Compte rendu de la réunion débat :
Les enjeux psycho socio culturels autour du repas des enfants
Animé par : Mme Durant Gassien anthropo-nutritionniste
Mardi 10 décembre 2013
Prologue :
Cette réunion a pour but de favoriser les échanges d’expériences et d’idées et se veut être interactive avec l’auditoire présent.
Sont entre autres présents des professionnels de la petite enfance (responsable de relais assistantes maternelles, psychologue, personnel de halte garderie, personnel de crèche, assistantes maternelles…) et des parents, grands parents….
Mme Durant Gassien explique que l’anthropologie de l’alimentation permet de déterminer et d’analyser tous les déterminants sociaux culturels liés à l’alimentation.
Lors de cette réunion, il sera question principalement des enfants.
Sont définies plusieurs questions que l’auditoire se pose, questions et cas particuliers auxquels Mme DG tentera de répondre :
- Un enfant de 2 ans n’aime manger que de la viande : que faire
- Refus alimentaire d’un enfant après une grosse rhinopharyngite
- Problème de satiété pour un enfant qui ne sait pas s’arrêter de manger si on ne lui dit pas
- Quels enjeux du côté des parents-le chantage
- Manger pour se remplir : ce qui se joue
- Enfant qui a été gavé à la naissance et qui n’éprouve plus aucun plaisir à manger
- Enfant de 15 mois qui adore le piment et l’harissa
But de la réunion : traiter de « qu’est ce que c’est qu’être mangeur ? », d’où viennent nos goûts et nos dégoûts ?
Débat :
1/ Les goûts et dégoûts
Tout être humain est unique par rapport à l’alimentation, il n’ y a aucune notion de normalité valable
« Pour qu’un aliment soit bon à manger, il doit être bon à penser » Lévy Strauss
Exemple de goûts et dégoûts parmis l’assemblée :
Goûts
- chocolat (enfant privé petit, goût agréable, notion de réconfort)
- réglisse (drogue, besoin depuis l’enfance)
- beurre salé
- crêpes
- pain (rassasiant)
Dégoûts :
- foie (odeur, texture)
- langue de bœuf forcé petit à en manger)
- café (odeur, goût, amertume)
- cervelle (partie de l’animal)
- morue
- blanc d’œuf pas cuit
La construction des goûts et dégoûts est individuelle, psychoaffective et culturelle :
Les goûts et dégoûts dépendent beaucoup de la culture, ce sont en effet toujours les autres qui sont barbares et qui mangent des aliments bizarres.
Il faut intégrer que l’on se nourrit autant de symboles que de nutriments.
D’un point de vue individuel et psychosensoriel, nous avons tous une appétence particulière. Cependant, d’après les psychologues du goût, il y a une appétence universelle pour le sucré. L’amertume, elle, serait universellement rejetée ( peut être à cause d’une sorte de mémoire préhistorique qui indiquerait que ce qui est amer est potentiellement dangereux pour la santé).
Le problème est que les légumes sont justement les aliments les plus amers de tous.
Il y a cependant une différence dans la perception des sens et des goûts selon les personnes, et ce même à l’âge adulte : certains aliments un peu amers pour certains seront juste impossible à avaler pour d’autres (par exemple le yaourt nature sans sucre), certains trouveront bon ce que d’autres trouvent beaucoup trop sucré.
2/L’enfant et le repas
Chaque enfant a sa propre et unique personnalité de mangeur : c’est scientifiquement prouvé !
C’est pourquoi il faut absolument éviter de mettre les enfants en concurrence au sujet des repas car ils ont forcément des enjeux différents autour de l’alimentation. In utero déjà à 4 mois, des goûts et dégoûts apparaissent, il y a déjà in utero des préférences.
De plus, il y a tellement d’affectif qui entre en jeu dans le repas et cet enjeu affectif est encore très individuel selon l’enfant, le parent…
« Considérez l’enfant comme votre invité » Brazelton
Il y a beaucoup de traumas alimentaires dus à des forçages alimentaires pendant l’enfance, il faut se dire qu’un aliment mis de force dans la bouche peut être apparenté à une sorte de « viol », il y a introduction forcée de quelque chose dans le corps :
Ce qui est primordial au moment du repas est de transmettre du positif !
Le repas, c’est se « nous » « rire »
3/ Exemples de conduite à tenir ou à éviter avec les enfants : quand et quoi les laisser faire ?
Pas de compétition et de concurrence au moment du repas : éviter les « regarde comme lui il mange bien » ou « qui va finir en premier ? » (se mettre à la place de celui qui finit toujours dernier juste parce qu’il ne peut pas faire autrement)
Un enfant qui mange avec ses doigts, cela lui permet d’appréhender l’aliment : penser à la jouissance que peut éprouver un enfant en mangeant un fruit dont le jus lui coule partout !
Il faut savoir que tous les bébés du monde rejettent l’acide et l’amer. Puis les enfants ont une période de néophobie alimentaire, ou peur du nouveau. Cela est normal, cette période commence vers 2 ans et peut aller jusqu’à parfois 10 ans. La tranche d’âge principalement concerné par la néophobie alimentaire est de 3 à 7 ans.
Il faut alors accepter cela et voir à proposer plusieurs autres fois l’aliment et sous la même forme exemple : chou fleur présenté plusieurs fois sous forme de gratin).
De plus, il faut se dire qu’il est complètement incohérent pour l’enfant de lui demander de manger quelque chose que nous même on ne mange pas.
Priver un enfant de dessert est le meilleur moyen de renforcer son goût et son attirance pour le sucré.
Les enfants sont aussi naturellement attirés par le gras, le sucre et le mou (vive les hamburgers pour çà !), il y a donc besoin d’une éducation en douceur pour les aliments qui demandent plus de mastication.
Notion importante : la satiété sensorielle
Certains enfants, à peine un bout de viande mangé et quelques cuillérées de purée avalées veulent déjà passer au dessert : ce ne sont pas des enfants forcément difficiles, mais ils ont besoin de changer d’aliment pour déclencher de nouveau l’appétit. C’est çà la satiété sensorielle :
L’enfant a en effet eu assez de ce goût et de cette texture et a besoin de passer à la suite pour pouvoir continuer de manger.
Il ne faut pas être rigide : certains enfants peuvent commencer par le yaourt, cela ne veut pas dire qu’ils ne mangeront pas le reste. Certains si ils commencent par le dessert ne mangeront plus rien, d’autres pas du tout, cela est très individuel c’est en fonction de chaque enfant.
De même, que tout soit servi en même temps, ou que tout soit sur le plateau est jouissif pour un enfant : il aborde le repas plus calmement car il a déjà l’assurance qu’il aura sa dose de sucré. Il est plus zen.
Il faut savoir qu’il y a moins d’enjeux affectifs autour du repas quand l’enfant est gardé que lorsqu’il mange avec les parents.
L’idéal est qu’il y ait un accompagnement du repas personnalisé très individuel chez les parents et chez une assistante maternelle. Cela reste malheureusement un peu plus compliqué en collectivité.
4/ Déculpabiliser
Tout d’abord, il faut se demander, si l’enfant ne mange pas, pour qui cela est le plus inconfortable : pour lui ou pour soi ?
Le repas, sa composition, sont avant tout très liés à la culture
La viande chez les garçons est extrêmement valorisée dans presque toutes les cultures.
Diversifier à tout prix, c’est très occidental !
On est pas une mauvaise mère parce qu’on a fait 3 fois le même dîner dans la semaine. Si un plat est nutritionnellement complet, pourquoi changer ? Cela dépend uniquement de facteurs socio culturels.
De même, pour certaines, être une bonne mère, c’est faire du « fait maison », c’est encore personnel et cela dépend des générations.
Sur le grand affichage de photos dans la salle, on peut voir ce qui est mangé selon les pays et cultures : on relativise alors l’idée de diversité alimentaire.
Le concept « entrée, plat, dessert » est très français, dans beaucoup de pays, le repas est composé d’un plat unique.
De même, le laitage au cours du repas est un construit culturel très français, il faut savoir que la moitié de la population mondiale est allergique au lactose. Il y a des alternatives pour avoir des apports en calcium comme les amandes ou le sésame.
En France, il y a franchement une culture alimentaire qui est en plus marquée par les régions et les produits régionaux, le sexe (les hommes et les femmes n’ont pas du tout en France le même rapport à l’alimentation, les hommes sont dans un modèle énergétique et les femmes dans un modèle nutritionnel).
A noter : il y a sûrement plus d’allergies chez les cultures où l’alimentation est très diversifiée.
Le principal est de faire du repas un espace d’autonomie et de liberté où l’on peut laisser l’enfant jouer et découvrir la nourriture.
5/ Exemples de nos petites phrases au moment du repas : l’auditoire se prête au jeu, réfléchir à ce qui met une pression, à ce qu’il faut éviter
« Mâche ! »
« Avale ! » (plus tôt que « recrache »)
« Cà va être froid »
« Bon appétit »
« Plus que 3 cuillères »
« C’est bien, tu as tout mangé »
« Tu vas bien grandir »
« Tu vas devenir fort comme papa »
« Tu vas partir au lit sans manger »
« Tu vas pas faire ta chochotte »(peur de la viande)
« Tu sortiras de table quand tu auras fini »(beaucoup d’adultes ont des problèmes d’alimentation à cause de cette phrase)
« 1 cuillère pour maman, 1 cuillère pour papa » (non, toutes les cuillères pour soi)
« Tu es méchant parce que tu ne manges pas »
« Tu manges comme un cochon »(se retrouve souvent chez les filles ou femmes à troubles alimentaires plus tard, elles ont eu des remarques de ce genre petites)
« Regarde comme il mange bien »
« Qui va finir en premier »
A méditer…
(Compte rendu rédigé par Aurélie SCHMAUTZ, assistante maternelle à Villepreux, pour l’association Le Tourbillon)