La diversification alimentaire est un moment important du développement de l'enfant. Les parents se posent beaucoup de questions à ce sujet, d'autant plus dans notre société où des informations contradictoires peuvent être données.
« Quand commencer à proposer des aliments solides ? Par quoi commencer ? Quelle quantité ? Quelle texture ? Et l'allaitement, quelle place lui laisser ? » etc. Autant d'interrogations que peuvent avoir les parents d'un enfant allaité.
Quand commencer ?
Il fut un temps où la diversification alimentaire était proposée très tôt (dès 4 mois, et parfois même avant). Actuellement, les recommandations, tant nationales qu’internationales, s'accordent à préconiser un allaitement exclusif pendant les six premiers mois et une introduction des solides à partir du milieu de la première année (à noter que ces recommandations sont en adéquation parfaite avec le ressenti des mères fondatrices de LLL qui, il y a cinquante ans, avaient observé que les enfants grandissent parfaitement avec une diversification alimentaire repoussée à ce moment-là). Mais, dans certains documents, le moment de la diversification reste encore confus. Ainsi, dans les brochures du PNNS, il est recommandé de commencer après 6 mois, alors que dans le tableau récapitulatif, des groupes d'aliments sont indiqués dès 4 mois. Ajoutons que les recommandations officielles ne prennent pas en compte les différences possibles entre l’enfant qui reçoit tout son lait au sein et celui qui est nourri aux préparations pour nourrissons à base de lait de vache.
En fait, tout comme l'allaitement à la demande s'appuie sur les signes émis par le bébé, la diversification peut s'appuyer sur ceux émis par l'enfant montrant qu’il est prêt. Aux alentours du milieu de la première année, il commence à tenir assis tout seul pendant un certain temps, il arrive à porter les objets à sa bouche, il s’intéresse à ce que les autres personnes mangent et cherche à attraper la nourriture, il commence à faire des mouvements de mastication, sa langue a plus de dextérité pour faire bouger la nourriture dans sa bouche… De plus, à cet âge, son système digestif est assez mature pour digérer d'autres aliments que le lait.
En pratique, chaque enfant est unique : certains peuvent montrer qu'ils sont prêts à commencer à manger des solides un peu avant 6 mois, alors que d'autres retarderont la diversification pendant encore quelques mois. Le lait maternel étant un aliment de haute qualité, les enfants qui retardent l’introduction peuvent être en parfaite santé. Il peut être néanmoins intéressant de surveiller leur état général, et notamment de vérifier une éventuelle carence en zinc qui peut entraîner une inappétence.
Par quoi commencer ?
On sait que l’habitude française est de commencer par des légumes et des fruits en purée ou compote plus ou moins fluide. Pourtant, les données récentes montrent que les premiers facteurs limitants (c’est-à-dire en quantité devenant insuffisante pour couvrir les besoins de l’enfant) du lait maternel sont le fer et le zinc.
Ces deux éléments sont présents dans la viande et le poisson. Or la faible charge osmolaire du lait maternel permet l'introduction de protéines d’origine animale dès 6 mois sans surcharger les reins fragiles des enfants de cet âge. Et pour ce qui est du risque allergique, les Sociétés de pédiatrie indiquent : « L'introduction de l'œuf et du poisson peut débuter après 6 mois, mais celle des aliments à fort pouvoir allergénique (kiwi, céleri, arachide, fruits à coque, crustacés) doit être retardée après 1 an. Ces précautions ne modifient pas sensiblement la marche allergique ultérieure, en particulier dans ses expressions respiratoires » (Société française de pédiatrie, avril 2008). Et : « Il n'y a pas de preuve scientifique convaincante qu'une éviction ou une introduction retardée d'aliments potentiellement allergéniques tels que le poisson ou l'œuf réduit l'allergie, tant chez les nourrissons considérés comme ayant un risque de développement allergique augmenté que chez ceux qui ne sont pas considérés à risque » (ESPGHAN, European Society of Pædiatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition, janvier 2008).
En nuançant au cas par cas pour les familles ayant de fortes prédispositions allergiques, le poisson et les œufs peuvent donc être donnés rapidement après 6 mois.
En ce qui concerne le gluten, des études récentes ont conclu qu’il était « prudent d’éviter d’introduire le gluten à la fois précocement (avant 4 mois) et tardivement (à 7 mois ou plus), et de faire cette introduction progressivement alors que l'enfant est toujours allaité au sein, dans la mesure où cela pourrait réduire le risque de maladie cœliaque, de diabète de type 1 et d’allergie au blé » (ESPGHAN, janvier 2008). On trouve le gluten dans le blé, le seigle, l’orge et l’avoine. Pour une introduction progressive, on peut donner au bébé allaité, sous la surveillance de l’adulte, un petit croûton de pain à mâchouiller, ce qui lui permettra d’entrer en contact avec cet aliment dès le début de la diversification.
Pour ce qui est des fruits et légumes, certains enfants auront plaisir à prendre les aliments avec leurs doigts, tandis que d’autres préféreront une texture écrasée. On peut cuire les légumes entiers (carottes, pommes de terre, bouquets de chou-fleur, etc.), ils seront ainsi faciles à prendre en main par le bébé. D’intéressantes vidéos sont proposées sur le site www.diversificationalimentaire.com.
Il n’y a pas de données sur l’ordre d’introduction. Cela se fera en fonction des goûts de l’enfant, des habitudes alimentaires de la famille et de la disponibilité locale des aliments. Il peut être intéressant, dans un premier temps, de donner les aliments de façon isolée afin de pouvoir aisément attribuer des signes d’allergie/intolérance à un aliment en particulier.
Quelles quantités donner ?
Au départ, compte tenu de sa valeur nutritionnelle (il apporte aussi bien des lipides que des glucides, des protéines, des minéraux et des vitamines), le lait maternel reste l’aliment à privilégier. La diversification ne vise à ce moment-là qu’à faire découvrir à l’enfant d’autres textures, à côté du lait maternel. Dans ce contexte, il est intéressant de proposer le sein avant de proposer d’autres aliments, ceux-ci ne devant pas remplacer le lait. Cette précaution ne sera plus forcément nécessaire au fur et à mesure que l’enfant grandit et apprécie les aliments solides.
En pratique, certains enfants vont consommer des quantités infimes de solides pendant de nombreuses semaines, voire de nombreux mois, alors que d’autres vont rapidement prendre de plus grandes quantités. Dans ce cas, il sera important de vérifier que l’enfant continue à consommer une ration conséquente de lait maternel.
Les parents peuvent aussi proposer des collations, afin que l’enfant puisse prendre ce dont il a besoin en fractionnant sur la journée.
Pour rappel, dans l’étude multicentrique de l’OMS (voir bibliographie), les enfants avaient en moyenne : à 6 mois, 9 tétées et 2 repas ; à 9 mois, 7 tétées et 4 repas ; à 12 mois, 5 tétées et 4,5 repas.
Quelle texture proposer ?
Comme on l’a dit précédemment, certains enfants ne voudront manger que par eux-mêmes, avec des aliments faciles à prendre en main. Pour d’autres, seule la texture lisse ou écrasée conviendra. Certaines mamans ont constaté que ce qui troublait leur enfant, c’était de trouver d’un seul coup des morceaux dans une préparation fluide.
Là aussi, chaque enfant est unique, et il est important de respecter ses choix.
Quelle place laisser à l’allaitement ?
Quel que soit l’âge du bébé ou du bambin, le lait maternel est un aliment complet, adapté et de qualité. De ce fait, et d’autant plus au début, la diversification alimentaire se conçoit en supplément et non en remplacement du lait maternel. L’enfant peut continuer à téter à la demande.
Une alimentation variée et équilibrée
L’arrivée d’un enfant peut être l’occasion de modifier l’alimentation de la famille afin de se rapprocher d’une alimentation variée et équilibrée.
Pour cela, on peut s’inspirer de l’alimentation de populations traditionnellement en bonne santé comme les Crétois, les habitants d’Okinawa au Japon, de Vilcabamba en Équateur ou du Caucase.
Que consomment ces populations ?
Beaucoup de légumes et de fruits, avec une grande variété de légumes en fonction des saisons et de la disponibilité locale. Des céréales ou équivalent, des légumineuses, des épices, des condiments, des algues et des herbes. Des aliments riches en acides gras monoinsaturés (huile d’olive) et polyinsaturés, en oméga-3 (poissons gras, escargots, huile de colza, noix, graines de lin). Un peu de viande. Du soja, du tofu et/ou du yaourt et du fromage (à noter que certaines populations consomment peu, voire pas du tout, de produits laitiers ; de toute façon, les besoins en lait des enfants allaités sont entièrement couverts par le lait maternel, pour peu qu’ils puissent téter à loisir). Ces populations ne consomment pas de produits sucrés, hormis un peu de miel et de chocolat.
Respecter l’enfant
Au quotidien, les mères s’aperçoivent des préférences alimentaires de leur enfant. Elles décrivent aussi des périodes plus ou moins longues où il restreint son choix à quelques aliments, voire à un seul. Il peut également arriver qu’il revienne à un allaitement presque exclusif, et c’est souvent le premier signe d’une petite maladie, qu’il traversera au sein avant de repartir vers une alimentation variée.
En général, l’enfant choisit spontanément des aliments caloriques comme les féculents ou la viande. Il est attiré spontanément vers des saveurs connues, rejette les nouveaux aliments et associe le goût d’un aliment et l’expérience digestive qu’il en a eue. Il a tendance à préférer les aliments qui lui sont donnés, tout en rejetant les aliments qu’on le force à manger. Néanmoins, si un aliment initialement rejeté est malgré tout proposé régulièrement, il se peut qu’après un certain temps, l’enfant le consomme volontiers.
Dans tous les cas, les parents peuvent se fier aux préférences de l’enfant, lui faire confiance. Bien que ses études demanderaient à être reproduites aujourd’hui, la pédiatre canadienne Clara Davis avait montré dans les années 1920 que l’enfant est doté d’une « sagesse nutritionnelle » dès lors qu’il a à sa disposition des aliments variés de bonne qualité nutritionnelle. Quant au pédiatre espagnol Carlos Gonzalez, il fait remarquer la faible valeur calorique des soupes, légumes, fruits…, qui remplissent l’estomac et laissent peu de place au lait maternel, et il explique que dans leur grande sagesse, à une période où ils se dépensent beaucoup, les enfants refusent les aliments hypocaloriques, leur préférant riz, pâtes, pommes de terre, viande… Il insiste sur le fait de ne jamais forcer un enfant à manger un aliment particulier, même si l’on pense que ce serait « bon pour lui ».
Respecter l’enfant, c’est aussi ne pas le forcer à manger quand il n’a pas faim, ne pas le forcer à finir son assiette, ne pas faire de chantage ni proférer de menaces. Il mangera mieux au repas suivant... Pour certains parents, cela voudra dire prendre du recul par rapport à l’éducation qu’ils ont reçue dans ce domaine.
En pratique, et de façon toute simple, certaines familles préparent le repas familial, en prélèvent une partie avant de saler (il est important de ne pas ajouter de sel pour le bébé), et la proposent à l’enfant.
N’oublions pas le but de cette période de transition : qu’à l’âge de 1 an, l’enfant puisse partager le repas familial, dont le menu aura été revu et corrigé pour répondre aux besoins des enfants comme des adultes.
Conclusion
Les études sur la diversification alimentaire et la prévention des allergies apportent en permanence de nouveaux éléments de réflexion.
On entend actuellement des recommandations alertant sur la nécessité d'introduire les solides avant 7 mois, et ce dans un souci de prévention des allergies.
Comment concilier cela avec la notion de respect de l'enfant et des signes qu'il donne, ainsi qu’avec la réalité du terrain, qui amène tant d'animatrices LLL à rencontrer des enfants ne voulant pas prendre autre chose que du lait maternel et ne semblant pas prêts pour l'introduction des solides à cet âge-là ?
Comment, dans ce cas de figure, une mère peut-elle suivre les recommandations médicales et gérer la diversification alimentaire sans forcer son enfant et sans vivre l'introduction des solides de façon conflictuelle ?
Ne peut-on considérer que, dans la mesure où de micro particules de la nourriture maternelle passent dans le lait maternel (et passaient déjà dans le liquide amniotique), ce qui permet à la majorité des enfants allaités d'acquérir une tolérance face à ces aliments (ou malheureusement, pour quelques-uns, de développer une allergie), la diversification alimentaire commence, en fait, en même temps que la vie ?
Ne peut-on continuer de suggérer à la mère d'un enfant qui se développe bien de lui proposer quotidiennement, vers le milieu de sa première année, une variété d'aliments de bonne valeur nutritionnelle, dans tous les groupes alimentaires, de façon agréable à l'œil et à l'odorat, en famille, sans le forcer, et de le laisser mener la diversification à son rythme, sans regarder le calendrier qui passe ?
Finissons sur un souhait : que des études spécifiques soient menées sur les bébés dont les mères souhaitent poursuivre longtemps l'allaitement.
Paola Perez, animatrice LLL, consultante en lactation, diététicienne
et Marie Courdent, animatrice LLL, puéricultrice, consultante en lactation, formatrice Am-F
Quelques suggestions
- Mettre sur la table des aliments qui nous maintiennent en bonne santé et qui nous font plaisir.
- Varier les menus en fonction des aliments disponibles localement.
- Faire du repas un moment de retrouvailles agréable.
- Faire partager nos repas au petit nourrisson allaité avant même la diversification.
- Proposer à l’enfant, sous une forme qui lui convient, les aliments que nous avons préparés pour nous, en le prenant en compte.
- Le laisser décider de la durée de son repas, des aliments qu’il ingère et de la quantité ingérée, accepter qu’il consomme ce qui nous paraît être de toutes petites quantités à certains moments et des quantités plus abondantes à d’autres, ou qu’il n’aime pas un aliment proposé et le refuse.
- Prévoir que le petit mangeur aura faim plus souvent que les quatre fois par jour habituellement recommandées, et avoir à disposition des aliments de qualité (par exemple prélevés lors du repas) pour des collations.
Bibliographie
- Delaisi de Parseval G, Lallemand S. L'art d'accommoder les bébés. Odile Jacob, 1998.
- Chouraqui JP, Dupont C, Bocquet A, Bresson JL, Briend A, Darmaun D, Frelut ML, Ghisolfi J, Girardet JP, Goulet O, Putet G, Rieu D, Rigo J, Turck D, Vidailhet M. et Comité de nutrition de la Société française de pédiatrie, Alimentation des premiers mois de vie et prévention de l’allergie, Archives de pédiatrie 2008 ; 15(4) : 431-442.
- ESPGHAN, Complementary Feeding : A Commentary by the ESPGHAN Committee on Nutrition, JPGN 2008 ; 46 : 99-110.
- Fricker J, Laty D. Les meilleurs régimes du monde. Odile Jacob, 2008.
- Gonzalez C. Mon enfant ne mange pas, éd. LLL Québec. En vente dans la boutique.
- Gonzalez C, L’allaitement au-delà de 6 mois : une diversification alimentaire en toute confiance, Dossiers de l’allaitement hors-série 2008.
- Marchand-Lucas L, La diversification alimentaire – De quoi les bébés allaités ont-ils vraiment besoin ?, 3e colloque LACTEA, novembre 2008.
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