, encore une fois.  »

    Dans la salle, une responsable d’un multi-accueil  s’exprime à son tour: «  je suis la déesse de la fertilité. Dans ma structure elles arrivent et partent toutes en congé mater. A chaque fois on accueille une nouvelle collègue qui ne reste que six mois. Ce n’est pas facile.  »

    Catherine, psychologue, intervient  : «  en crèche on est les champions de l’accueil. On a des modèles pédagogiques, éducatifs. Des outils pour maintenir la continuité. C’est fou tout ce qu’on doit à Loczy. Si on nous demandait davantage notre avis, il y aurait moins de problèmes en général.»

    Plus tard, elle livre cette anecdote  :

    «  Je travaillais dans une très grande crèche. Je vois arriver une EJE affolée. Va vite voir Louisette, une auxiliaire, elle est en larmes. Tout le monde pleure parce qu’elle s’en va. Elle avait fait un remplacement de deux ou trois mois. Quelqu’un qui remplace on le sait dès le démarrage. Il y a l’idée que dans les crèches on est dans un bulle, on oublie de forger les outils, de parler de certaines choses. La réalité il faut la connaître. Les auxiliaires ont du travail, ce sont des femmes, elles font des bébés. C’est la réalité.  »

    Pas facile d’accueillir de façon individualisée sous la pression du taux de remplissage

    Licka Sarr reprend la parole  :

    «  Dans une crèche lambda où tous les parents travaillent, il est plus difficile de mobiliser les professionnels sur des projets. Paradoxalement, c’est plus évident en multi accueil, en partenariat avec des centres sociaux.  »

    Catherine, la psychologue a une explication  : «  Nécessité fait loi. Face à des situations graves on se sert les coudes. Trouver de l’entraide dans un contexte de quelqu’un qui demande de l’aide c’est plus facile. Sinon on peut s’endormir dans l’évidence.  »

    Un EJE qui travaille avec des jeunes en grande difficulté (ASE)  : «  Certaines familles ont sentiment qu’on prend leur place. Il n’est pas évident de faire comprendre qu’on est dans un travail en commun. Garder l’intérêt de l’enfant au cœur des problématiques c’est le plus important. Certains professionnels sont grains de sable plutôt que goutte d’huile. »

    Une autre EJE, directrice adjointe en crèche collective, rebondit  : «  Bien accueillir, accompagner, avoir un projet d’accueil individualisé, d’accord. Mais il faut trouver la bonne limite. Par rapport aux familles et aux équipes, si on est trop présent, on ne laisse plus en situation d’autonomie, on se retrouve en situation d’assistanat. Il ne faut pas être dans le sur accueil ou le sur accompagnement. Ca a des incidences. Par exemple, quand on accompagne des familles sur des notions pédagogiques et éducatives, le parent passe pour dire au-revoir, et il glisse «  au fait juste pour vous dire la semaine prochaine, il sera en congé  ». Pour tout ce qui est administratif, il faut toujours rappeler la règle, le cadre. On a plus besoin de le rappeler quand on est dans le sur accompagnement.  » (Au sujet de l’accompagnement des familles, voir notre compte-rendu du précédent colloque Zoeki)

    Licka Sarr  : «  Comment accompagner les professionnels avec les gros mots comme «  optimisation  », «  forcing  », «  remplissage  », «  caf  »  ? Ce sont des réalités, il faut faire avec.  »

    Une auxiliaire de puériculture en crèche privée acquiesce  : «  Au départ ma directrice avait du mal avec les effectifs. Maintenant, à chaque foi qu’un enfant est absent, on tourne avec des occasionnels. On a des enfants en liste d’attente qui viennent remplacer. C’est plutôt une réussite.  »

    Le libre choix du mode d’accueil, un leurre

    Lors de la table-ronde suivante, une assistante maternelle évoque la politique des modes d’accueil  :

    «  Pendant des années on a mis en balance les assistantes maternelles et le collectif. C’est dommage. Ca dépend de la famille, de l’enfant. J’aimerais qu’un jour on puisse travailler ensemble pour le bien être de l’enfant et des familles.»

    Dans la salle, une puéricultrice renchérit  : «  Quand je venais d’être diplômée, en théorie les familles pouvaient choisir leur mode de garde. Quand on refuse à des familles aisées une place en crèche parce qu’ils ont les moyens d’avoir une nounou à domicile, on ne peut plus parler de choix. A contrario une famille avec des petits revenus ne peut pas choisir l’assistante maternelle qui lui coûterait trop cher.  »

    Une responsable de structure livre son expérience  : «  Effectivement en théorie, on devrait pouvoir choisir. Je suis responsable de structure et je participe aux commissions crèches. Quand les parents choisissaient, les parents voulaient absolument la collectivité. D’où le problème du taux d’occupation des assistantes maternelles. Il a été décidé que le parents n’avaient plus le choix. Ils faisaient une demande et on répondait. S’il y avait une demande de 4 ou 5 jours par semaine c’était la crèche. Si la demande était inférieure ou égale 3 jours on mettait en crèche familiale. Il faut bien que les assistantes maternelles travaillent. Donc on ne laisse plus les familles choisir. Aujourd’hui avec les associations, les fédérations, les RAM, le métier est plus sécurisé.  »

    A noter que cela fait longtemps, dans les grandes agglomérations comme dans les zones rurales, que pour les familles la question du libre choix du mode de garde (selon l’intitulé de l’allocation versée par la CAF) est un leurre. Le choix entre accueil individuel ou collectif est une réalité à l’échelle nationale, plus rarement à l’échelle locale. Or, respecter le choix initial d’une famille, c’est peut-être là que commence la bientraitance.

     


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