• Rapport Terra Nova : l’égalité des chances se joue dès la crèche

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    Rapport Terra Nova : l’égalité des chances se joue dès la crèche

    Le think tank Terra Nova vient de présenter le 31 mai un rapport intitulé « Investissons dans la petite enfance. L’égalité des chances se joue avant la maternelle ». Les auteurs* entendent sensibiliser le nouveau gouvernement à une politique d’accueil du jeune enfant de qualité. Et à l’importance du rôle des crèches** (et des centres de PMI) pour favoriser l'égalité des chances et lutter de façon précoce contre les inégalités.  Le rapport a été remis au nouveau ministre de la Santé et des Solidarités, Agnès Buzyn. Qu’en fera le gouvernement ? Trop tôt pour le dire, mais une chose est sûre selon les auteurs du rapport, pour la politique de la petite enfance « c’est l’Etat qui détient les principaux leviers côté financement et règlementation même si les mises en œuvre sont locales ».

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    activités à la crèche Intervenir avant les trois ans de l’enfant, c’est efficace
    Plus tôt on intervient pour lutter contre les inégalités, mieux c’est : pour l’enfant, pour la société et pour les finances publiques. Un euro investi dans la petite enfance, c’est 3 euros d’économisé dans la lutte contre l’échec scolaire. Le pédopsychiatre Romain Dugravier a rappelé que « la période 0/3 ans est une période cruciale dans le développement des enfants. Des liens d’attachement essentiels se nouent. Selon les conditions dans lesquelles l’enfant vit, son développement et ses chances dans la vie ne seront pas les mêmes. Les enfants se développent moins bien dans un environnement précaire. Ainsi on sait qu’à 4 ans un enfant qui grandit dans un milieu défavorisé aura entendu 30 millions de mots en moins qu’un enfant élevé dans une famille aisée où ses parents lui parlent beaucoup ». Le constat est sans appel. Et met en lumière qu’être accueilli dans une bonne crèche peut réduire les inégalités de départ. Or seules 5% des familles en grande précarité ont accès à la crèche tandis que c’est le cas pour 22% des familles aisées.
    Les auteurs du rapport reconnaissent néanmoins qu’en France on investit dans la petite enfance via les crèches et les centres de PMI notamment. Pourtant au regard de cette offre riche mais avec des disparités, les résultats en termes d’égalité des chances sont décevants.
    « L’idée de notre rapport, a souligné Romain Dugravier, c’est que les modes d’accueil de la petite enfance ne doivent pas être des lieux de garde mais aussi des lieux où sont mis en place les prérequis des apprentissages ». En clair qu'ils soient des lieux d'éducation. Et de faire référence aux dispositifs mis en place à l’étranger pour lutter contre les inégalités des chances qui ont fait leurs preuves notamment au Québec et aux Etats-Unis. Des dispositifs (Perry Preschool ou Carolina Abecedarian notamment) évalués scientifiquement et dont les effets ont été constatés sur le long terme. Pourquoi ne pas s’en inspirer en France ? « Nous voulons réconcilier deux approches : l’approche française politique et l’approche scientifique évaluée, le terrain et la recherche ».

    Des incitations financières pour les crèches engagées dans l’égalité des chances
    Constat fait des points faibles du système français au regard de la lutte contre les inégalités des chances, le rapport propose une dizaine de recommandations pour tenter d’y remédier. Des recommandations insistant sur l’aspect qualitatif de l’accueil rompant ainsi avec la seule vision quantitative souvent mise en avant par les politiques. L’objectif quantitatif est relativement modeste : création de 40 000 places en 5 ans. Mais si l’objectif semble faible, il est en revanche ciblé et stratégique : les inégalités sociales sont souvent liées aux inégalités territoriales, alors ces places doivent être créées dans des territoires qui en ont besoin : les zones rurales et les quartiers populaires dits  sensibles. « Il faut en faire une priorité » a insisté Florent de Bodman, chargé à l’ANSA du suivi du programme Parler Bambin. Et pour cela les auteurs souhaitent s’appuyer sur le levier financier, le plus puissant et le plus efficace : l’aide de l’Etat  serait accrue pour les crèches qui se créent dans ces territoires et dont l’objectif est clairement d’œuvrer pour l’égalité des chances. Un dispositif complet qui irait plus loin que ce qui existe : plus de moyens que les Schémas Départementaux des Services aux Familles, et des aides moins ponctuelles et discrétionnaires que celles prévues par le Fonds Publics et Territoires de la Cnaf. L’empreinte budgétaire d’un tel projet ? Relativement raisonnable : 480 millions d’euros par an dont 90 millions d’euros pour les aides supplémentaires.
    Dans l’idée de rendre les crèches accessibles aux plus démunis, le rapport reprend d’ailleurs une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, portée par la nouvelle Secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa, celle de la transparence dans les critères d’attribution des places. L’idée proposée est de mettre en place un système de points (en fonction de certains critères bien définis) afin que chaque famille puisse évaluer ses chances d’obtenir une place.

    Expérimenter, innover, évaluer
    Des crèches accessibles aux plus démunis et dans les territoires les plus sensibles ou isolés oui…mais des crèches où prime la qualité de l’accueil. Les auteurs du rapport insistent sur la qualité pédagogique des structures. Et sur la nécessité d’encourager les innovations pédagogiques. Et de les évaluer scientifiquement comme cela se fait dans nombre de pays d’innover. Le rapport d’ailleurs met en lumière plusieurs dispositifs car il se veut une « sorte de boîte à idées ». Ainsi évoque-t-il par exemple deux programmes mis en place en France : Parler bambin et Jeux d’enfants, inspiré du projet américain Carolina Abecedarian . « Il faut promouvoir les projets, c’est pourquoi nous suggérons la création d’un fonds national pour la qualité de l’accueil en crèche qui soit financé par la Caf » a expliqué Florent de Bodman. Et d’insister encore une fois sur « la nécessaire évaluation scientifique des projets ». Ce qui demande bien sûr des moyens.
    Certaines recommandations concernent l’accompagnement à la parentalité et le rapport souligne le rôle essentiel que les PMI et les crèches ont à jouer. Enfin les auteurs insistent sur le dialogue qui doit s’instaurer entre chercheurs et praticiens. Ils suggèrent la création d’un « What works centre » comme il en existe au Royaume-Uni. « Un tel centre ferait la synthèse des meilleurs projets assortis et déciderait de l’octroi de financement » a précisé Florent de Bodman.

    Rappel des 10 recommandations-clefs
    En ce qui concerne l’accueil en crèche
    1.    Adopter un objectif national mieux ciblé : créer 40 000 nouvelles places de crèches d’ici à 2022 dans des départements ruraux sous-dotés et les quartiers politique de la ville (QPV).
    2.    Instaurer une aide supplémentaire pour les places de crèches crées dans ces territoires prioritaires afin de garantir aux communes qui les financent un reste-à-charge quasi-nul.
    3.    Obliger les communes à une transparence complète sur les critères d’attribution des places en crèche sous peine de ne plus recevoir les aides nationales versées par les CAF.
    4.    Ouvrir fortement les crèches aux familles modestes : donner plus de poids aux critères sociaux dans l’attribution des places et inciter financièrement à l’accueil de ces familles.
    5.    Faire progresser la qualité pédagogique en crèche en la mesurant de façon rigoureuse et en créant sur cette base « un Fonds national pour la qualité de l’accueil en crèche ».
    En ce qui concerne le soutien aux parents et leur accompagnement
    6.    Faire changer d’échelle la politique de soutien aux parents de jeunes enfants en promouvant les projets les plus efficaces inspirés par la recherche ou l’innovation technologique.   
    7.    Valoriser les crèches comme un lieu de soutien aux parents, en reconnaissant qu’il s’agit d’une mission à part entière de ces structures.
    8.    Développer le rôle de soutien aux parents des PMI en complément de leur mission universelle de santé publique et en s’appuyant sur le dialogue avec la recherche scientifique.
    9.    Encourager la collaboration entre les professionnels de périnatalité (maternités, sages-femmes, PMI) afin de faciliter le parcours des parents autour de la naissance de leur enfant.
    En ce qui concerne la recherche-action sur la petite enfance
    10.  Développer la recherche-action en créant une instance nationale de type « What works centre » dans le domaine de la petite enfance.


    *Florent de Bodman, administrateur civil en détachement à l’Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA), Clément de Chaisemartin, économiste (Université de Californie à Santa Barbara), Romain Dugravier, pédopsychiatre chef du service périnatalité de l’hôpital Sainte Anne et Marc Gurgand, économiste, directeur de recherche CNRS à l’Ecole d’économie de Paris.
    **L’accueil individuel n’a pas été pris en compte dans le rapport car selon les auteurs il n’est pas accessible aux familles le plus défavorisées.


    Consulter le rapport dans son intégralité ci-dessous
    Lire les réactions de l'AMF, la FNEJE et l'Ufnafaam.
    Pièce(s) jointe(s):

    Deux conceptions opposées

    Le précédent rapport de Terra Nova (2014 : la lutte contre les inégalités commence dans les crèches) avait suscité quelques remous parmi les professionnels de la petite enfance. Ce rapport ne se veut pas polémique ont assuré les auteurs qui ont procédé à des auditions et rencontres au cours de sa préparation. Néanmoins on connait la méfiance de certains spécialistes vis-à-vis de programmes comme Parler bambin cité en exemple dans le rapport. On connait aussi leur crainte que sous prétexte d’aider et d’anticiper sur d’éventuelles futures difficultés on ne stigmatise des enfants dès leur plus jeune âge. Deux visions assez opposées de ce que doit être l’accueil du jeune enfant : d’un côté la prévention prévenante préconisée dans le rapport Giampino et de l’autre une prévention plus active avec des objectifs et des évaluations. Avec toujours la même ambition :  donner toutes ses chances à chaque enfant. Toutes ses chances ? Là où le rapport Giampino inisiste sur le développement,l'épanouissement de l'enfant et la notion de prime éducation, le rapport de Terra Nova lui insiste sur l'éducation, la pédagogie et la réussite future.

    Article rédigé par : Catherine Lelièvre
     

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