• Le travail en réseau et intervention sociale

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    Le travail en réseau et intervention sociale : Quand l’outil laisse sa place à l’humain

     

    Entretien avec Philippe Dumoulin, directeur général adjoint de l’Institut régional du travail social (IRTS) du Nord/Pas de Calais.

    Qu’apporte le travail en réseau à l’intervention sociale ?
    Elle est plus que jamais confrontée à la complexité des situations sociales et des dispositifs qui visent à répondre aux effets de marginalisation ou d’exclusion, générés par une paupérisation croissante. Le sociologue Christian Bachmann avait déjà de longue date dénoncé « le mille feuilles des dispositifs », une juxtaposition accentuée par la « rénovation » de l’action sociale, la montée en charge des réglementations sectorielles et de la rationalisation des actions, l’avènement légitime des droits de la personne, ou encore la recomposition des champs de compétences, liée à l’avancée de la décentralisation… Le rêve récurrent d’une coordination des acteurs aux sommets institutionnels s’est à nouveau un peu éloigné. Dans le même temps, il me semble que, chez les intervenants de première ligne, la nécessité d’approcher la personne dans sa globalité et dans son environnement, plutôt que dans un morcellement de préoccupations, s’est accrue. Ces intervenants font, au quotidien, le constat de l’intérêt d’échanger avec leurs pairs leurs analyses, leurs savoir-faire et leurs stratégies. Nul professionnel ne peut plus prétendre apporter à lui seul l’ensemble des réponses attendues. Reconnaître cette richesse des ressources complémentaires et travailler en réseau c’est, pour une organisation, sortir d’un entre-soi progressivement stérilisant pour gagner une chance de réinterroger et d’améliorer ses standards d’intervention.

    Quelles sont les formes du travail en réseau ?
    Dans notre ouvrage collectif [1] nous en avons distingué cinq formes complémentaires et possiblement coexistantes. Le pairage est le réseau le plus couramment activé : pour résoudre une situation dont il ne maîtrise pas tous les tenants, un intervenant social va faire appel à un pair travaillant dans une institution voisine, également impliquée par cette situation à partir d’un autre mandat. Les deux partenaires vont croiser leurs compétences pour rechercher ensemble la meilleure solution. Cette forme de réseau est extrêmement spontanée et répandue, et d’ailleurs souvent pratiquée, au départ, à l’insu des responsables hiérarchiques. La prise en compte institutionnelle de ces pratiques peut amener une organisation à démarcher une autre structure pour créer un réseau inter-institutionnel autour d’une thématique partagée et sur un territoire déterminé : c’est l’exemple d’un réseau de lutte contre la maltraitance aux enfants, ou des réseaux Santé ville-hôpital… Une troisième forme m’apparaît particulièrement pertinente : dans l’intervention de réseau, le professionnel sachant que son action n’est que transitoire, travaille à renforcer et développer les ressources de son réseau primaire, autour de l’usager. C’est l’environnement de la personne qui est appelé à se mobiliser pour pérenniser des formes d’appui durable. Dans le réseau de groupe d’aide réciproque, tel que les réseaux d’échange de savoir ou de troc-service, on peut valoriser des compétences insuffisamment exploitées ou reconnues. Enfin, l’intervention collective en réseau (x) constitue une mobilisation de plusieurs partenaires sur des stratégies concertées de développement local ou de lobbying par exemple.

    Quels sont ses points de force ?
    La première force du réseau est de permettre le développement de réciprocités, de solidarités et de coopération dans un contexte massivement marqué par le « chacun pour soi », des logiques de pré carré et de concurrence. Une seconde vertu est d’obliger l’intervenant (professionnel ou institution), dans le cadre du décloisonnement et de la rencontre des autres, à rendre lisible et à expliciter ses principes d’action, ses objectifs, ses stratégies et à les confronter de manière constructive. En cours de fonctionnement, le réseau redonne à l’intervenant de terrain toute sa place : c’est au sein du réseau que s’inventent des solutions nouvelles, liées au croisement des savoir-faire et à la dynamique collective de co-construction. Consécutivement, le réseau est aussi porteur de reconnaissance de cette légitimité des professionnels à inventer et ressourcer les pratiques.
    Enfin, le travail en réseau est un point d’appui majeur pour l’évaluation des pratiques, puisqu’il met chacun en situation de rendre compte au collectif de ses réussites comme de ses impasses.

    Quels sont les risques à maîtriser ?
    Rappelons l’étymologie du mot réseau : rets, filet… Les mailles de ce filet, trop bien tissées et resserrées par le partage d’informations convergentes et la mise en œuvre d’actions concertées, peuvent faire craindre une forme abusive de contrôle social, à l’encontre des libertés individuelles. Le réseau sur ce point ne garantit pas plus l’individu qu’une coordination interinstitutionnelle « réussie ». On devra y travailler l’élaboration d’une déontologie partagée sur la communication et faire régulièrement des retours sur l’impact des solutions envisagées. Notamment, le réseau constitué devra se poser la question du réseau primaire de l’usager, auquel il est souvent tenté de suppléer. Un second niveau de risques réside dans la constitution d’une entité progressivement tentée par le retour de l’entre soi, la sélectivité, le verrouillage, voire le cocon affectif… ou encore l’oubli des appartenances institutionnelles et la tentation de l’autonomie. Le dernier niveau de risques tient à la gestion du pouvoir dans le réseau : les risques de confiscation par un leader, ceux de colonisation ou de reprise par une institution sont réels dans la durée. Dans tous les cas, le rôle de l’animation est prépondérant et il est bon que cette fonction soit partagée en alternance.

    Qu’apporte le travail en réseau aux usagers ?
    Revenons à nos formes de réseau. Les usagers, comme tout un chacun, pratiquent le réseau de pairs et celui d’aide réciproque dans leur vie quotidienne. Pour l’intervenant social, repérer cette dynamique et l’appuyer, c’est peut-être déjà apprendre à les considérer davantage dans leurs ressources que dans leurs déficits ou pathologies. Le réseau interinstitutionnel devrait générer une organisation facilitant une intervention moins éclatée et surajoutée, plus réactive ainsi qu’un accès facilité aux professionnels-ressource. Il dégage souvent des solutions innovantes. L’intervention de réseau redonne au milieu de vie sa place dans la (re) construction de la personne : l’usager y regagne une considération dans la proximité et un statut d’acteur (à nouveau) reconnu. L’intervention collective en réseau ouvre le champ plus large de la participation au travail sur le milieu, sur les causes des inadaptations, sur la chose politique… C’est sans doute en favorisant l’intégration des usagers à ces différentes formes ouvertes et collectives d’intervention, en les associant à l’évaluation comme à la conception et à la mise en œuvre des actions, qu’on légitimera le mieux le travail en réseau.


    [1] Travailler en réseau. Méthodes et pratiques en intervention sociale, Philippe Dumoulin, Régis Dumont, Nicole Bross, Georges Masclet, éd. Dunod, 2006. (lire la critique)



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