• Doudou "or not to do" (Jacky Israël ERES)

     Doudou "or not to do"

    (Jacky Israël ERES)

     Si le doudou est un objet transitionnel par excellence et que « Winnicott » n’en est pas un, il est indéniable que son usage est reconnu et largement accepté. Le doudou ne dérange pas, alors que la tétine provoque parfois des réactions qui mériteraient l’éclairage d’un bon psychanalyste, du moins en ce qui me concerne. Pourtant, certaines histoires nous laissent perplexes, notamment les femmes qui emmènent leur doudou en maternité ou celles qui prétendent que leur bébé ne peut s’endormir que contre elle, en les « tripatouillant » comme un doudou. Les risques induits par les pratiques du corps à corps et du peau à peau prolongées au-delà de la période néonatale ne laissent guère de place au doudou et encore moins à la séparation. Il est donc important de faire le point sur les bébés d’aujourd’hui et de lever le voile sur les obstacles qui se mettent en travers de la fonction émancipatrice du doudou afin de lui redonner la place qu’il mérite.

     

    Pouce, tétine, doudou ?

     Attitude des parents

     Contrairement à ce qui se passe pour la tétine, voire le pouce, il est rarequ’une maman demande au pédiatre s’il est favorable (ou non) au doudou. Autant les nouveaux parents ont besoin de l’approbation d’un professionnel pour donner ou non la tétine, autant ils décident d’eux-mêmes  pour le pouce ou le doudou. La lutte est souvent rude pour empêcher un bébé de prendre son pouce quand la tétine lui est imposée de gré ou de force. Cette attitude est cautionnée par l’obsession des dentistes « branchés » pour éviter les déformations des arcs dentaires, et devient le fantasme des parents. Quant au futur doudou, il est souvent proposé dès la naissance. C’est  ainsi que bébé se retrouve, qu’il le veuille ou non, avec une ou plusieurs peluches à ses côtés 24 heures sur 24. Le choix n’est possible que quand il y en a plusieurs, ce qui est loin d’être la règle. Par ailleurs, l’usage de morceaux de tissu imprégnés par l’odeur de la mère pour maintenir sa  présence et rassurer bébé, notamment pour dormir, est très répandu. Que ce soient les médias ou les professionnels en maternité, tout est fait pour encourager cette pratique afin d’assurer la continuité périnatale.

    Par la suite, le doudou peut être introduit au bout de quelques mois, voire plus tard, entre 6 mois et 1 an. C’est à la période de séparation qu’il trouve sa véritable justification, quand les parents appréhendent les pleurs du coucher, qui sont une véritable « angoisse » pour eux (et pas nécessairement pour leur bébé).

     

    La demande du bébé ?

     C’est vers 3 mois que bébé peut se saisir d’un tissu et s’en servir de doudou. Actuellement, l’usage des draps est proscrit et les mères utilisent de moins en moins les tissus en coton pour essuyer les traces de régurgitation, ce qui limite les possibilités de découvrir un objet transitionnel après la naissance. Par chance, les parents attentifs repèrent plus ou moins tôt le plaisir qu’éprouve bébé à toucher certaines matières ou son besoin de se mettre quelque chose sur le visage pour dormir. C’est vers 6 mois que les us et coutumes introduisent le doudou, à condition d’exclure les mères qui inondent leur bébé de multiples peluches afin qu’il (ne) puisse (pas) choisir et celles qui ne veulent pas qu’il en ait un. Bébé est capable non seulement de choisir, mais également de prendre l’initiative sans l’aide de ses proches. Il ne peut cependant se soustraire à certaines traditions familiales qui se perpétuent aussi à travers le doudou : « Tu feras comme ta maman ou ton papa.»

     

    Propositions du pédiatre ?

     N’ayant pas fait de recherche et encore moins d’évaluation de la pratique pédiatrique au sujet du doudou, ce qui est particulièrement critiquable à l’heure actuelle…, je ne pourrais témoigner que de ma propre attitude. En questionnant systématiquement sur la manière dont le doudou a été introduit, j’ai eu la confirmation rétrospective de ma passivité. À quelques exceptions près où le doudou a été proposé en tant qu’objet transitionnel lors de difficultés du sommeil, je n’ai jamais été l’instigateur de cette pratique, ce qui est bien dommage, comme va le montrer la suite.

     

    Témoignage : « L’ange gardien »

     « Des doudous, j’ai dû en acheter une bonne dizaine. Pour moi, que mes enfants en aient besoin d’un ne faisait pas l’ombre d’un doute. Je me disais simplement que je ne leur avais pas trouvé le bon. À plusieurs reprises, je me suis inspirée de ceux qu’avaient les enfants de mes copines. Sans grand succès ! Ils ont tous fini dans le bac de rangement. Pourtant, à 18 mois et 3 ans et demi, mes garçons ont tous les deux le même doudou. S’il leur est indispensable pour s’endormir, il l’est tout autant pour la prise du biberon, du petit-déjeuner ou du goûter. Il est d’un grand réconfort lors d’un chagrin et également sollicité pour regarder les dessins animés. Jusque-là, rien d’extraordinaire, si ce n’est que ce superdoudou, ce sont mes cheveux. Ils les tiraillent à longueur de journée et je ne vous parle pas de la nuit. Eh oui, mes enfants dorment avec moi, ce qui  fait enrager mon pédiatre : un à gauche, l’autre à droite, et c’est parti pour une nuit peu paisible. Parfois je me demande s’ils ne font pas un concours pour savoir lequel des deux tire le plus fort.

     Quoi qu’il en soit, bientôt ils devront se trouver un nouveau doudou car on m’a vivement conseillé de mettre fin à tout ça et de leur faire réintégrer leur chambre. Je vais donc ressortir toutes ces belles peluches si douces qui ont pourtant fait leurs preuves auprès d’autres petits. »

     

    Mère doudou ou bébé doudou ?

    Ce témoignage fait suite à un premier témoignage sur le sommeil partagé entre cette maman et son premier enfant, Ange 1. Il montre combien il est difficile de mettre fin à cette pratique quand le plaisir est de la partie, et pas nécessairement du côté que l’on croit. Le problème est qu’il est impossible de supprimer cette (inter) dépendance sans proposer d’alternative avec de nouveaux bénéfices. Pour ce qui est du bébé, le doudou pourrait y pourvoir mais pour la maman, quelle serait la solution ?

     

     La proximité est « tendance »

    Plutôt que de jeter la pierre à cette maman et de la culpabiliser une fois de plus (ce que je n’ai pas manqué de faire depuis trois ans que nous nous connaissons), il paraît intéressant d’intégrer cette problématique dans un contexte particulier : la séparation mère-enfant. La tendance actuelle  favorisant la proximité physique (peau à peau, portage) et psychique (réponse à la demande) n’est pas sans conséquences sur les difficultés de séparation ultérieures. Si le but est de sécuriser le nouveau-né et de rassurer sa mère quant à ses compétences, le plaisir tiré de ces contacts rend  difficile la mise à distance, notamment quand elle est imposée par le pédiatre ou les proches, et qu’elle aboutit à des pleurs violents.

     

    Obstacles à la séparation

     Différentes situations peuvent favoriser la poursuite de cette pratique ou empêcher l’évolution normale de la relation. La plus ordinaire, c’est la reprise du travail au moment où la mère commence à peine à récupérer du post-partum et à profiter de son bébé. Si le temps peut paraître extrêmement long au bébé quand il ne voit pas sa mère de toute la journée 2, celle-ci partage souvent ce manque. Quoi de plus naturel alors, lors des retrouvailles, que de rechercher cette relation fusionnelle, pour ne pas dire charnelle, afin de le combler.
    Si entre 3 et 6 mois bébé découvre d’autres sources de plaisir que le contact de sa maman ou de son papa, il va devoir affronter un obstacle difficile vers 6 mois, à savoir la prise de conscience de la véritable séparation. Quand il éprouvera « la perte », il aura bien du mal à se coucher le soir sans pleurer et sa maman ne pourra résister à cette impression de détresse, voire de souffrance, après une dure journée de travail. À l’évidence, le doudou n’a guère de place dans cette relation où la difficulté est partagée, notamment quand le père ne peut y mettre fin. Quoi de plus normal que de se retrouver dans les bras l’un de l’autre pour, au mieux, endormir bébé ou, au pire, passer la nuit avec lui. Il importe toutefois d’évoquer des problématiques plus lourdes qui empêchent une séparation normale ou qui favorisent la fusion, même si celle-ci peut être un passage obligé 3. Lors de difficultés de procréation, une attente trop longue peut avoir des conséquences non négligeables sur la relation entre les parents et l’enfant. Il en est de même quand un enfant naît après un deuil périnatal, qu’il s’agisse d’une grossesse précédente ou de la disparition d’un proche. Suite à une assistance médicale à la procréation, il va être impossible de quitter le bébé des yeux pendant des mois, voire des années, de peur qu’il ne disparaisse, alors qu’après un
    deuil, le bébé devra combler un autre vide. Que ce soit dans un cas ou dans l’autre, il va être difficile à bébé d’échapper à cette emprise, au point d’en devenir dépendant et de ne pouvoir s’en passer. Si l’introduction d’un doudou paraît illusoire, on peut toutefois se poser la question suivante : « Qui est le doudou de qui ? » N’est-ce pas le bébé qui sert de  paravent, pour cacher des difficultés non élaborées 4 ? Quand à la dépression du post-partum, elle n’est pas toujours évidente à diagnostiquer, et c’est souvent le bébé qui la signale de manière indirecte et violente par ses pleurs et ses troubles du sommeil qui amènent parfois les professionnels à se tromper de cible quand ils ne traitent que l’enfant. Toujours est-il que bébé demande sans arrêt le contact pour retrouver un minimum de sécurité et que, là encore, il lui sera impossible de se séparer avec un doudou tant qu’il n’aura pas retrouvé sa mère. Si le doudou est censé représenter la maman tout en étant un objet possédé par le bébé sans être ni lui ni elle, force est de constater qu’il n’a aucune place pour s’immiscer entre la mère et son bébé dans ces différentes situations. Il irait à l’encontre de cette non-dissociation de la mère avec son enfant (allant jusqu’à la possession) en favorisant l’individuation du bébé. De là à pouvoir imaginer que la mère puisse se substituer au doudou, ce serait un contresens parfait. En effet, l’inverse paraît plus probable quand on y réfléchit. Que bébé serve de doudou à sa mère, cela sous-entendrait qu’elle se projette dans sa petite enfance à elle, ce qui laisse interrogateur quand au « pourquoi du comment ». La question qui se pose est de savoir en quoi bébé va la protéger (de son histoire), ou lui servir d’objet transitionnel, si ce n’est entre elle et son image narcissique, son miroir. Cela n’est sans doute pas de ma compétence de pédiatre mais de celle du psychanalyste, et interroge quant à la place du père, de l’homme et sans nul doute quant au devenir de l’enfant érotisé. Le père Jusque-là, sa place n’est pas très claire puisqu’il n’apparaît pas dans le choix du doudou et encore moins dans les difficultés de séparation entre la mère et le bébé. S’il est impossible d’interposer doudou dans la dyade mère-bébé, c’est la triade familiale, avec d’un côté le couple parental et bébé de l’autre, qui permettra de l’introduire. Mais, les nouveaux pères ont bien du mal à trouver leur place face à l’émancipation actuelle des femmes, sans compter ceux qui s’en donnent à coeur joie pour se « materner » avec leur bébé.
    Les pères-mères Les hommes recherchent à leur tour l’égalité, ils ont de plus en plus tendance à exprimer la part féminine qui est en eux. En revendiquant haut et fort leur fonction de père auprès du nouveau-né, ils sont très présents pour favoriser une reconnaissance de fait que l’état civil ne leur donne plus. Les pères actuels ne partagent pas pour autant toutes les tâches de manière équilibrée et ce, au grand dam des féministes militantes, mais ils se laissent enfin aller avec leur bébé. L’inconvénient, c’est que certains vont trop loin dans la relation au profit d’un corps à corps dont ils ont été frustrés, soit dans leur propre enfance, soit durant la grossesse, soit pour d’autres raisons. C’est ainsi que l’on voit en consultation des pères qui maternent (et se maternent à travers) leur bébé. Ils sont dans les mêmes prédispositions qu’une mère « suffisamment bonne » au sens de Winnicott 5, ce qui laisse augurer de leurs attentes et des pressions qu’ils exercent sur leur bébé. Si cette attitude n’est pas préjudiciable les premiers mois, sa persistance risque d’entraîner bien des inconvénients par la suite. Pas question de doudou, si ces pères, dont certains s’arrangent pour être le plus présent possible, voire assurent la garde complète, répondent à toutes les demandes à la seconde et ce pendant des mois, pour éviter le moindre pleur. En effet, la séparation n’est pas envisageable si le bébé devient une sorte de thérapeute du papa, qui non seulement réalise certains fantasmes de grossesse (peut-être extracorporelle), mais se fait cautionner par les interprétations sauvages de son environnement et des médias en vogue qui n’ont rien compris aux droits de l’enfant, à l’attachement et encore moins aux paroles de Françoise Dolto. Au mieux, le bébé attend le retour du père le soir pour s’endormir ou se réveille quand il arrive et, au pire, il va partager la chambre ou le lit de ses parents. Enfin, il n’est pas rare que la mère finisse par souffrir de cette situation et se plaigne de ne plus avoir de place auprès de son enfant, mais cela mettra du temps pour qu’elle s’en rende compte, et il sera souvent trop tard pour y remédier. Doit-on pour autant jeter l’anathème sur les pères qui se laissent aller à la rencontre de leur bébé et qui, pour la plupart, sauront prendre la distance nécessaire par la suite ? Les pères aussi peuvent être sous l’emprise du post-partum sans pour autant quitter femme et enfant… ou revendiquer la garde alternée en cas de séparation. Le père séparateur De manière plus classique, le père est avant tout l’homme de la femme avant d’être papa. Il paraît donc important de situer le développement du bébé dans cet environnement parental où la sexualité 6 joue un rôle non négligeable. Si les premiers mois la fusion 7 entre la mère et le bébé empêche ou entrave la sexualité du couple, c’est sa reprise qui permet à la mère de prendre de la distance et de retrouver un espace à elle. En pratique, ce n’est pas aussi simple, il faut réunir certaines conditions dont l’accordage entre la mère et le bébé n’est pas la moindre. La place qu’occupe l’homme aux yeux de la femme avant la grossesse y compte pour beaucoup et contribue à l’ouverture de la dyade mère-bébé, à condition qu’il soit présent et participe. Le simple fait que la mère puisse s’appuyer sur lui, se réfugier dans ses bras, tout cela participe à sa prise de confiance et à sa sortie du post-partum. Par la suite, quand bébé va prendre conscience de la séparation, le père, en se montrant moins vulnérable et plus contenant (dans le sens des limites à donner), facilitera la séparation du soir et évitera le sommeil partagé 8. Tous les professionnels de la petite enfance sont confrontés aux problèmes de sommeil des tout-petits et sont sans doute d’accord sur le fait qu’ils sont plus facilement résolus quand le père soutient sa compagne, et facilite le coucher malgré les pleurs. Pour revenir au témoignage, le papa d’Ange travaille de nuit, ce qui empêche toute participation au coucher et toute intervention séparatrice. L’absence physique du père peut favoriser ces situations où les mères se sentent incapables de mettre fin à une cohabitation nocturne asymétrique, encore appelée cosleeping. Dans ce cas, il semble bien que le bébé fasse office de substitut et puisse devenir objet d’érotisation de la part de la mère, ce qui n’est pas anodin. L’absence de place Pour certains hommes, quels que soient les sentiments qui les lient à leur femme, l’arrivée d’un bébé peut tout bouleverser. Ils ont beau vouloir prendre leur place, ils n’y parviennent pas, et finissent soit par accepter cet état de fait, soit par quitter le domicile conjugal, parfois après bien des années d’attente illusoire. Qu’il s’agisse d’une dépression du post-partum ou d’autres circonstances favorisant la persistance de la dyade mère-bébé, il leur est impossible de s’immiscer dans cette relation exclusive. Il est difficile au pédiatre d’expliquer ces états maternels, sinon qu’ils sont proches de la « folie maternelle ordinaire », à ceci près qu’elle persiste au-delà du délai habituel. Pour cette (dé) raison, que ce soit le père ou le pédiatre,
    personne n’est vu ni entendu de la mère, complètement « enfermée » dans la bulle de sa pathologie ou de son histoire. L’impuissance des uns et des autres ne doit pas faire baisser les bras pour autant ; il convient, d’une manière ou d’une autre, de convier la psychanalyse ou la psychiatrie à la rescousse. C’est la mise en danger du bébé qui prime. Les pères jouent donc un rôle non négligeable dans la séparation entre le bébé et sa maman, mais encore faut-il que la maman ait dépassé le stade du doudou et que le père lui-même n’y retourne pas en prenant son bébé en otage. L’histoire d’Inès… « l’après-coup » ? En quête d’histoires de doudou pour amener de l’eau à mon moulin, je me suis demandé quels pourraient être les effets à long terme de l’absence de doudou ou, pour être plus précis, de la mère-doudou.

    Il se trouve qu’Inès, âgée de plus de 7 ans maintenant, a le même parcours qu’Ange durant les premières années. Elle a dormi avec sa mère jusqu’à ses 3 ans. En reprenant les différentes notes prises durant les consultations, j’ai relevé certains propos assez édifiants. À l’âge de 9 mois, sa mère la couchait avec elle et la « caressait « (ce sont ses propres mots) pour l’endormir en prétextant : « elle lutte pour ne pas s’endormir ». À la consultation de 13 mois, elle m’a dit : « elle est obligée de me toucher, de me sentir », un vrai doudou vous dis-je ! À 17 mois, Inès s’est affirmée et sa maman s’est pliée à ses désirs : « Elle pleure à la moindre contrariété, donc elle fait ce qu’elle veut. » Vers 2 ans, la mère endormait sa fille en se mettant à côté d’elle et pour la sieste, la nounou se pliait au rituel. Inutile de dire qu’Inès se réveillait la nuit et finissait dans le lit de sa maman. Par la suite, elle a eu besoin de toucher sa mère pour s’endormir et ce n’est que vers 3 ans qu’elle s’est endormie seule avec une Barbie. Le début d’une nouvelle grossesse coïncide avec ce moment-là…

    Tout au long de ces années, cette petite fille a eu un excellent développement psychomoteur et un comportement ne traduisant aucune insécurité lors des examens. Ce n’est que vers l’âge de 4 ans que sont apparues des peurs qui ont justifié les retours nocturnes, d’après la maman. Par la suite, la peur s’est cristallisée sur les chiens le jour et les monstres la nuit.

    À 6 ans, Inès m’a dit spontanément : « Quand papa n’est pas là, je dors avec maman. » La mère a confirmé lors de notre dernier entretien, en ajoutant : « Elle a toujours besoin d’une veilleuse pour dormir… elle a peur de tout. » Il faut toutefois préciser que le petit frère d’Inès a toujours dormi seul, que le père n’est jamais venu aux consultations et n’est jamais évoqué par la mère. Le seul moment où il apparaît, c’est pour les vacances, fort nombreuses au cours de l’année… Il semble qu’il soit souvent absent, du fait de ses activités professionnelles, dans le sud de la France. Pour ma part, je n’ai pas réussi à l’impliquer dans la problématique du sommeil. La mère d’Inès se sent entièrement responsable des phobies de sa fille, ce qui paraît excessif, sans pour autant éluder la relation de cause à effet. En quoi l’absence de doudou ou son arrivée trop tardive peut-elle influencer la sécurité affective ? Le doudou n’est-il pas cet intermédiaire obligé entre le « soi » et sa mère pour favoriser l’ouverture à autrui dans certaines circonstances ? Si cela n’a pas lieu, il semble manquer un espace à ces enfants qui éprouvent le besoin de mettre quelque chose entre leur maman et eux afin d’affronter le monde.

    Quelques propositions en conclusion En raison du manque d’intérêt et de la passivité de pédiatre dont j’ai fait preuve à l’égard du doudou, je me dois maintenant de faire amende honorable après ces quelques pérégrinations dans le monde du « nondoudou» et des risques liés à son absence. Plutôt que de constater les dégâts, il vaudrait mieux anticiper. Pourquoi ne pas proposer d’introduire le doudou avant que ne se manifeste le manque et alors qu’il est parfois trop tard ?
    Notre rôle de professionnel de la petite enfance est certes de traiter, mais aussi de prévenir et d’informer. En schématisant la première année de bébé 9, nous pouvons la découper en trois parties : la première, c’est l’adaptation au monde extérieur (pendant les premiers mois) ; ensuite a lieu l’ouverture, entre 3 et 6 mois ; et enfin, vient la prise de conscience de soi pour le bébé, c’est la véritable séparation. Pourquoi ne pas suggérer aux parents l’introduction du doudou à partir de 3 mois, au moment de la découverte du jeu et de la préhension ? L’investissement de cet objet transitionnel se fera progressivement (ou pas) pour préparer l’étape suivante, il sera d’un précieux recours le moment venu. En outre, il est aussi
    important d’expliquer à un père son rôle en cas de pleurs de son bébé, de l’impossibilité de sa compagne à y faire face les premiers mois, que celui qu’il doit assumer pour favoriser la séparation par la suite. Nous devons bien évidemment penser au doudou en cas de difficultés, notamment de sommeil, et ce bien au-delà de la première année. Il ne s’agit pas de cautionner la confusion possible dans l’esprit d’une mère ou d’un père « collés » à leur bébé et prétendant faire office de doudou. Quant à proposer aux parents d’autres doudous que leur enfant, le marketing actuel y pourvoit bien : quand on voit les doudous accrochés aux vêtements féminins ou cohabitant avec de multiples colifichets dans le sac à main…


    À l’ère de la communication à tout va (souvent sans le regard, ni le toucher, ni la voix…), il est dommage de constater la régression des adultes qui se replient sur leur doudou, notamment quand il s’agit de « monsieur Bébé ». Il serait temps de redonner au doudou ses lettres de noblesse : plus qu’un simple objet, c’est un objet investi affectivement, considéré comme un être vivant. Le doudou est indispensable à bébé pour lui permettre d’être, à travers lui, en se passant de sa maman. Je suis sûr qu’il sera impossible aux adultes d’en faire autant avec leur ordinateur… à bon entendeur.


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